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Petite histoire de l’augmentation des frais d’inscription des étudiants étrangers - Mariannick Dagois pour SLU, 13 janvier 2019 (et MàJ)

samedi 19 janvier 2019, par Mariannick

Pourquoi ces chiffres ?
Comment sommes-nous passés de la gratuité inscrite dans la constitution à ces montants effarants ?

Avec des mises à jour…

[rouge]« La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État. »[/rouge] [1]

• Sous la pression des grandes écoles, un décret signé après le 21 avril 2002 par Jospin (!) pour « vendre » des diplômes internationaux permettait des frais différenciés.

• Depuis 2005, Robert Gary-Bobo et son compère Alain Trannoy ne ménagent pas leur peine pour que les frais d’inscription soient augmentés pour tous et compensés par des prêts à remboursement contingent (i.e. différés et liés à l’obtention d’un travail, mais garantis par l’état bien sûr, les banques ne vont tout de même pas en être de leur poche). Les chiffres avancés varient selon l’étiage, de 2000 à 8000€, et concernent le seul niveau Master ou bien les niveaux ne sont pas précisés.

• La campagne du candidat Macron suit plusieurs étapes entre septembre 2016 et mai 2017 :

Le 31 août 2016, E. Macron intervient à l’université d’été de la CPU la veille de sa démission du gouvernement [2] ; il y prône « juste » la sélection en master ; de droits différenciés, point n’est question.

Le cercle de réflexion sur l’ESR se crée en septembre-octobre 2016 [3] ; à la manœuvre, Jean Pisani-Ferry, Laurent Bigorgne (institut Montaigne) et Thierry Coulhon (alors président de PSL, aujourd’hui conseiller ESR à l’Elysée).
Ils n’évoquent que très vaguement les frais d’inscription : «  poursuite et amplification de la politique d’excellence (avec contribution des familles) ».

Mi-novembre 2016, l’équipe reçoit la note « spontanée » de Gary-Bobo [4] : « sûrement plus décoiffant que du Juppé… » commente T. Coulhon. Gary-Bobo sait bien que tout y est politiquement sensible [5] car il y propose un « ordre de grandeur des droits : entre 4000 et 8000 euros par an et par étudiant, avec un taux de subvention publique d’au moins 50% », c’est pourquoi il propose en kit des éléments de langage pour « faire passer la pilule de la hausse des droits d’inscription », à savoir, ses fameux prêts à remboursement contingent.

Comme les chefs de rayon n’avaient aucune idée sur les frais d’inscription, hop !, c’est le modèle Gary-Bobo qui l’emporte et qui est transmis au boss : «  EM est content de ce que nous avons fait so far. Il souhaite qu’on concentre sur l’augmentation des droits en master avec remboursement différé » [6].

De novembre 2016 à février 2017, l’équipe ESR de la campagne Macron s’étoffe d’un deuxième cercle : Philippe Aghion (économiste, Collège de France), Emmanuel Ethis (recteur de Nice) [7], Yves Lichtenberger (Terra Nova), Jean-Pierre Korolitski (Inspecteur général retraité depuis 2013 mais toujours chargé de mission, Idex, PIA3…), et s’adjoint trois autres sherpas : Julien Blanc (à présent Directeur de cabinet du Président de Sorbonne Université après un séjour au cabinet de F. Vidal), Angélique Delorme (Enarque, maître de requêtes à la cour des comptes) et Mélanie Zappulla (normalienne, Sciences-Po).

Mi-février 2017, la réflexion part dans deux directions : le modèle Gary-Bobo d’une part, et une nouvelle idée, « pourquoi ne pas augmenter les frais de scolarité pour les étudiants étrangers ? Cela peut paraître choquant de prime abord, mais cela existe ailleurs… » [8].

On apprend sèchement par Pisani-Ferry qu’ «  EM ne veut pas d’une augmentation des droits d’inscription, donc sujet tranché. Sauf pour les non-résidents communautaires, qui ne contribuent pas par leurs impôts  ».

