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La résistance contre Parcoursup s’organise à l’université - Faïza Zerouala, Médiapart, 10 avril 2018

mardi 10 avril 2018, par Laurence

Dans les universités doivent se tenir les commissions pour classer les dossiers des futurs étudiants. Certains enseignants, dans plusieurs départements, ont décidé de boycotter Parcoursup et de ne pas se livrer au tri des candidatures pour protester contre la loi Orientation et réussite de Frédérique Vidal.

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D’un côté, il y a la lutte spectaculaire des étudiants menée à coups de blocages de sites universitaires et manifestations bruyantes.
Dans une dizaine de sites, des blocages ont lieu depuis plusieurs semaines pour protester contre la loi « Orientation et réussite des étudiants » (ORE). Certaines occupations donnent lieu à des heurts. Le site de Tolbiac a ainsi été attaqué par des opposants au blocage à coups de bouteilles et de fumigènes afin d’intimider et d’en déloger les occupants. Les étudiants de Nanterre ont été empêchés par la police de tenir leur assemblée générale. Plus tôt dans le week-end, c’est la coordination nationale étudiante qui a eu des difficultés à se tenir dans la même université. Les étudiants de Lille ont eux aussi eu maille à partir avec les forces de l’ordre. La colère essaime à travers plusieurs universités.

De l’autre côté, il y a aussi ce bras de fer, plus silencieux, engagé par des enseignants du supérieur contre leur hiérarchie, bien décidés à ne pas classer les candidatures comme la loi le leur demande. Ils ont choisi de ne pas se prêter à l’examen, donc au tri des dossiers des futurs bacheliers. D’autres ont opté pour une solution à la finalité identique : classer les dossiers en inscrivant tout le monde ex æquo.
Selon le site Sauvons l’université, une soixantaine de départements penchent pour cette forme de résistance à une réforme encore largement contestée dans sa philosophie et ses modalités. C’est le cas à l’université Paul-Valéry Montpellier 3, à Lyon-2, Paris 1-Panthéon Sorbonne ou encore Bordeaux-3. Le 10 avril, 425 enseignants ont publié une tribune contre la réforme d’accès à l’université sur France info.

Il est vrai que la loi a été pensée et adoptée en un éclair. À tel point que des zones d’ombre quant à sa mise en œuvre concrète subsistent. Chaque jeune, futur bachelier ou en réorientation, doit formuler dix choix non classés. Les postulants doivent avoir au préalable consulté les attendus à chaque formation pour être sûrs qu’ils ne font pas un choix excentrique et ou hasardeux eu égard à leur dossier scolaire et les appréciations du conseil de classe. Puis les universités, après examen en commission, livreront leur verdict : oui, oui si, à condition que l’élève suive un dispositif de remédiation. Même si dans les faits, en raison des moyens contraints des universités, bien peu d’entre elles seront capables de mettre en place ces cours de rattrapage. Lorsque les capacités d’accueil d’une formation sont épuisées, le candidat pourra être placé sur liste d’attente.

Tout ce processus se déroulera assez vite puisque chaque candidat devra répondre à chaque proposition sous sept jours sous peine de perdre sa place. Le gouvernement promet que tout le monde sera satisfait puisque le rectorat est tenu d’affecter le bachelier dans une formation dans une université de son académie.

Laurence Giavarini, co-administratrice du site Sauvons l’université et maîtresse de conférence à l’université de Dijon, répertorie les différentes motions de refus depuis plusieurs mois. Les dilemmes sont nombreux quant à la meilleure stratégie à adopter. « Il y a ceux qui refusent d’intégrer les commissions de classement et de trier les dossiers de quelque manière que ce soit. Il y en a qui préfèrent classer tous les candidats premiers ex aequo. Certains ont peur que cette méthode n’aboutisse à des filières en sureffectifs, sans moyens supplémentaires  », explique la maîtresse de conférences. La principale inconnue porte sur la mécanique précise de classement. Comment imaginer classer sans l’aide d’un logiciel plusieurs centaines ou milliers de dossiers ? « Aucun humain ne peut s’en charger  », ajoute Laurence Giavarini, évoquant la surcharge de travail administratif générée par un tel dispositif. Dès le départ, les enseignants ont attiré l’attention sur cet effet collatéral de la réforme. En vain manifestement.

