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"Etrange article du « Monde » sur les universitaires", par Sylvestre Huet, Libéblogs, Sciences², 9 mars 2009

lundi 9 mars 2009

Dans Le Monde daté de dimanche 8mars/lundi 9 mars, ma consœur Catherine Rollot traite des résultats de la négociation du vendredi 6 mars au ministère de Valérie Pécresse. Deux sujets y font l’objet d’une présentation étrange : la modulation des services et l’évaluation des universitaires.

Pour la première, on lit ceci : « Si le gouvernement a réussi à sauver son idée de modulation, il est ainsi revenu sur les principes qui la guidaient. Les présidents d’université ne pourront plus imposer aux enseignants-chercheurs jugés peu performants en recherche de faire davantage d’heures d’enseignement. Cette approche de l’enseignement, utilisée comme une sanction, avait profondément choqué les universitaires. »

Sur le second point, on lit ceci : « Autre point majeur, l’évaluation. Chaque enseignant-chercheur sera désormais évalué "au moins tous les quatre ans" par ses "pairs" qui prendront en compte "l’ensemble de ses activités et leur évolution éventuelle". En réussissant à faire passer l’idée d’une évaluation obligatoire et régulière, le gouvernement marque là un point. Jusqu’à présent, une fois en poste, les enseignants-chercheurs n’étaient astreints à de telles procédures que lors qu’ils demandaient un changement de grade. En revanche, est abandonnée une mesure transitoire de trois ans qui permettait aux universités de faire elles-mêmes cette évaluation en attendant la réorganisation du Conseil national des universités (CNU). »

Qu’y a t-il d’étrange dans ces présentations ? Tout simplement d’attribuer « au gouvernement » ces deux idées - la modulation des services et l’évaluation des universitaires - comme s’il s’agissait de les imposer à une communauté rétive à ces principes. Or, cette présentation constitue une étrange réécriture de l’histoire et ne tient pas devant les faits : la lecture de la synthèse des Etats-Généraux de la recherche et de l’enseignement supérieur, tenus à Grenoble en... 2004 démontre que ces idées viennent en réalité... de ceux qui contestent aujourd’hui la politique de Valérie Pécresse. Démonstration par citation de ce document :

Sur le premier thème, voici ce qu’on peut lire dans le rapport de synthèse :

« Des possibilités de modulation du service pédagogique variables au cours de la carrière, sur la base du volontariat et en lien avec l’évaluation :
- la généralisation des années sabbatiques pour les enseignants chercheurs, à fréquence régulière et pouvant dans certains cas dépasser l’année,
- des actions de réduction significative du service pédagogique permettant aux enseignants-chercheurs de se consacrer de manière plus importante à une activité de recherche ; elles seront mises en place lors de chaque échéance quadriennale.
De même, des possibilités d’augmentation du service d’enseignement des enseignants-chercheurs qui le souhaitent, leur permettant de se concentrer sur leurs projets pédagogiques doivent être créées. Elles ont pour corollaire important qu’une implication forte et de qualité dans l’activité pédagogique doit ouvrir les mêmes possibilités de promotion qu’une implication forte dans l’activité de recherche. Ces périodes ne doivent pas conduire à un arrêt définitif de l’activité de recherche ; elles appellent la mise en place de mesures spécifiques de "retour à la recherche", pour les enseignants chercheurs qui en font la demande. Les différentes possibilités décrites ci-dessus seront attribuées sur la base de l’évaluation intégrée (nationale et locale) mise en place pour tous les enseignants-chercheurs et prenant en compte l’ensemble de leurs activités (cf plus loin). La progression de ce dispositif devra être manifeste dans les contrats quadriennaux des établissements d’enseignement supérieur. »

Sur le second thème, un long passage y est consacré, voici le paragraphe décisif :

« L’évaluation des personnels de la recherche et de l’enseignement supérieur doit être systématique, récurrente et réalisée en cohérence avec celle des collectifs de recherche (voir chapitre II) ; elle doit prendre en compte l’ensemble des activités des chercheurs et enseignants-chercheurs (élaboration de connaissances, enseignement, diffusion des connaissances et de la culture scientifique et technique, transfert et valorisation, missions d’intérêt général…). »

Autrement dit, la modulation des services comme l’évaluation systématique, récurrente et ayant obligatoirement des conséquences exécutives, constituent non des idées du gouvernement actuel mais des revendications exprimées clairement depuis au moins cinq ans par la communauté scientifique et universitaire. Ce qui a été contesté, vigoureusement, c’est le dévoiement de ces idées au service d’une politique budgétaire visant à diminuer les effectifs d’universitaires et donc à augmenter leur service moyen, alors que l’objectif de la modulation des services demandée par les manifestants des années 2003-2004 était d’améliorer l’enseignement et d’intensifier l’effort de recherche.

On peut d’ailleurs se reporter très utilement à ces Etats Généraux, et en particulier à ce document qui propose une stratégie de réforme de l’ensemble du système de recherche et d’enseignement supérieur visant à accroître son efficacité, tant pour la recherche de connaissances que pour leur transmission et leur valorisation. Réforme de la gouvernance des universités, rapprochement avec les Grandes Ecoles, réforme de l’évaluation des personnels, des établissements et des programmes, réforme des organismes de recherche avec rédéfinition de leurs missions et périmètres, réforme des études doctorales, vision renouvelée des relations avec la politique régionale et européenne, étude du coût de ces réformes...

Je reproduis ci-dessous un résumé lapidaire de ces propositions, paru dans Libération le samedi 30 octobre 2004, en accompagnement de l’article présentant le dernier jour de ces Etats Généraux :

Vingt-quatre propositions
Edouard Brézin, vice-président de l’Académie des sciences, a présenté vendredi une synthèse des propositions des Etats généraux en vingt-quatre points et trois parties.

La gouvernance du système de recherche :
- création d’un ministère de plein exercice, regroupant enseignement supérieur, recherche et technologie ;
- un Haut Conseil de la science (composé en partie de scientifiques élus) chargé de conseiller le gouvernement sur la stratégie d’ensemble, les grands équilibres entre disciplines, les grands programmes, les grands équipements, les nominations, et de rendre un avis sur les budgets ;
- un organe d’évaluation.

Les universités au cœur de la recherche publique :
- changer la gouvernance des universités pour leur permettre une vraie politique de recherche, les rapprocher des grandes écoles,
- créer un comitéŽ d’évaluation des oprateurs de recherche (universitŽés et organismes) ;
- réduire de 50% le temps d’enseignement des nouveaux maîtres de conférences durant leurs trois premières années,
- faire évaluer tous les chercheurs des EPST et les enseignants-chercheurs par une mê me instance.

Le financement :
- augmentation de 1milliard chaque année durant cinq ans du budget de la recherche,
- plan pluriannuel de l’emploi scientifique,
- simplification radicale des gestions administratives,
- création d’une agence finançant les programmes pluridisciplinaires et des projets directement proposés par les chercheurs,
- création d’un Conseil européen de la recherche indépendant de la Commission européenne, finançant des projets sélectionnés uniquement sur leur qualité


Voir en ligne : Sciences²