C’est donc la voix de son maître qui l’emporte. [9]

Avec quelques réserves tout de même dans l’équipe :

« En terme de message, on risque de ramer pour rien à expliquer que d’un côté on veut attirer les étudiants du monde entier et en même temps les faire payer.
La psyché française y voit une contradiction dans la chose même.
 » [10]

« Je suis d’accord avec l’idée d’augmenter les frais universitaires pour les étudiants étrangers, en suivant les "best practices" chez nos voisins rhénans ou scandinaves. » [11]

« Je penche pour [une] augmentation limitée (20% du coût total des formations, de 2000€ par an par étudiant) et ciblée qui donne une bouffée d’oxygène, en revanche je le préconise uniquement pour le Master, pas pour le doctorat car cela réduirait l’attractivité de la France […]. Il faudrait une augmentation graduelle et non soudaine des frais de scolarité, car cela pourrait faire chuter le nombre d’étudiants internationaux ». [12]

Mélanie Zappulla accompagne ses préconisations d’éléments de langage qu’on retrouvera à l’identique chez E. Philippe, à une ligne près, celle concernant les doctorants.
- faire attention à ce que cela ne lance pas un signal contradictoire avec l’idée d’une France attractive qui accueille les chercheurs internationaux.
- bien préciser que cela ne touche pas les doctorants par conséquent.
- l’idée, c’est de dire que cela nous permettra d’offrir de meilleurs services aux étudiants français et internationaux, que cela bénéficiera à tout le monde.
- Notamment insister sur politique de bourses pour la mobilité, aussi bien pour les étudiants internationaux qui veulent venir étudier en France que pour les étudiants français qui veulent étudier à l’étranger. Idée de mobilité qu’Emmanuel Macron peut très bien porter.
- moderniser nos universités, c’est aussi trouver plus de financement pour mener une politique ambitieuse d’internationalisation de nos universités.

En mai 2017, Alain Trannoy [13] est très déçu : : « Ma proposition est d’augmenter de 4.000 à 5.000 euros les droits en master, mais ils seraient uniquement couverts par des prêts à remboursement contingent – un remboursement différé après les études, et effectif uniquement si les revenus des jeunes diplômés le permettent. Aucun candidat n’a repris cette idée : l’enseignement supérieur fait partie des désengagements de cette campagne présidentielle. »

Emmanuel Macron avant le 2ème tour des présidentielles [14] est pourtant toujours un peu flou :
« Je n’ai pas pour projet d’augmenter les droits d’inscription à l’université (...) mais ma position est plus ouverte sur les droits d’inscription des étudiants étrangers. »

2017, 2018, rien ne se passe jusqu’en novembre.

Coup sur coup, une tribune de l’irréductible Trannoy dans Le Monde du 12 novembre, une annonce tonitruante du Premier Ministre E. Philippe dans le cadre des « Rencontres universitaires de la francophonie » le 19, un rapport de la Cour des Comptes (demandé presque un an auparavant par la commission de finances de l’AN) [15] le 21.

Notons que dans sa grande sagesse, la cour des comptes a reçu six « Personnalités académiques » pas tout à fait inconnues de l’équipe de campagne de Macron : Philippe AGHION, Gabrielle FACK, Léonard MOULIN, Robert GARY-BOBO, Alain TRANNOY, Alice VINOKUR et Bertrand MONTHUBERT.

Quant à l’augmentation des droits pour les seuls étrangers, la Cour des comptes est très réservée, jugeant l’hypothèse risquée sur le plan juridique, inopportune (les étudiants étrangers sont majoritairement originaires d’Afrique à 44,8 %, inégalement répartis dans les universités — de 1 à 21%) ajoutant qu’« une grande attention devrait être prêtée au montant des droits pour les doctorants, qui est un élément d’attractivité de la recherche française (les étudiants étrangers représentent 41 % des doctorants en France) » ; mais elle propose tout de même huit hypothèses concluant que cela «  n’apporterait donc un financement complémentaire significatif que dans l’hypothèse d’une progression très importante des droits, tendant à les rapprocher du coût réel des formations, ce qui pourrait entrainer un fort effet d’éviction, diminuant d’autant le produit attendu d’une telle hausse ».