Laurence Giavarini, comme d’autres, déplore le fait que les enseignants doivent se plier à « une injonction venue d’en haut  ». Pour elle, le gouvernement a décidé d’une mesure et les personnels doivent réaliser cette tâche, sans sourciller ni protester.
Depuis le 4 avril, les préposés au classement sont censés avoir accès aux dossiers des candidats. Des commissions ont été constituées, parfois non sans mal. Certains ont refusé en bloc d’y participer. Les enseignants de l’université de Lille-2 ont par exemple tenu une conférence de presse dans laquelle ils expliquent leur position avec méthode (à voir ici).

Plus étonnant, la présidente de l’université de Bordeaux-Montaigne, Hélène Velasco-Graciet, a expliqué qu’elle ne procéderait à aucun tri dans les filières qui ne sont pas en tension, d’abord dans une lettre, puis dans un communiqué de presse. La rigidité de la loi se fissure peu à peu. La présidente explique que les ajustements sont en cours : «  La plateforme Parcoursup ayant été conçue en rendant obligatoire le classement des candidatures, l’université Bordeaux-Montaigne, comme d’autres établissements français, travaille actuellement avec le ministère pour lever cette contrainte. » Le président de l’université Paris-1 Panthéon-Sorbonne, Georges Haddad, a reconnu lors d’une conférence de presse la difficulté à mettre en place le dispositif : « L’université n’est absolument pas préparée à ce genre de défi qui demande des moyens, du personnel qualifiés et préparés. »

D’autres, malgré leur opposition à la loi ORE et ses modalités, ont préféré intégrer ces commissions afin de pouvoir peser de l’intérieur. C’est le choix d’Anne Hugon, maîtresse de conférences à l’université de Paris-1 en histoire. Son directeur d’UFR l’a nommée aux côtés de six autres enseignants, car elle assume, pendant un quart de son temps, une fonction administrative. Sa filière n’est pas en tension, même si chaque année les capacités d’accueil explosent, notamment en travaux dirigés. Elle « ne pense pas grand bien  » de la loi ORE, car elle transforme à ses yeux l’université « en grand supermarché de l’éducation », là où elle aspire plutôt à « la démarchandiser  ». L’enseignante a été choquée de voir la loi entrer en application avant même son vote définitif au Parlement.

Et évidemment, l’introduction d’une sélection, même si l’exécutif s’échine à jurer que non sur tous les tons, lui déplaît. « On nous demande de classer les élèves, et on sait bien que si on utilise des critères chiffrés les derniers ne seront pas pris. Et puis, si on a 3 000 demandes pour 600 places, si chaque étudiant putatif formule dix vœux, si on dit oui à tous, on ne sait pas s’ils vont accepter, donc c’est le flou total. »

Ces calculs d’apothicaire, suppositions et stratégies diverses mobilisent beaucoup d’énergie chez les uns et chez les autres. À tel point que rien n’est tranché alors que toutes les affectations doivent être rendues avant le 22 mai, date à laquelle les futurs étudiants sont censés recevoir leurs premières réponses.

Anne Hugon raconte avoir participé à une première réunion à l’issue de laquelle rien n’a été tranché. « On est dans un attentisme. On est en pleine mobilisation, donc on ne sait pas sur quoi cela peut déboucher. On ne sait toujours pas si on doit mettre des critères ni comment paramétrer le logiciel d’aide à la décision alors qu’on n’a pas envie de faire ça, même ceux qui soutiennent la loi. » Julie *, une enseignante qui préfère conserver son anonymat, a elle aussi pris place dans une commission. Elle s’oppose à l’introduction d’une sélection par crainte que l’université à la française n’épouse peu à peu le modèle anglo-saxon et ne devienne aussi élitiste et onéreuse. Elle a néanmoins considéré qu’il valait mieux y être pour ne pas « pénaliser les étudiants et pouvoir s’approprier l’outil de manière carrée ». Seulement, sa découverte avec cet adjuvant au tri l’a interloquée. « Déjà, on n’y a accès qu’a partir du 9 avril, ce qui pose un problème de calendrier. Nous avons trop peu de temps. »

