Accueil > Actualités et humeurs > Verbatim du rendez-vous de l’ASES à la Bourse du travail - 20 janvier (...)

Verbatim du rendez-vous de l’ASES à la Bourse du travail - 20 janvier 2018

dimanche 21 janvier 2018, par Laurence

Très intéressant rendez-vous organisé par l’ASES à la Bourse du Travail, ce samedi 20 janvier. Toutes les interventions étaient de qualité. Ci-dessous, un verbatim, réalisé tant bien que mal, car les orateurs ont parlé vite, et partiel (les deux premières table-rondes apparaissent surtout). Avec nos excuses pour ceux dont le propos n’apparaît pas ici.

Vous pouvez aussi regarder et écouter les interventions

Stéphane Bonnery, professeur d’université en Sciences de l’éducation, Paris 8, CNU70 "La réforme de l’accès, instrument d’une réforme des cursus ?"

Une réforme des cursus et de ce que sont les filières est impliquée dans ParcourSup. Elle prend appui sur l’inégalité existante. Il s’agit de répondre par une plus grande sélection à la difficulté d’accéder à l’université. Les élèves qui vont arriver des gens qui ont des scolarités plus individualisées, et deux ans de moins de scolarisation en moyenne (avec la suppression des samedis matins, etc.).
L’écart se creuse dans les deux sens, moins de « niveau » d’un côté, plus de savoir de l’autre. Système scolaire se bipolarise, avec un profilage des filières…

Dans le projet de loi, la remédiation est comprise dans les 180 ects, il n’y aura pas d’année propédeutique. Certaines filières vont recruter plus qu’avant des étudiants par défaut. Il y aura des filières dans lesquelles on aura des étudiants qui auront un volume plus important que d’autres sur le rattrapage (ceux-là ne feront pas de master). La licence même changera par diminution du cadrage collectif de ce qu’est une licence. Le ministère considère que les disciplines scientifiques ne sont pas pertinentes pour faire des bacs + 3. Un front à saisir. Le risque de la loi : la fabrication d’établissements spécialisés dans une préparation déconnectée du master. Les sites sont déjà séparés du fait des regroupements. Paris 8 emblématique de cette évolution.
Le VP de Paris 8 leur a dit que le rectorat a appelé pour leur dire, en sciences de l’éduc, que s’ils prennent 17 étudiants de plus en science de l’éduc, ils auront un poste en plus…

L’individualisation des parcours est à rapprocher de la négociation du poste salarial au travers des compétences, face à l’employeur, et en situation de faiblesse.

Romuald Bodin maître de conférences en sociologie à l’université de Poitiers, et auteur, avec Sophie Orange, de ce très intéressant livre L’Université n’est pas en crise, 2013). "Des sélections et de leurs mythes : la singularité universitaire"

Merci à lui de nous avoir envoyé son texte !

"Je voudrais introduite mon propos en partant de la question qui nous réunit aujourd’hui. Faut-il ou non sélectionner à l’entrée des universités ? La question et les termes du débat semblent clairs.
Je voudrais pourtant montrer que ce n’est absolument pas le cas. Personnellement, je ne m’oppose pas à la sélection par principe mais parce que les arguments de ceux qui, à l’inverse, la défendent sont empiriquement infondés. Ils tiennent de la croyance et de la méconnaissance des faits. Le débat sur la sélection s’est construit depuis des décennies maintenant sur une conception erronée de ce qu’est la sélection, de ce qu’elle fait ou peut faire.
C’est ce que je voudrais rapidement exposer. Mais partant, je voudrais aussi pouvoir glisser d’une posture défensive (il faut refuser la sélection à l’Université) à une posture offensive et constructive (il faut proposer un nouveau modèle pour l’enseignement supérieur dont la matrice, selon moi et sans aucun paradoxe, ne saurait être autre chose que le modèle universitaire).
Les tenants du oui à la sélection à l’Université mobilisent centralement deux arguments :
1) la sélection permet l’augmentation du niveau des étudiants d’une double manière : en amont elle revalorise la filière et permet de ce fait d’attirer les meilleurs étudiants ; en aval, elle sélectionne de fait ces mêmes « meilleurs étudiants » et élimine les autres.
2) Selon la même logique, en éliminant d’emblée les plus fragiles, elle réduirait les échecs et, plus particulièrement encore, les « décrochages » ou les « abandons ».
Voyons ce qu’il en est en réalité.

