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Dans les facs mobilisées contre Parcoursup, les examens menacés - Faïza Zerouala, Médiapart, 11 mai 2018

vendredi 11 mai 2018, par Elie

Dans les facs les plus mobilisées, la question des examens vire au casse-tête. Reports à la dernière minute comme ce vendredi 11 mai pour les étudiants de Nanterre, annulations pures et simples ailleurs, grève des copies… Les enseignants, eux, naviguent à vue. Le gouvernement promet que tous les inscrits seront évalués, quitte à faire appel aux forces de l’ordre.

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Seront-ils en chocolat ou non ? Les étudiants, quelle que soit leur position vis-à-vis de la loi orientation et réussite des étudiants (loi ORE), parviendront-ils à passer leurs examens sans encombre comme le souhaite le gouvernement ? Mi-avril, sur TF1, le chef de l’État les avait avertis : « Ils doivent comprendre une chose, c’est que s’ils veulent avoir leurs examens en fin d’année, c’est mieux de les réviser, parce qu’il n’y aura pas d’examens en chocolat dans la République. »

Les étudiants mobilisés de l’université Paris X-Nanterre ont tranché pour leur part. Ils ne passeront pas leurs partiels. Ils devaient composer, en droit et sciences politiques, ce vendredi 11 mai à la maison des examens à Arcueil (Val-de-Marne). La délocalisation avait été choisie par la présidence pour essayer de faire redescendre la tension manifeste depuis un mois sur le campus depuis le 9 avril, jour d’une intervention policière lors d’une assemblée générale. Dès jeudi, les étudiants à la pointe de la contestation avaient exprimé leur désapprobation face à l’option retenue par la direction.

Tôt ce vendredi matin devant le centre d’examen, des étudiants ont bloqué l’accès aux salles d’examen. Des cheminots et postiers en grève sont venus leur prêter main-forte. Les CRS étaient également présents. Ils ont encerclé le bâtiment et arrosé la foule de gaz lacrymogène pour la disperser.

Face à l’impossibilité de faire composer les étudiants dans des conditions sereines, l’université de Nanterre a finalement annoncé le report des examens prévus ce vendredi et ce samedi. Le président de l’université Jean-François Balaudé, très fragilisé, a déclaré à l’AFP réfléchir à des « formules alternatives d’examens à distance, en temps limité, en ligne, sécurisés ». Il a promis : « Examen il y aura, nos étudiants y tiennent, nous le leur devons et nous le ferons. »

Après cet ajournement, les étudiants mobilisés de Nanterre ont réaffirmé leur position dans un communiqué paru après les événements d’Arcueil : « Nous refusons que les examens se tiennent, car pour nous tenir les partiels et examens en plein mouvement c’est vouloir briser la grève. Imposer les partiels c’est exiger aux étudiant.e.s de se mettre à composer et à réviser : c’est empêcher les étudiant.e.s de se consacrer pleinement à la mobilisation. »

En début de semaine déjà, les étudiants de Nanterre avaient prévenu qu’ils ne se plieraient pas aux modalités d’évaluation édictées par la présidence. Les grévistes réclamaient la validation automatique de leur semestre avec une note améliorable, soit dix sur vingt minimum. La présidence de l’université a envisagé plutôt de délocaliser les examens, de proposer des devoirs maison ou en ligne. Ce qui, selon les étudiants mobilisés, « brise l’égalité de traitement entre étudiants » si des modalités d’évaluation différentes étaient choisies selon les départements par exemple. L’autre réticence des étudiants à passer des examens hors de leur université tient à leur refus d’être encadrés par les forces de l’ordre.

Ce qui serait « inacceptable », écrivent-ils dans un communiqué. Ils étayent ainsi leur méfiance : « Malgré nos demandes répétées, l’Université refuse de nous dire si les partiels se feront sous surveillance policière. Nous pouvons donc supposer que les CRS seront là pour quadriller et fouiller les étudiants ! Certaines convocations affirment qu’il y aura des fouilles des affaires personnelles. »

Hervé Christofol, secrétaire général Snesup-FSU, considère lui aussi cette situation comme « anormale ». Pour le responsable syndical et enseignant-chercheur, faire passer des examens sous surveillance policière ne devrait pas devenir une norme acceptable. D’autant que les évacuations par les forces de l’ordre des sites bloqués se sont multipliées, et ne sont plus tabou.