Mais ce n’est pas le plus gênant à ses yeux. L’enseignante considère que cette méthode relève du bricolage : «  Vous avez les dossiers avec la fiche avenir, la lettre de motivation, le CV, les notes de l’épreuve anticipée du baccalauréat. Il faudra ensuite ajouter les notes et la série du baccalauréat. Avec tout cela, il faudra mettre un coefficient et mettre des notes. »

Mais le problème, dit-elle, c’est qu’il faudrait que ces paramètres soient harmonisés au sein des universités a minima. Et que les critères soient transparents et légitimes. « Tout dépend des choix de ceux qui effectuent les paramétrages. Si on attribue un plus gros coefficient à la fiche avenir, tel dossier va remonter. Et on sait en réalité que les bacs généraux vont être avantagés. Sans compter qu’on peut intervenir manuellement sur les dossiers avec tous les risques que cela comporte. Il faut arrêter : c’est une mascarade », explique encore Julie.

Des divisions parmi les enseignants-chercheurs

Annliese Nef, maîtresse de conférences à l’université Paris-1, ne fait pas partie des commissions. L’enseignante appartient à la frange la plus mobilisée contre la loi. Elle l’a lue dans son détail pour la décrypter et mettre en exergue les points les plus problématiques. Elle pense que la fronde est nécessaire « pour vider la loi de ses aspects les plus néfastes ». Et ne serait-ce que pour laisser les présidents d’université gérer cette partie du dispositif si personne d’autre ne veut s’y atteler. Même s’« il y a peu de présidents qui sont prêts à le faire, notamment parce que, leur mandat achevé, ils reviennent parmi nous, ils ne peuvent pas se marginaliser vis-à-vis de nous », explique-t-elle. À ses yeux, il est plutôt nécessaire de dire “oui” à tout le monde, sous couvert que les jeunes décrochent le baccalauréat, « car c’est la loi ».

L’enseignante raconte que les personnels mobilisés ont décidé de « neutraliser  » les lettres de motivation jointes au dossier comme le réclame la nouvelle procédure. Ou encore de juger que la motivation des impétrants est réalisée par le seul fait de postuler. D’ailleurs, toutes les enseignantes interrogées sont formelles, ces courriers ne seront pas lus, tout simplement. D’abord parce qu’elles savent qu’ils ont été écrits par l’entourage familial ou amical, et surtout parce qu’il est impossible de dégager assez de temps pour parcourir ces centaines de pages.

Pour Annliese Nef, accepter tous les dossiers ne va pas gripper la machine puisque les candidats vont choisir entre plusieurs propositions. De fait, la régulation va s’opérer d’elle-même. « Une bonne partie des candidats ne viendra pas, il n’y a aucun doute. » Quant au classement « tous ex æquo  », il s’agit de les répartir par ordre alphabétique afin de ne recourir à aucun classement.

Elvire*, du département de sociologie de Nanterre, raconte que tous les enseignants ont décidé de quitter la commission. La position adoptée a été celle du boycott malgré l’insistance du président de l’université. « L’idée c’est de ne pas accepter d’aller dans cette commission, car à plusieurs c’est plus facile de résister. » Mais cette décision est difficile à tenir, notamment à cause des insinuations de la direction. « On nous a dit que nous sommes irresponsables, que le chaos de la rentrée sera notre faute, on va faire souffrir les étudiants qui n’auront pas de réponse et être stressés… »

Lucie*, une membre de l’observatoire de la sélection universitaire, un collectif informel d’enseignants-chercheurs et par ailleurs enseignante, raconte que dans son département il y a eu un vote pour ne pas mettre en place de commission de classement des vœux. Ce qui est possible, car la présidence de son université n’est pas vraiment convaincue par le nouveau système mis en place par Frédérique Vidal et n’exerce pas de pression sur le corps enseignant. « Je doute qu’ils trouvent des volontaires  », dit-elle. Le temps presse puisque les universités devront avoir fini cette tâche le 18 mai au plus tard. Pour autant, la professeure est sensible à la surcharge de travail qui va retomber sur les personnels administratifs et les secrétariats. C’était par ailleurs l’un des arguments pour justifier son opposition à la réforme, au-delà du « tri social » que celle-ci va opérer selon elle.