La sélection permet-elle de sélectionner les meilleurs ? La réponse est non.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître à première vue, les filières sélectives de l’enseignement supérieur sont aussi bien celles qui accueillent les publics les plus dotés scolairement et socialement – comme c’est le cas des classes préparatoires ou des « grandes écoles » –, que celles qui recueillent en plus grande proportion les minorités de l’enseignement supérieur (bacheliers technologiques et professionnels, bacheliers d’origine populaire), mais aussi, quelle que soit leur origine, les bacheliers les plus fragiles scolairement (ceux ayant redoublés, ceux n’ayant pas obtenu de mention, etc.), comme c’est le cas des STS (Sections de technicien supérieur) mais aussi d’un grand nombre d’écoles (écoles du travail social, du paramédical, petites écoles de commerce, etc.) et de nombreux IUT (Instituts universitaires de technologie), qui sont pourtant autant de filières sélectives. L’Université, bien que non sélective, accueille un public clairement mieux doté socialement et scolairement que ces dernières : plus d’enfants de cadre et moins d’enfants d’ouvrier, plus de baccalauréats généraux, plus de bacheliers avec mention.

La sélection permet-elle de réduire les décrochages ou les abandons ? La réponse est à nouveau : non !
Si le taux de non réinscriptions à l’Université après une première inscription en première année est d’environ 25 % depuis au moins les années 1960, il est tout de même (en 2015) d’environ 10 % en STS, de 15 % en IUT et de 18 % dans les classes préparatoires scientifiques. Mais surtout, et c’est un fait moins connu, les classes préparatoire littéraires atteignent 40% de non réinscriptions et les écoles du supérieur qui accueillent dès le baccalauréat, c’est-à-dire cet ensemble hétérogène qui va des petites écoles de commerce à Sciences Po, atteignent un taux de 35 %. Bref, non seulement aucune filière sélective n’échappe aux non-réinscriptions, mais qui plus est c’est encore parmi ces dernières, et non à l’Université, que l’on observe les taux les plus élevés.

Si la sélection ne permet ni de sélectionner les meilleurs, ni de réduire l’échec et l’abandon, à quoi donc peut-elle bien servir ? Deux réponses.
Premièrement, la sélection est d’abord et avant tout un rite d’institution. C’est un point sur lequel de nombreux travaux scientifiques ont déjà insisté mais c’est un point aussi que l’on oublie souvent de rappeler. La sélection a pour premier objectif de donner, tautologiquement si je puis dire, aux sélectionnés le sentiment de l’élection, c’est-à-dire le sentiment d’être différent du reste de la population. La sélection est le support aux identités par le diplôme, du sens de sa place à l’esprit de corps. Cette fonction est d’autant plus efficace que les effectifs sont réduits. Introduire cette logique au sein de l’Université, c’est évidemment renforcer les logiques de distinction et de mise en concurrence, qui animent aujourd’hui les grandes écoles, au sein de l’Université elle-même, donc renforcer les divisions et les inégalités dans le supérieur.
Deuxièmement, la sélection élimine bien certains prétendants mais lesquels ? Bien plus que les plus faibles, la sélection élimine d’abord, et presque mécaniquement, les parcours les plus atypiques. Soit les plus faibles, certes, mais aussi, par exemple, les plus solides, lorsque ceux-ci s’éloignent trop du profil médian de la filière. C’est là encore un phénomène méconnu mais qui a été analysé dans plusieurs recherches. Introduire la sélection à l’université, c’est donc paradoxalement et très probablement voir les étudiants les plus solides scolairement, ceux qui plus classiquement visent les filières dites d’élite, être eux aussi, à terme, écartés de l’Université.