Commençons par récapituler les diverses étapes…

Revenons enfin à notre question initiale : d’où sortent les chiffres d’E. Philippe, repris gaiement par F. Vidal et soumis à « concertation » aujourd’hui ?

Réponse : de nulle part !
N’écoutant personne. Ou n’en tenant pas compte. [16]
Au doigt mouillé. « Tiens, si je multipliais par 10 ? et par 16, ça ferait combien ? »


Ce billet a provoqué de nombreuses réactions, rappelant toutes que l’augmentation pour les seuls étudiants non-communautaires n’est pas une nouveauté dans l’esprit des gestionnaires de l’ESRI ; mais aucune des archives ci-dessous ne fournit de chiffre —et c’était pourtant bien le but de cet article : trouver d’où ils sortent.


La CPU, a organisé à Lille en 2001 un colloque “Autonomie des Universités” [17]
(p.36) « Nous nous prononçons pour une augmentation progressive et modulée par année d’étude des droits d’inscription. Pour les diplômes de troisième cycle, en particulier, une augmentation significative nous semble justifiée. »

(p.42) b. Le financement des études par les étudiants étrangers
« Au regard de l’offre internationale, l’offre publique française d’enseignement supérieur est très peu chère, ce qui la rend moins crédible. »

Philippe Aghion en 2004 dans le rapport Aghion/Cohen [18] prônait l’augmentation des frais d’étudiants pour tous “nous proposons d’autoriser des expérimentations en matière de revalorisation des droits d’inscription”

Dans son interview à La Vie des Idées du 14/12 /2018 [19], le voilà farouche défenseur de la gratuité (pas pour les étrangers non-communautaires tout de même) “J’ai une position très tranchée sur cette question : je pense véritablement que c’est une erreur d’augmenter les droits d’inscriptions.” “Il y a en Suède des droits d’inscription pour les étudiants étrangers non européens. Je ne suis pas contre. Dans ce cas, le système de bourse me paraît pertinent car les parents ne contribuent pas à l’impôt et il s’agit effectivement de sélectionner les étudiants excellents.”
Il serait intéressant de savoir ce qui lui a fait changer d’idée… l’explosion de la dette étudiante au Royaume Uni ? aux USA ? un séjour en Suède ?

Le rapport de France-Stratégie [20] proposait déjà en 2015

- Améliorer l’intégration des étudiants étrangers au sein des formations (formations à la langue française, en France ou dans le pays d’origine).
- Retenir dans le système d’enseignement supérieur les élèves issus du réseau secondaire français à l’étranger.
- Différencier les frais entre étudiants communautaires et non communautaires, afin de réinvestir les ressources supplémentaires pour améliorer la qualité du système dans son ensemble

Au sénat, le 8 février 2018, lors du vote de la loi ORE, un amendement déposé par plusieurs membres de la droite sénatoriale propose que « Les établissements d’enseignement supérieur [puissent] décider librement, par délibération de leur conseil d’administration, d’un tarif spécifique de droits d’inscription pour les étudiants étrangers, hors Union européenne. »
Réponse du gouvernement : “Ces deux amendements identiques étant déjà partiellement satisfaits par le décret de 2002 (il est déjà possible de mettre en place des frais de scolarité spécifiques pour les étudiants non communautaires. Le décret 2002-654 du 30 avril 2002 autorise les établissements à le faire.), j’en sollicite le retrait. À défaut, l’avis du Gouvernement serait défavorable.”

