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Des islamogauchistes et des lapins - Chronique de Daniel Schneidermann, 17 février 2021

mercredi 17 février 2021, par Mariannick

À LIRE ici sur le site d’Arrêt sur Image

A mesure que passent les jours, l’offensive de la ministre de l’Enseignement Supérieur Frédérique Vidal contre les islamo-gauchistes des universités françaises (voir le matinaute d’hier) apparait comme ce qu’elle est : une grossière diversion. Vidal avait été interpellée les jours précédents au Sénat sur les conditions de vie matérielles et psychologiques des étudiants en période de couvre-feu. Rien de tel que de taper sur les usual suspects, pour rassembler son camp et détourner le débat. Comme on pouvait s’y attendre, exprimant sa « stupeur », la conférence des présidents d’université l’a sèchement renvoyée jouer à la balle, tandis « qu’au CNRS », on répondait poliment au Monde (on est poli avec le gouvernement, au CNRS) qu’on « discute avec le cabinet pour préciser les attentes de la ministre ».

La ministre a déclaré souhaiter confier cette mission à l’Alliance Athena, structure qui regroupe la fine fleur des laboratoires français de recherche en sciences sociales. Le président de cette alliance lui a gentiment répondu qu’il ne fallait pas le confondre avec un inspecteur. La ministre ne s’est sans doute pas souvenue d’un précédent instructif. Après les attentats de 2015, une mission comparable sur le terrorisme avait été confiée par le gouvernement à la même Alliance Athena" sur le mode vallsien d’alors : « allez donc nous débusquer tous ces chercheurs qui n’en finissent pas de chercher des excuses sociologiques au terrorisme ». Le rapport rendu par Athena avait constitué une réponse cinglante : " Les enseignements des sciences sociales sont la meilleure façon de lutter efficacement contre toutes les formes de terrorisme. Leurs analyses et explications proposées par les chercheurs qui se consacrent à ce domaine sont essentielles à cet égard. Connaître les causes d’une menace est la première condition pour s’en protéger."

« L’effet de surprise est total » : ainsi débute l’article que Le Monde consacre aujourd’hui à la question. Si Le Monde, les présidents d’universités, et moi-même, nous sommes laissés surprendre, on a eu bien tort. Rien de surprenant dans cette diversion, poivrée il est vrai par le folklorique octogénaire Elkabbach. L’offensive contre les mao-khomeinistes n’est pas une bouffée de folie. Elle a été lancé à l’automne...dans le même journal, qui se dit aujourd’hui surpris, par une tribune signée par une centaine d’universitaires conservateurs, disant exactement ce que dit Frédérique Vidal. Cette tribune faisait suite elle-même à une offensive anti islamogauchistes du collègue Blanquer, lui-même alors empêtré dans des révélations sur des subventions accordées à un syndicat étudiant ami, et fantôme.

Tout à notre sidération, on ne s’en est pas immédiatement souvenu. Si vite galope la guerre, qu’elle nous interdit de relier entre eux des épisodes, dont seul le lien permet d’appréhender ce qui nous tombe dessus. Cette stratégie du choc permanent, nous la connaissons pourtant. Comment faire, pour ne pas rester éternellement des lapins dans les phares ?