Je résume. La sélection permet-elle d’augmenter le niveau des étudiants d’une filière ? Non. Permet-elle de réduire, voire de faire disparaître, les échecs et, surtout, les abandons ? Non.
Permet-elle d’exclure les parcours et les profils les plus atypiques ? Les étudiants trop ou pas assez brillants sur le papier, mais aussi et surtout les parcours non linéaires, les parcours de rebond, les réorientations, les reprises d’études après une période d’arrêt parfois forcée, ceux qui se sont trompés de voie dans le secondaire, etc. La réponse est oui.

À l’opposé de cette logique du monde des filières sélectives que l’on nous propose d’universaliser aujourd’hui, l’Université apparaît comme une exception, un espace unique et singulier de libre circulation au sein de l’enseignement supérieur. Et de ce fait, elle offre une expérience unique aux étudiants qui la traversent. Elle y joue aussi un rôle essentiel de régulation des parcours et d’expérimentation de soi.
L’Université offre en effet aux étudiants la possibilité de s’ajuster progressivement ou de se réorienter, avec beaucoup plus de facilité qu’ailleurs, tout au long du premier cycle (et même après). Pour nombre d’étudiants, la première année (et parfois les premières années) constitue un temps de réflexion bénéfique, voire de propédeutique à des formations futures hors université auxquelles ils n’auraient pu avoir accès autrement. Et cela, aussi, est démontrable empiriquement.
Toutefois, cette spécificité ne se fait pas sans difficulté et effets pervers, eux aussi bien connus des sociologues. Si les étudiants circulent, c’est toutefois de manière contrainte par les hiérarchies explicites ou implicites entre filières. Ce qui conduit à ce que cette forte flexibilité dont je viens de parler soit aussi porteuse, à sa façon, de forts mécanismes de reproduction des inégalités. Beaucoup d’étudiants rebondissent certes, et bien plus souvent qu’ailleurs, mais ce sont d’abords les étudiants les plus fragiles socialement qui sont amenés à devoir le faire et c’est aussi dans la plupart des cas en revoyant leurs ambitions à la baisse. Je ne défends donc ici nulle vision romantique et idéalisée de l’Université contemporaine. Je connais trop bien ces difficultés au quotidien.
Mais ces effets pervers, ces inégalités et leur reproduction, tiennent à des mécanismes en partie connus par les chercheurs, que l’on pourrait donc combattre et réduire de manière drastique si l’on nous en donnait réellement les moyens.
En d’autres termes, l’histoire nous a légué à travers le modèle universitaire, un modèle d’enseignement, d’accès au et de production du savoir, unique, singulier et extraordinairement innovant, encore aujourd’hui. Ce système n’est pas sans poser certaines difficultés et sans effets pervers dans sa formule actuelle, mais encore une fois ces effets sont connus et il est tout à fait envisageable de pouvoir les faire disparaître. Sans doute, un tel objectif demanderait-il des investigations et des réflexions supplémentaires, une mobilisation de la communauté des enseignants et des chercheurs. Sans doute, aussi, cela impliquerait-il des moyens financiers et humains bien supérieur à ce que l’on observe aujourd’hui. Mais c’est le prix de l’égalité et de l’intelligence. Et l’on sait que dans d’autres domaines, l’État trouve toujours les fonds nécessaires dont il a besoin quand il considère que c’est nécessaire.

Bref, non seulement le choix de la sélection à l’Université ne risque pas de résoudre les difficultés pointées du doigt par ses défenseurs, non seulement c’est objectivement le choix d’une simple gestion administrative des flux de nouveaux bacheliers teintée de mépris social, mais c’est aussi une mise à l’écart historique de l’une des expériences collectives les plus originales qui soit, et, selon moi, le support le plus réaliste aujourd’hui à l’invention d’un nouvel enseignement supérieur plus égalitaire socialement, et plus ambitieux intellectuellement."

Corine Eyraud, maître de conférences en sociologie, LEST, Aix-Marseille Université, "Parcoursup : Essai d’analyse sociologique".

