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Parcoursup, le niveau qui baisse et la théorie des mariages stables (Partie 2/2) - Groupe JP Vernant, 18 mai 2018

dimanche 20 mai 2018, par Mariannick

À lire ici.

« Auparavant, APB fonctionnait en trois journées de résultats. Avec Parcoursup, à partir du 22 mai et tous les jours, les lycéens reçoivent des propositions. C’est un processus plus fluide qui remet de l’humain dans la procédure. »
Mme Vidal, le 15 mai 2018

Si vous avez manqué le début
ParcourSup est un dispositif bureaucratique qui managérialise l’orientation et contribue à produire un contrôle normatif des subjectivités - celles des lycéens enjoints à “gérer” le peu de “capital humain » dont ils disposent avant le baccalauréat, tout comme celles des enseignants-chercheurs à qui est imposée la tâche de trier. ParcourSup a été conçu autour du dogme des “meilleurs étudiants dans les meilleurs parcours”, conduisant le plus grand nombre à subir les choix d’une minorité [1]en une sorte de tirage au sort généralisé [2]. Sur le plan technique, ParcourSup se fonde sur le dogme hayékien de la “catallaxie” selon lequel la mise en concurrence est seule à même de faire émerger l’efficience, au contraire d’APB qui se fondait sur un algorithme d’optimisation rationnelle [3] .

« C’est pourquoi, pour nos « démocrates » techno-populistes, l’enseignement coûte toujours trop cher puisque de toute manière la crétinisation par la communication remplace avantageusement la caporalisation d’antan. »
Gilles Chatelet, “Vivre et penser comme des porcs.

L’analyse technique de ParcourSup laisse deux questions pendantes. Avec quelle intention le ministère de l’Innovation s’est il fourvoyé dans une réforme aussi mal ficelée techniquement ? Comment expliquer l’adhésion apparente d’une partie significative des collègues au processus en cours, ou une résignation schizophrène qui revient au même ?

Pour analyser la logique profonde des réformes du Baccalauréat et de la licence, nous ne pouvons nous fier aux éléments de langage du ministère [4] entre panique [5] et menace [6]. Il faut donc faire le pari qu’il existe une cohérence d’ensemble des réformes à l’échelle de la décennie, portée par une haute fonction publique inamovible [7] . Cette idée est accréditée par le fait que ces réformes ont été théorisées par Aghion et Cohen en 2004, et intégrées de manière programmatique dans le rapport Attali-Macron de 2008. Le projet de long terme, la création d’un marché de l’enseignement supérieur et de la recherche, progresse ainsi par étapes cohérentes à chaque fois qu’une “fenêtre de tir” [8] le permet. Pour créer du marché, la gouvernementalité néolibérale suppose que l’Etat procède avec systématisme à la mise en concurrence des individus (ici, les étudiants ; dans quelques mois, les universitaires à l’occasion de la réforme des statuts) et des structures (ici, les formations et, derrière elles, les universités). Or, il n’y a de pas de marché possible là où l’égalité prévaut — et donc l’homogénéité. Pour qu’il y ait marché, il faut qu’il y ait de la différence, de l’inégalité, du gradient de champ. Créer du marché suppose donc de différencier les formations, les établissements et les valeurs des individus, transformés en entrepreneurs d’eux-mêmes — ce à quoi ParcourSup contribue.

« Il faut rendre plus souples, plus respirants les diplômes nationaux. »
Mme Vidal, le 18 mai 2018

Les réformes en cours suppriment de facto le baccalauréat, qui procédait d’une volonté de certification homogène à l’échelle nationale et constituait un rituel de passage vers l’âge adulte. Dans ParcourSup, ce diplôme est remplacé par une évaluation du “capital humain” [9] des élèves — de leur “portefeuille de compétences” mais aussi de leur origine sociale, de l’emplacement et de la réputation de leur lycée [10], de leur capital culturel et social, etc. Par compétence, il convient ici d’entendre ici des éléments de technicité ou de conformité comportementale qui soient potentiellement évaluables en se passant d’enseignants : la dévalorisation des diplômes nationaux vise ainsi à déposséder les enseignants d’un de leurs rôles : la certification qualitative de l’acquisition de savoirs et de grammaires de pensée.