Depuis des mois que le mouvement a débuté sous différentes formes, le gouvernement fait tout pour le marginaliser et clame à l’envi que la contestation n’est que le fait d’une minorité. C’est ce qu’a encore expliqué Frédérique Vidal sur Twitter à la suite des événements d’Arcueil.

Inadmissible qu’une minorité puisse vouloir empêcher la majorité des étudiants de @UParisNanterre de passer leurs examens, donc de valider leur année universitaire. Un diplôme, ce n’est pas un morceau de papier, un diplôme a une valeur qu’il est impératif de préserver.

La ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation a dénoncé le blocage du centre d’examen d’Arcueil, une situation qu’elle trouve « inadmissible » et qui contribue à la dévalorisation du diplôme qui « n’est pas un morceau de papier ».

Le ministre de l’intérieur Gérard Collomb a joint sa voix à la condamnation. Il a rappelé que les forces de l’ordre « rester[aie]nt mobilisées autant que nécessaire pour permettre aux étudiants de passer leurs examens ». La conférence des présidents d’université s’est aussi émue dans un tweet de cette situation : « Nous apportons notre soutien aux étudiants injustement empêchés, pour le moment, de valider leur année d’étude. »

Ce cas illustre bien ce qui se joue à l’université et ce casse-tête de l’évaluation dans un climat de tension. Comment imaginer que les étudiants puissent passer leurs examens comme si de rien n’était, alors qu’ils ont manqué des semaines de cours parfois ? Comment éviter de polariser les positions entre pro- et antigrève ? Quel sens pourront revêtir les notes finales ?

Les situations sont complexes et disparates. Des examens de certaines filières ont pu se tenir sans encombre. D’une UFR à l’autre, au sein d’une même université, les positions peuvent être diamétralement opposées. À Paris I, les examens se déroulent au compte-gouttes en histoire ou sciences politiques. Ceux d’autres départements, comme celui de géographie, ne se tiennent pas pour le moment. Les enseignants naviguent à vue, au gré des reports. Certains étudiants ont décidé pour leur part, après un vote, de ne pas composer.

D’autres choisissent d’inscrire, comme à Lille, qu’ils sont en grève sur leur copie. Annliese Nef, maîtresse de conférences en histoire à Paris I, rappelle qu’il s’agit avant tout d’un moyen de protestation contre les dispositions de Parcoursup. « Ils ne peuvent plus bloquer donc ils font ça. Il faut arrêter de considérer les étudiants comme des gamins qui ne savent pas ce qu’ils font. On nie qu’il se passe quelque chose à l’université », s’agace l’enseignante, qui soutient le mouvement depuis le début.

« Un diplôme ne se résume pas à un semestre »

Depuis plusieurs mois, la contestation de la loi orientation et réussite des étudiants s’accompagne de blocages, partiels ou totaux, dans les universités. À ce jour, selon le ministère, deux universités restent occupées (Rennes II et Nanterre) et cinq perturbées (Limoges, Nantes, Marseille, Sorbonne Université et Paris VIII). Celle de Toulouse-Jean-Jaurès a été évacuée par les forces de l’ordre le 9 mai au petit matin. D’autres sites sont en partie bloqués, comme à Nantes ou Aix-Marseille par exemple.

Cette stratégie de vouloir à tout prix passer en force avec autorité, le syndicaliste Hervé Christofol la déplore. « Le gouvernement est dans son rôle, il cherche à marginaliser le mouvement, mais ce n’est pas dans la répression que la communauté universitaire fracturée va se retrouver. »

Vu la diversité des positions, il est délicat d’imaginer la suite. La Coordination nationale des universités, qui réunit certains syndicats de personnes et associations de l’enseignement supérieur, réclame par exemple le retrait de la loi, et a appelé le 5 mai à une « grève illimitée » dans l’intervalle. Début mai, la direction de Paris I a de son côté pris la décision d’annuler une dizaine de ces examens, notamment en licence d’histoire et de philosophie, pour les reporter à la fin du mois. Même chose à l’université de Grenoble.