Bonjour. Je suis Corine Eyraud, sociologue à l’Université d’Aix-Marseille (travaillant sur l’enseignement supérieur, les outils de gestion et les questions de quantification) et élue au conseil de l’UFR ALLSH, soit la Faculté des Lettres d’Aix-en-Provence, et à ce titre en relation pratique avec la réforme. Je vais partir non pas d’une analyse générale mais du dispositif de la réforme : la plate-forme Parcoursup, ce qui va me permettre de vous donner des informations concrètes qui, tout allant tellement vite, ont pu vous échapper, tout en tentant une première analyse sociologique et en essayant de montrer nos capacités et surtout nos incapacités (du fait du paramétrage de la plate-forme et de choix ministériels) d’action locale à travers Parcoursup.
Pour commencer deux mots d’APB. Les élèves de terminale pouvaient y faire plus de 20 vœux hiérarchisés ; les critères essentiels de l’algorithme pour les filières non-sélectives étaient la hiérarchie du choix du lycéen et son origine académique. Le moment du choix de l’après baccalauréat peut être un moment très anxiogène pour les lycéens et leurs familles, mais APB constituait également une nette amélioration pour beaucoup (même procédure, même calendrier, même outils pour plus de 12 000 formations). Les décisions étaient toutes données le même jour, l’an dernier le 8 juin. Pour les filières non sélectives, les établissements ne traitaient, en simplifiant, que les premiers vœux puis les seconds si les premiers étaient refusés. J’étais, en tant que responsable de 1ère année de sociologie à Aix-Marseille Université (AMU), « référente APB » l’an dernier ; nous avons reçu environ 180 demandes en première phase puis environ 30 en phase complémentaire, pour une capacité d’accueil volontairement fixée haute à 250 (environ 130 inscrits en L1 les années précédentes), et au final 180 inscriptions. Un mot sur le tirage au sort, puisque sa suppression est un argument massif : il n’a concerné aucune filière de la Faculté des Lettres d’Aix-en-Provence (pas même la psychologie) ; en 2016 en France cela a concerné 3 500 bacheliers (qui n’ont pas obtenu de ce fait une place dans leur 1er vœu) sur plus de 600 000 candidats nouveaux-bacheliers et plus de 800 000 inscrits sur APB (comprenant les étudiants en réorientation) [1] , soit environ 0,4% des inscrits sur APB. C’était, en 2017, le cas de 2 465 bacheliers de l’année et 7 261 étudiants en réorientation [2] (non prioritaires dans l’algorithme d’APB), soit moins de 0,4% des 627000 bacheliers de l’année et 1,1% de l’ensemble des inscrits sur APB (réorientation compris) au nombre de 864 000. Alors même que les licences universitaires ont accueilli entre 20 000 et 45 000 étudiants supplémentaires chaque année depuis 5 ans [3] et que la dépense par étudiant a chuté de près de 10% en 10 ans . Et l’annonce faite par la ministre devant le Sénat mercredi 17 janvier de la création de 22 000 places dans les filières en tension (dont 5 nouvelles antennes de Staps) aurait plus que largement réglé la question.
Avec Parcoursup, les lycéens font au maximum 10 vœux (avec des sous-vœux…) non hiérarchisés devant tous être motivés (la rubrique « Projet de formation motivé » devant être remplie pour chaque vœu afin qu’il puisse être validé). Cela signifie une multiplication des dossiers à examiner par – et on ne peut pas le savoir – 2, 3, jusqu’à 10 (puisque 10 vœux), donc de 200 à 2000 dossiers pour ma L1 de sociologie (et cela la plupart du temps pour rien puisque concernera le vœu 7 ou 10 du lycéen). Or dès que la capacité d’accueil est atteinte, les bacheliers sont automatiquement mis en attente ; comme elle devrait être atteinte dans toutes les filières, cette non hiérarchisation des vœux entraîne la « nécessité » d’un classement, même pour les filières qui peuvent accueillir toutes les demandes. Comment classer 200 à 2000 dossiers ? Il semble impossible de le faire « qualitativement », la plate-forme établira « donc » ce classement en fonction de paramètres définis par filière et par université ; pour ce faire des paramètres quantitatifs (notes) ou types de bacs ou a/n’a pas sont « donc » nécessaires. Vont donc être élaborés de nouveaux algorithmes, cette fois locaux et opaques : le président de la CPU (Conférences des présidents d’université) indiquait dans le Parisien du 8 janvier que « Les élèves ne connaîtraient pas les critères précis ». En tous cas, les critères essentiels de ces algorithmes seront, non plus la hiérarchie des vœux du lycéen et son origine académique comme dans APB, mais la « cohérence » entre son profil et les attendus de la formation. Ce qui est par rapport à APB un renversement complet de logique ; en fait on étend à l’ensemble des filières universitaires le mode de fonctionnement (le classement) qui était, avec APB, celui des filières sélectives (CPGE, BTS…). J’insiste sur le terme de « cohérence », encore utilisé par la ministre lors de son audition au Sénat mercredi 17 janvier avec celui d’ « adéquation », dans une vision linéaire et tellement simpliste du parcours d’un être humain et des formations universitaires.