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[1Analyse des conséquences de la mise “en attente” :
Parcoursup, les licences en attente
Les estimations du nombre d’étudiants n’ayant aucune proposition le 22 mai va de 100 000 pour la CPU à 450 000 pour la Cour des Comptes, qui a alerté sur la défaillance prévisible du système d’affectation Parcoursup dès octobre 2017 (pp. 24 et 25) :
Rapport sur l’admission post-bac
Le ministère annonce, pour sa part, 270 000 candidats sans la moindre proposition à la fin des épreuves du baccalauréat, mi-juin, ce qui corrobore l’estimation de la Cour des Comptes :
Les derniers ajustements de la plateforme avant les premières réponse le 22 mai

[2Les notes de contrôle continu ne constituent pas une mesure d’aptitude fiable, loin s’en faut : sans entrer dans les problèmes fondamentaux posés par toute certification, chacun peut se convaincre que les notes de contrôle continu sont entachées d’erreurs systématiques fortement dispersées. Dès lors, pour la majorité des étudiants qui ne sont pas dans les 20% les meilleurs, le dispositif ParcourSup sera sensiblement équivalent à un tirage au sort de la formation proposée parmi les vœux du candidat. Parcoursup, un tirage au sort généralisé

[3Les règles de mise en concurrence écrites par les hauts fonctionnaires du ministère ont servi de cahier des charges pour la transcription algorithmique de ParcourSup, supervisée par M. Gimbert, chargé de recherche au CNRS et chargé de mission au ministère. Mme Mathieu, directrice de recherche au CNRS et professeure au Collège de France, a également assuré une communication de crise dans l’article n° 120428 de News tank. Cette entrevue confirme l’absence d’anticipation du fonctionnement dynamique du dispositif, du fait, en particulier, de la modélisation grossière de la stratégie des candidats. Le passage le plus intéressant porte sur la critique de l’algorithme d’optimisation de Gale et Shapley utilisé dans APB, témoignant d’une foi dans l’existence d’une efficience émergeant de la mise en concurrence — puisque ParcourSup n’a été doté d’aucun critère vis-à-vis duquel effectuer rationnellement une optimisation.

[4On s’étonne par exemple que la communication de l’Elysée sur les réseaux sociaux comporte encore des choses comme : “1 an Macron, c’est quoi ? 1 milliard d’euro supplémentaire pour les universités, la fin d’APB, la création de places supplémentaires dans les filières en tension.” Or, les jaunes budgétaires montrent une stagnation des budgets universitaires (programmes 150 et 231), qui sont passés de 13,01 milliards € à 13,19 milliards € entre 2017 et 2018, soit le montant de l’inflation. Ceci ne prend en compte ni les annulations de crédits en fin d’année, ni la baisse du Contrat de Plan Etat Région de 2,4 milliards € pour cinq ans lorsque M. Macron était ministre de l’Economie. Le milliard d’euro est purement et simplement mensonger.

[5Daniel Filâtre, recteur de l’académie de Versailles, a ainsi transmis un document de crise comportant les éléments de langage que les enseignants sont supposés répéter :
Gestion de crise : éléments de langage

[6Le ministère a transmis aux présidents d’établissements cette note sur la grève dont on appréciera la dernière page, qui omet malencontreusement de rappeler que les libertés académiques et l’indépendance des universitaires garantie par la constitution.
Note du DGRH

[7Projet de longue date des Gracques, la haute fonction publique a pris le contrôle politique de l’Etat, réduisant le politique à la gestion conforme aux intérêts du marché — qui la valorise en retour par le système du pantouflage.

[8La haute fonction publique (le terme de “fenêtre de tir” appartient à leur vocabulaire) promeut les réformes planifiées sur le long terme à chaque fois que l’état de l’opinion le permet. La crise de 2007-2008 a ainsi limité les réformes du mandat de M. Sarkozy. Est-ce le chant du cygne de la techno-bureaucratie étatique ? On a le sentiment que toutes les réformes néolibérales repoussées sont aujourd’hui annoncées à un rythme qui tient de l’opération de déstockage. Il ne faut pas négliger la possibilité selon laquelle la médiocrité technique de ParcourSup soit partie intégrante du dispositif : sa conception aberrante générant des résistances fortes, cela accrédite l’idée qu’il y a non seulement “réforme” mais “nécessité de réformer”. S’illustre ainsi ce vieil adage commun aux hauts fonctionnaires et aux Shadocks : s’il y a œufs cassés, c’est bien qu’il y a omelette.

[9Le troisième volet de notre billet sur le néolibéralisme sera consacré à la théorie du capital humain. Sur le portefeuille de compétences remplaçant les diplômes, nous recommandons cette synthèse :
Que valent encore les diplômes ?

[10Le middle management universitaire est en train de déployer des trésors d’inventivité pour trouver les critères de tri social les plus discriminants. Ici, on valorise d’un point le fait d’avoir pris allemand en première langue. Là, on affecte à un candidat un poids calculé avec le taux moyen de réussite au baccalauréat de son lycée d’origine. Orientation : dans les coulisses de la machine Parcoursup