« Le paradoxe est que, si cet amendement avait été adopté par l’Assemblée nationale et introduit dans la loi ORE, les universités auraient eu la possibilité de ne pas appliquer l’augmentation des droits. Aujourd’hui, elles ne le peuvent pas et devront négocier des exemptions avec le ministère. » [21]


Questions/Réponses au sénat le 16 janvier 2018 :

M. Stéphane Piednoir : « La hausse des frais d’inscription, qui n’est pas la seule du plan « Bienvenue en France », suscite beaucoup d’émotion. Je partage le souhait de renforcer l’attractivité de la France mais je m’interroge sur la méthode de calcul qui a conduit à une multiplication par seize de ces frais. Pour être acceptée, la hausse des droits d’inscription doit être comprise et expliquée et, dans l’idéal, y compris à la Représentation nationale... »

Mme Frédérique Vidal, ministre. : « Le calcul n’a rien de compliqué : chaque année, l’investissement moyen par étudiant est calculé par l’OCDE et par l’État. Nous avons choisi de demander aux étudiants extracommunautaires de financer un tiers de cet investissement. »


Combien coûte une formation universitaire (et par extension celle des étudiants étrangers) ?

Blog de Julien Gossa, 18 janvier 2018.

[…]« Vous êtes un étudiant non-européen […] l’État français prendra en charge les deux tiers du coût de votre formation »
Le coût de ces formations serait donc de 8310€ en Licence, et de 11310€ en Master et doctorat. Cependant, cette affirmation s’appuie sur une confusion entre dotation des établissements et coût des formations. En réalité, le coût d’une formation universitaire peut être grossièrement estimé en moyenne à 3750€… Mais cette somme est nécessairement surestimée et cache des disparités difficiles à prendre en compte. Au final, personne ne sait calculer précisément le coût d’une formation universitaire…
[…]
En prenant seulement la dotation et les étudiants des universités, on obtient environ 12Md€ pour 1,6M d’inscrits, soit 7500€ par étudiants… Mais cette mesure est également fausse : contrairement à la plupart des établissements d’enseignement supérieur, les universités ont six grandes missions, dont une seule est l’enseignement. La ventilation de la dotation entre ces différentes missions revient à l’établissement, en fonction de ses stratégies propres.
Les universités définissent donc une clé de répartition interne, qui tourne autour de 50% enseignement / 50% recherche. On peut alors grossièrement estimer le coût d’une année de formation universitaire à la moitié de 7500€, soit 3750€ par étudiant. Cependant, cette clé n’est pas calculée, mais décidée arbitrairement pour des raisons comptables, elle varie d’un établissement à l’autre et ignore 4 des 6 missions. Cette estimation grossière est donc encore largement surestimée, et il est difficile de faire plus précis.


[1(Préambule de la constitution de 1946)

[2Source CPU : « Pause déjeuner 12h30- 14h15 en présence de Emmanuel Macron Institut national des jeunes sourds, rue de l’abbé de l’épée. Le même jour, Séance 5 : Construire des partenariats durables avec les entreprises Modérateur : Frédérique VIDAL, Présidente de l’université de Nice- Sophia Antipolis », tiens tiens…

[3cf. l’analyse du Groupe JP Vernant des Macronleaks et des six cercles de la campagne Macron

[5« je me suis « lâché » (comme on me l’a recommandé) »

[6Thierry Coulhon à David Cavailloles le 20 novembre 2016 - un des jeunes sherpas de l’équipe de campagne, X-Mines, aujourd’hui conseiller budgétaire, industrie et spatial au MESRI

[7ex Pdt de l’Université d’Avignon ; copain comme marmiton de F. Vidal voir l’inénarrable vidéo https://www.youtube.com/watch?v=pYGfA0aKXn8

[8A. Delorme

[9On ne sait ce qui a fait pencher sa balance…

[10Julien Blanc

[11P. Aghion

[12M. Zappulla

[13éducpros, 5 mai

[14éducpros 23 avril

[16Personne au ministère n’a pu relever l’aberration qui consiste à verser à un doctorant une allocation de recherche mensuelle d’une main et à lui reprendre de l’autre deux mois et demi de salaire en frais d’inscription ?

[21Source sénatoriale