Il va donc automatiquement y avoir des files d’attente. Les réponses (« oui », « oui si » et « en attente ») seront données « au fil de l’eau » entre le 22 mai et le 26 juin (avec pause pendant les épreuves du bac) puis entre le 26 juin et le 21 septembre pour la phase complémentaire, et reçues par texto (le ministère parle d’« alerte sur le smartphone ») ou messagerie (personnelle ou sur Parcoursup) avec un délai de réponse de 7 jours jusqu’au 25 juin, puis 3 jours jusqu’au 21 août puis 1 jour jusqu’au 21 septembre, et l’impossibilité d’accepter 2 propositions. On voit la capacité de réactivité et de stratégie demandée (pour la première phase pendant la préparation du bac), ou comment agir dans un monde incertain.
Tout cela pour rien dans les filières non-sélectives et « non en tension » si ce n’est :
→ faire entrer dans la tête des lycéens que l’accès à l’université n’est pas de droit,
→ les obliger à se positionner comme des auto-entrepreneurs (et donc responsables) de leurs parcours de formation devant se faire recruter (comme s’ils cherchaient un travail) et transformant les universités en agences de recrutement (AMU, comme je crains beaucoup d’universités, a ainsi ajouté aux pièces demandées un CV). C’est le triomphe de la culture-projet et du self-marketing, de la valorisation de soi, au profit des mieux armés. Par exemple la Fiche Dialogue que les lycées de terminale devaient remplir pour le conseil de classe du 1er trimestre leur demandait « leurs points forts et faibles, scolaires et extra-scolaires », ou connaître ses forces et faiblesses à 17 ans ou encore le SWOT [4] Sans parler de la prise en compte de l’extra-scolaire.
→ La perte du cadrage temporel collectif (un jour pour toutes les réponses en première phase APB) met les bacheliers dans une situation de fluidité et de très grande incertitude sur une période de 1 à 4 mois, sans parler du fait que le processus entier augmente fortement la pression : rédiger des lettres de motivation entre mi-janvier et mi-mars, propositions au fil de l’eau avec réponses urgentes à partir de fin mai… Tout cela, je le répète, pour rien dans ces filières.
Dans les filières universitaires « en tension », le classement signifiera sélection, qui se fera sur des critères comme la série du bac plus ou moins directement (les notes de certaines matières enseignées seulement dans certaines séries du bac), ce qui met fortement à mal la possibilité de rebattre les cartes qu’offrait l’université et rend plus précoces les « choix » structurants ou bloquants. Un des attendus nationaux en psychologie est ainsi « avoir des compétences dans les disciplines scientifiques, cette mention requiert un bon niveau dans au moins une des disciplines suivantes : mathématiques, physique-chimie et SVT », or ces disciplines ne sont pas enseignées, par exemple, aux terminales L qui n’ont pas pris l’option mathématique.
Finalement, sans parler longuement des attendus nationaux et locaux, on peut évidemment s’attendre à ce qu’ils aient un fort effet de découragement et donc d’auto-censure et d’auto-exclusion, en particulier pour les bacheliers technologiques et professionnels mais pas seulement. Voici quelques exemples tirés de Parcoursup : Aix-Marseille Université, et ce n’est certainement pas la seule, a indiqué pour toutes ses filières dans la rubrique « Éléments pris en compte » : « Les lycéens titulaires d’un baccalauréat général présentent le profil le plus adapté pour réussir le diplôme de Licence ». L’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines a indiqué pour sa licence de sociologie dans la même rubrique « Éléments pris en compte » : « Le parcours d’études du candidat (options choisies, classes européennes, activités extra-scolaires, stages) ». La filière de psychologie de l’Université de Nîmes fait figurer dans les « Attendus locaux » : « Obligatoire : Avoir des fortes compétences en mathématiques. Obligatoire : Avoir des fortes compétences en français. Obligatoire : Avoir des compétences en sciences de la vie et de la terre (SVT), ou à défaut dans une autre matière scientifique si absence d’enseignement en SVT ». On sait au moins depuis le début des années 1970 et les travaux de Raymond Boudon – que l’on ne peut qualifier ni de gauchiste ni même de sociologue de gauche – que les « tendances » à l’auto-sélection en matière de parcours scolaire sont très inégalement réparties dans la population et dépendent largement du capital scolaire des parents.
Je terminerai par la remarque d’un de mes collègues, Professeur des universités en psychologie et bachelier technologique : À l’heure où le droit à l’erreur va être reconnu aux contribuables, on s’apprête à supprimer le « droit à l’expérience » voire « à l’erreur » du système scolaire et universitaire.