L’idée de torpiller ainsi la réforme ne se fait pas de gaieté de cœur. « Rien n’avait été annoncé sur ce plan lors de la campagne d’Emmanuel Macron, justifie encore Annliese Nef, alors le gouvernement doit prendre ses responsabilités et arrêter de dire que c’est notre faute si cela ne fonctionne pas. On veut que tout le monde soit inscrit et que les élèves et leurs parents ne s’inquiètent pas. »

Ceux qui se sont engagés dans les commissions réfléchissent à les quitter si elles allaient dans une direction peu souhaitable pour eux. L’un de ces enseignants explique qu’il ne veut pas céder « à une forme de chantage  » de l’administration qui pourrait lui reprocher cette défection en expliquant qu’il porte ainsi préjudice aux futurs étudiants.

Elvire explique qu’elle et ses collègues vont demander de voter des capacités d’accueil illimitées pour les filières qui ne sont pas en tension puis réclamer la même chose au rectorat. Le plus important étant, explique l’enseignante, de «  tenir le boycott le plus longtemps possible ».

Pour désamorcer les résistances, une enveloppe budgétaire a été débloquée. Une enseignante explique ne pas avoir eu de confirmation officielle qu’un budget avait été débloqué pour gérer ces dossiers mais avoir compris, « au hasard de conversations  », qu’il serait possible de percevoir de l’argent pour s’occuper du classement. Lucie raconte que, dans son département, on leur a demandé quelle rétribution ils souhaiteraient pour participer aux commissions. Dans un mail, que nous avons pu consulter, il est précisé que la somme de plusieurs centaines de milliers d’euros allouée par le ministère « qui est fléchée et sera versée en échange de services accomplis sera ventilée comme suit : Traitement des dossiers, Dispositif “Oui si ”, Directeur d’études ».

Anne Hugon de son côté ne peut s’empêcher de relever qu’en temps normal « on pleure misère pour dédoubler un TD, donc avoir 50 heures par an en plus. Mais on nous explique qu’on doit être vertueux. Et là d’un coup on obtient plus de 110 heures supplémentaires comme ça ».

En définitive, racontent toutes ces actrices de la communauté éducative, la division dans le corps universitaire est profonde. Parmi les enseignants-chercheurs, certains commencent à se dire qu’il va falloir toutefois se plier à ce protocole pour ne pas que les étudiants ne se retrouvent sans affectation. « Les échanges sont musclés entre nous. Le gouvernement a réussi à semer la discorde entre nous  », rapporte Julie.

À ce stade, elle ne se voit pas, dit-elle, continuer à paramétrer le logiciel pour pouvoir l’utiliser. Mais sa marge de manœuvre reste faible. « Je vais refuser de le faire mais ils vont bien finir par trouver quelqu’un pour me remplacer. Évidemment si tout le monde faisait comme moi, cela bloquerait le système pour de bon. Mais le ministère est vicieux et reporterait toute la responsabilité de l’échec sur nous. Cela va créer une concurrence entre les universités et du ressentiment. »

La ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal, a répondu, le 7 avril, aux enseignants pro-boycott dans Ouest-France  : «  Il me semble important de leur rappeler qu’on ne leur demande pas d’examiner les dossiers par obligation administrative, mais au bénéfice des étudiants pour pouvoir les accompagner de la façon la plus personnalisée possible. Le but est qu’on en finisse avec ce taux insupportable de 60 % des élèves qui n’obtiennent pas leur première année de licence. » Une manière subtile de leur expliquer qu’ils seront responsables en cas d’échec de la réforme censée remédier aux difficultés des étudiants.

Les clivages entre partisans et adversaires de la sélection rendent la rébellion encore plus difficile faute de front uni contre la réforme du ministère de l’enseignement supérieur. Elvire doit ferrailler avec ses collègues. Certains défendent la sélection. Ils expliquent pour la justifier qu’elle existe partout et qu’il est hypocrite de ne pas vouloir l’introduire dès la première année de licence. « Pour moi, c’est impensable, on accueille beaucoup d’étudiants de milieu populaire et c’est tant mieux. Quand bien même on voudrait sélectionner, on n’a pas les moyens de le faire. »