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Anne-Cécile Douillet : « L’objectif recherché est bien celui de la sélection » - entretien de Marie Piquemal avec Anne-Cécile Douillet, Libération, 21 janvier 2018

vendredi 26 janvier 2018, par par PCS (Puissante Cellule Site !)

Pour lire cet entretien su rle site de Libération

Pour la chercheuse Anne-Cécile Douillet, le gouvernement a focalisé l’attention sur l’injustice du tirage au sort pour mieux faire passer sa réforme.

Anne-Cécile Douillet (photo DR) est professeure de science politique à l’université de Lille.

La polémique sur APB, l’été dernier, semble avoir profité au gouvernement pour cette réforme, non ?

Disons plutôt que le gouvernement a créé lui-même cette fenêtre d’opportunité, en mettant l’accent sur les dysfonctionnements techniques d’APB ou, plus précisément, en faisant d’APB la « cause » du recours au tirage au sort et de la situation de milliers d’élèves sans affectation. Il est parvenu à focaliser l’attention sur les limites de la plateforme et l’injustice du tirage au sort, occultant les autres aspects du problème, comme le manque de moyens. Pour qu’une réforme passe, il faut formuler le problème de façon à ce que la « solution » proposée par le gouvernement devienne la seule réponse possible. C’est exactement ce qu’il a fait en l’espèce. Le problème tel que posé par le gouvernement avait deux réponses possibles : soit le tirage au sort, largement considéré comme inacceptable, et donc pas recevable ; soit cette réforme, qui apparaît alors comme une solution de bon sens.

C’est un coup de maître en communication politique, donc…

Je serais plus prudente : il est encore trop tôt pour parler de succès. La réforme n’a pas encore été votée de manière définitive par le Parlement, même s’il y a peu de doutes de ce côté. En revanche, on ne peut pas considérer que la mise en œuvre soit gagnée. Cela va dépendre de la façon dont les acteurs locaux s’en saisissent et, pour l’instant, des oppositions se manifestent dans divers départements universitaires, un peu partout en France.

Pour certains, cette réforme ne serait qu’un premier pas pour aller plus loin le coup d’après…

On peut effectivement y voir une politique « des petits pas », une réforme incrémentale comme on dit en science politique : accumuler les petits changements, progressivement, pour ne pas heurter, et à la fin arriver à un vrai bouleversement. Dans le cas présent, on pourrait être tenté de lire la réforme avec cette grille de lecture. En effet, pour l’instant, le gouvernement ne parle pas ouvertement de sélection, mais de meilleure orientation, et maintient un droit à l’accès à l’université pour les détenteurs du baccalauréat puisque les rectorats feront des propositions d’affectation si les lycéens ne sont pas pris là où ils ont postulé. Mais on peut penser que l’objectif recherché, à terme, est bien celui de la sélection, pour réduire le nombre d’étudiants dans les universités publiques peut-être… Il est possible de faire de nombreuses spéculations, d’autant qu’au même moment est lancé le chantier de la réforme du baccalauréat. On pourrait imaginer sa remise en cause comme diplôme national ouvrant droit à une inscription à la fac. Cela dit, il est possible d’avoir une tout autre lecture, et d’écarter cette théorie des petits pas. A bien y regarder, cette réforme est d’ampleur. Elle introduit en effet un principe complètement nouveau : il ne suffit plus d’avoir le bac pour intégrer la filière de son choix, les dossiers scolaires seront désormais étudiés pour dire quels lycéens ont plus le droit que les autres d’accéder à cette formation.