Anne-Cécile Douillet, professeur d’université de Science Politique Lille, CNU 04

Ce qui s’est passé à Lille. Difficile de s’opposer à la mise en place de la réforme qui remet fondamentalement en cause le principe de l’université publique. Tout le monde n’a pas un droit égal à entrer à l’université. C’est moins le bac qui compte désormais que le parcours scolaire. Les activités extra-scolaires sont comprises.
Sur le report de la date limite du 22 janvier au 6 mars pour la remontée des attendus : en réalité, les votes envoyés par les universités après le 22 janvier ne sont qu’indicatifs. Peu importe ce qui est voté localement. Les présidences ont décidé pour les UFR qui refusaient (en science po, et en droit à Paris 8, en science Po à Lille). A Nanterre, les juristes ont fait remonter des attendus trop précis, la présidence a modifié… les stratégies de contournement de l’opposition sont nombreuses. A chaque fois qu’on ne joue pas le jeu, les choses sont imposées.
Elle raconte que les Sciences politiques se trouvent, en France, majoritairement dans les facs de droit, et que de ce fait les directions de fac en droit ont pu rédiger les attendus pour les sciences politiques. Il s’est donc agi pour les collègues de SP de se ressaisir de ces attendus, de faire une description plutôt que de dire des prérequis : de rédiger qq chose plutôt que se laisser imposer des attendus nationaux très juridiques. Mais cela reste insatisfaisant.
La résistance est d’autant difficile que les départements sont pris dans des jeux de négociation autour des tout petits moyens supplémentaires. La raréfaction organisée des postes met tout le monde en concurrence pour les miettes.

Annabelle Allouch maître de conférences en sociologie à l’université d’Amiens (UPJV), CURAPP, "Sélection à l’université : perspectives et comparaisons anglo-saxonnes"

Pourquoi l’attentisme des collègues ? Parce que les modèles anglais et américains sont constamment tendus aux universitaires français.
Mais ceux-là savent bien qu’il y a un coût social de la sélection à l’entrée de l’université : hausse des exigences scolaires, réduction de la part de certaines « minorités » ethniques. Il y a un rapport entre marchandisation, hiérarchisation et coût social.
De fait, les anglais sont en train de revenir en arrière sur le bac modulaire depuis 2015.
Même pour les Anglo-saxons, la sélection ne fait pas ses preuves.

Pierre Ouzoulias commission ES du Sénat. Groupe CRCE

Il s’accorde avec tout ce qui a été dit. On en est à la première étape d’une réforme d’ampleur écrite par Macron, une réforme libérale de l’éducation dans laquelle l’éducation ressortit du contrat entre un individu, un établissement, un enseignant. Le pacte républicain qui considérait que l’éducation était une forme de contrat avec la nation est foulé aux pieds. L’université que nous défendons est celle de 68. Or même ce projet d’Edgar Faure est dépassé par une vision libérale profondément anti-républicaine. Cela se voit au niveau même du droit puisqu’on tente de faire appliquer une loi non votée.