Hervé Christofol l’assure : « Tous les enseignants veulent la réussite de leurs étudiants. » Annliese Nef confirme qu’elle et ses collègues, tout opposés qu’ils soient à la nouvelle loi, ne sont pas des « irresponsables ». Elle est surtout lasse que « les examens soient érigés en totems ». Pour elle, c’est aussi un signe que la pédagogie entre de moins en moins en ligne de compte dans les cursus universitaires.

Pas d’inquiétude pour le responsable syndical, qui affirme encore que les diplômes ne seront pas dévalués comme le clament les partisans de la réforme. « Un diplôme ne se résume pas à un semestre, même s’il faut un semestre complet pour évaluer les étudiants. Mais nous allons le faire. Même si évidemment il y a toujours des désagréments lors d’une grève. »

Annliese Nef est persuadée qu’il est possible de trouver une solution acceptable pour toutes les parties : « L’évaluation n’est pas cantonnée à des partiels sur table. » Dans l’intervalle, l’enseignante s’inquiète de cette « tension délétère ». « On ne peut pas repousser de semaine en semaine les examens. Il faut calmer le jeu et peut-être réfléchir à évaluer les jeunes en septembre ? »

Alexis Villareal, étudiant en L2 à l’université Paris I, engagé dans le mouvement et qui précise « s’exprimer en son nom propre », a failli passer un examen la semaine dernière. Seulement les présents ont voté à 72 % en faveur de sa non-tenue. Lui penche de toute façon en faveur de devoirs à la maison pour permettre une évaluation dans de bonnes conditions. « Sinon, c’est absurde, on n’a eu que la moité de nos cours ce semestre, nous n’avons pas eu le temps de réviser. Notre université est dans le déni, la mobilisation continue. La preuve : l’université est paralysée. »

Le jeune homme considère que faute de pouvoir occuper la Sorbonne, « une forteresse », faire la grève des examens est un mode d’action accessible et « un acte politique ». Le soutien de certains enseignants galvanise les jeunes, explique-t-il encore. Certains envisagent de faire une rétention des notes si les examens se tiennent finalement.

Les opposants au mouvement s’expriment mais, pour le moment, ceux qui « râlent » sont marginaux, assure l’étudiant. Sans compter que les instances dirigeantes des universités font montre de plus en plus d’autorité envers leurs personnels. D’après Annliese Nef, la présidence de son université a expliqué aux personnels qu’ils pourraient être réquisitionnés pour encadrer les évaluations. « Or la surveillance des examens ne fait pas partie de nos services. Nous sommes seulement obligés de corriger les copies », rappelle-t-elle.

La fébrilité du ministère de l’enseignement supérieur se traduit aussi selon elle par l’envoi, le 7 mai, d’une note rappelant les devoirs qui incombent aux enseignants-chercheurs, quand bien même ils seraient en grève. Dans la quatrième page, il est écrit qu’en cas d’entrave au « bon accomplissement des missions du service public de l’enseignement supérieur », il est possible d’engager des sanctions disciplinaires à l’égard des fonctionnaires récalcitrants.

Preuve supplémentaire de ces conditions de passage ubuesques, les examens à l’université Lyon II sont censés se tenir du 14 au 25 mai. Seulement ils ne pourront avoir lieu comme convenu le 16 en raison… d’un match de football. En effet, ce soir-là, le Groupama Stadium près de Lyon doit accueillir la finale de l’Europa League entre l’Olympique de Marseille et l’Atlético de Madrid. Cette rencontre nécessite un fort dispositif de sécurité. Autant de policiers qui ne seront pas disponibles pour encadrer les examens des étudiants.