Exemple de ce passage en force : un arrêté a été pris par la ministre ce matin (20 janvier), qui définit ce que les élèves devront mettre sur Parcoursup, en dehors de toute consultation et cadre légal. La dérive autoritaire du pouvoir ests patente. Or, quand on défend l’université, on défend les libertés académiques, et l’Etat de droit. L’obstacle de Macron, ce sont les libertés académiques. Tous les actes votés dans les universités hors de tout cadre légal seront attaqués par la commission du Sénat qui se dit prête à à embaucher des avocats. Notre éthique de fonctionnaire est de refuser des ordres illégaux !
La loi arrive au Sénat les 7 et 8 février, il y aura une commission mixte paritaire sans doute pas conclusive, le texte repassera à l’Assemblée. Le calendrier ne se referme pas demain. Il faut une mobilisation. Il faut faire comprendre qu’il faut arrêter le chaos. Demain, ce sont toutes les filières qui seront en tension. Macron nous tend la pelle pour creuser notre tombe.
Les élus politiques sont à notre disposition. Ce que nous défendons, c’est une forme démocratique des luttes.

Le représentant de Copernic

Macron va plus loin que Valls dans la chanson au Medef ("on ira où tu voudras…"), Macron, c’est, adressé au MEDEF « je serai l’ombre de ta main, l’ombre de ton chien  ».

Leila Frouillou, maître de conférences en sociologie, université Paris Nanterre, Sud
Education, co-auteure d’une tribune dans Libération, "Inégalités d’orientation à l’entrée dans le supérieur"
.

Elle a axé son intervention sur la question de l’auto-sélection des élèves. Mais là, le scribe du SLU a dû répondre à un appel téléphonique urgent. Il espère que l’oratrice l’en excuse.

Julie le Mazier, Docteur en science politique, Paris1-CESSP, SUD Education, co-auteure d’une tribune dans Libération," Sélection et mobilisations étudiantes 1968-2018"

Propose un historique des politiques de sélection à l’université : projet aussi vieux que la massification scolaire. Dès les années 60. 1964, plan Fouchet, et en 67, Alain Peyrefitte. Le mérite sert à légitimer les inégalités : d’où l’importance du supérieur du point de vue social. Devaquet 1986. 2006 : dernière victoire en date dans un mvt éducatif. CPE retiré : toute la loi n’a pas été retirée, et cadrée ensuite d’une façon qui a légitimé la loi LRU.
Nous devons gagner.

Jean-Louis Fournel, Paris 8, SLU – Sauvons l’Université : "2018 : troisième étape de la destruction de l’Université publique"

Sauvons l’université publique ! Il s’agit de détruire une certaine université au profit d’une autre. Tout cela "pour" un tirage au sort qui concerne moins de 1% des candidates en 2017. Ce n’est pas ça le problème. Les politiques s’accordent à dire qu’il faut un milliard par an pour une université publique : ils existent dans le crédit impôt recherche. 22000 places annoncés par la ministre : quand comment où ?
Cette loi constitue une 3e étape après 1. 2007 : la concentration autour d’une technostructure autour de présidents tout puissants (LRU1) 2. Renforcement de la centralisation (LRU2). Un de nos pbs, on a un CAC 40 des universités constitué par 200 personnes qui ne sont plus retournés devant des étudiants, qui appliquent des recettes. Au delà de la question de la sélection : c’est la nature même du diplôme de licence qui va être modifié.
Trois piliers de l’université publique française : 1. Université ne fait pas payer l’entrée dans le sup (elle cadre les frais d’inscription). 2. Le cadre national des diplômes : une licence de Perpignan vaut autant qu’une licence de Paris IV 3. Les universités sont accessibles à tout citoyen : c’est le pacte entre la nation et les citoyens, le devoir de la République que l’élévation du niveau des citoyens. C’est ça qui en cause. La société française que veut Macron a besoin d’une ségrégation entre deux universités et deux types d’étudiants.
Pour le moment, tout cela est indicatif, et n’a aucune légalité. Mme Vidal : «  les établissements ont des capacités d’accueil limitées… » Elle dit qu’on ne va pas pousser les murs, il faut moins d’étudiants.

Charles Soulié, secrétaire de l’ARESER et maître de conférences au département de
sociologie et d’anthropologie de Paris 8, "A quoi sert l’université ? "
 :

L’université de Berlin a fourni un modèle : un projet humaniste, chacun doit développer l’ensemble de ses facultés. Erasme : on ne nait pas homme, on le devient. Pour les Allemands l’U est un lieu privilégié pour la Bildung où l’homme peut réaliser son humanité et échapper à la naissance, au déterminisme, etc. Ces idéaux ont été reçus dans le monde entier. Ils s’opposent toujours à une vision instrumentale, fonctionnelle de l’université. Car l’université est différente d’une usine à saucisse qui fabrique … des saucisses. L’art d’enseigner est quelque chose de complexe et de mystérieux. On ne sait jamais comment quelqu’un apprend (Deleuze). L’université est un lieu d’expérimentation, de rencontres entre générations, un lieu de rupture des opinions, le lieu possible d’une mise en mouvement de soi. Un travail de co-naissance : la production réciproque d’un sujet, qui maintient ouverte la temporalité de la recherche. Elle a une position structurellement critique, en crise, c’est une propriété structurelle de l’université que la crise.
Si aujourd’hui on est rassemblés, c’est que pour que l’entrée dans la Bildung ne soit pas réservée à qqs uns. Offrir la possibilité de se chercher, de se trouver.

Pascal Maillard, Université Strasbourg, SNESUP-FSU, « Désobéir : Résister à la
sélection par la désobéissance éthique
 »

Observe que des postes "tombent" pour mettre en place la réforme : 7 postes de titulaires pour Staps à Strasbourg. Le ministère cherche à faire passer en force la réforme. Attention au piège des moyens. L’appel d’une coordination nationale de l’éducation important (lancé par le Snes-Up) : un projet qui peut être partagé par beaucoup de structures.

Le code de l’éducation n’a pas encore été modifié. Coup d’état permanent du ministère de l’ESR : mise en place anticipée de mesures réglementaires et législatives. Il faut déposer des recours contre les présidents d’université qui font remonter des critères, attendus, non validés par des instances démocratiques ; Il faut déposer des recours devant les TA.
Quand bien même la loi serait adoptée, ni les enseignants chercheurs, ni les enseignants ne peuvent se voir obligés de mettre en application la réforme. Notre mission est d’enseignement et de recherche, pas de faire un tri social. La ministre annonce des primes pour la mise en place de la réforme…
Les enseignants de terminale doivent refuser de mettre des appréciations, sinon positives pour tous les lycéens. Il y a une légalisation de l’échec dans cette loi. Il faut sauver et consolider le bac, car s’y adosse la grille des fonctionnaires.

Pour lire un développement plus long de sa part sur la question.

La troisième table ronde, plus syndicale, manque… Des prises de parole de représentants de Paris 1, puis de personnes dans la salle ont suivi, avant le vote de l’appel du 20 janvier


[1J’ai beaucoup peiné pour trouver ces données, les cherchant tout d’abord (et ne les trouvant pas) sur le site du ministère. Ce dernier semble les communiquer exclusivement au Monde : http://www.lemonde.fr/campus/article/2017/04/27/universite-le-gouvernement-enterine-le-tirage-au-sort_5118535_4401467.html

[3Et vont en accueillir en moyenne 50 000 de plus chaque année les cinq prochaines années.

[4L’analyse ou matrice SWOT, de l’anglais Strengths, Weaknesses, Opportunities, Threats, est un outil de stratégie d’entreprise permettant de déterminer les options offertes dans un domaine d’activité stratégique. On parle aussi d’analyse FFOM (Forces - Faiblesses - Opportunités - Menaces) ou AFOM (Atouts - Faiblesses - Opportunités - Menaces). Pour ceux qui s’en souviennent elle a été demandée par l’AERES aux laboratoires de recherche dans le cadre de leur auto-évaluation. des bacheliers.