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« Scandale » à l’Université de Strasbourg, le blog de Pascal Maillard, Mediapart, 10 juin 2012
lundi 11 juin 2012
Pascal Maillard est membre du CA de Sauvons l’Université !
A lire sur le site de Mediapart
Le mot circule sur de nombreuses listes professionnelles et l’affaire met en émoi le monde universitaire. L’annulation de l’élection d’un Professeur de Littérature française montre une fois de plus toute la nocivité de la loi LRU. Ses effets, conjugués avec l’état d’asphyxie financière des universités, conduit à des gels massifs ou des suppressions de postes. La loi LRU et tous les décrets qui en découlent doivent être abrogés au plus vite.
Il est important de faire tout d’abord un petit rappel sur la procédure de recrutement des enseignants-chercheurs, à destination des lecteurs qui ne seraient pas nécessairement informés. La procédure comporte deux étapes : la qualification décidée par le Conseil National des Universités (CNU) puis le concours qui se fait localement dans chaque université. Je ne présente que cette seconde étape. Un Comité de sélection est créé par le Conseil d’administration de l’établissement. Il est composé de 8 à 16 membres dont au moins la moitié sont extérieurs à l’établissement. Cette disposition a été conçue principalement pour lutter contre la plaie des recrutements locaux, pratique qui contrevient aux principes d’un concours national et que la loi LRU pourrait avoir encore aggravée. Le comité de sélection qui agit en tant que jury du concours, procède à une audition des candidats et à un classement de ceux-ci. Son choix est souverain. Le CA, restreint aux membres dont le rang est au moins égal à celui du candidat à recruter, se borne à apprécier le classement proposé par le Comité. Le Conseil d’Etat a annulé à plusieurs reprises des modifications de classement opérées abusivement par certains CA. Le CA dispose toutefois du pouvoir de ne pas transmettre le classement au ministère lorsqu’il peut justifier que le candidat classé premier a un profil qui n’est pas conforme à "la stratégie de l’établissement". Le président de l’université dispose enfin d’un droit de véto et peut ou non transmettre la délibération au ministère. Pour comprendre ce qui s’est passé à l’université de Strasbourg il convient d’ajouter que l’établissement a la possibilité de limiter les candidats à un poste de professeur aux seuls maîtres de conférences titulaires d’une habilitation à diriger des recherches (HdR) et ayant plus de dix ans d’ancienneté dans le grade. Il s’agit de l’article 46.3, dont l’Université de Strasbourg a fait usage pour interdire le recrutement d’un professeur à la mutation.
Le cadre étant posé, venons-en aux faits. Que s’est-il passé à l’Université de Strasbourg pour que l’annulation de l’élection d’un Professeur suscite l’indignation publique des membres du comité de sélection, d’organisations syndicales et d’une partie de la communauté universitaire (voir les communiqués ci-dessous et en pj) ? Un poste de Professeur de Littérature française du XVIème siècle, gelé depuis deux ans, a été enfin ouvert au concours selon la procédure de l’article 46.3. Le Comité de sélection a été validé normalement par le CA et tout indique que les travaux du Comité ont abouti à un classement qui ne peut souffrir la contestation et que le candidat classé premier correspond aussi bien au profil du poste qu’à la stratégie de l’établissement. Or le CA a fait le choix de ne pas transmettre ce classement au ministère, lésant ainsi les candidats classés et bafouant la souveraineté du jury. Quelles peuvent être les raisons de cette décision que beaucoup ne comprennent pas, que certains considèrent comme un excès de pourvoir et que d’autres, plus nombreux encore, estiment proprement « scandaleuse » ?
Si l’on met un instant de côté les questions d’éthique, de démocratie ou de légalité - qui sont essentielles et justifient pleinement l’indignation ou la condamnation - la première raison de cette invalidation me semble être financière. En effet, sans être pour l’heure en déficit, l’Université de Strasbourg est entrée dans le rouge : la réserve prudentielle est passée de 89 M€ en 2009 à 27,5 M€ cette année, sous le seuil légal des 32 M€ nécessaire à un mois de fonctionnement. Selon un rapport de la Cour des comptes (voir pj p. 70), nous avions en 2011 une surconsommation de crédits pour la masse salariale de près de 13 M€, soit le record national. L’université de Strasbourg, suite à une gestion financière imprudente (investissements excessifs, explosion de la masse salariale sur ressources propres) aggravée par un enthousiasme irraisonné pour une politique d’excellence qu’elle ne peut financer, doit aujourd’hui programmer une très sévère cure d’austérité qui risque de se prolonger pendant de longues années. Comme beaucoup d’autres universités, celle qu’on a qualifiée de « première de la classe » en raison de ses nombreux succès aux concours de la politique d’excellence, fait le choix des gels des postes, des redéploiements, voire des suppressions de poste de contractuels.
C’est dans ce contexte qu’il convient d’apprécier la décision d’annulation de la présente élection qui conduit à la disparition de la seule chaire de seiziémiste de la Faculté des Lettres, préjudice très grave pour toute l’Université de Strasbourg, si l’on veut bien considérer ce que cela signifie pour l’Alsace, terre de Réforme et d’Humanisme, pour les groupes de recherche de cette Faculté, et pour les doctorants qui seront contraints d’aller faire leur thèse dans une autre université. Mais là n’est pas le plus grave, certainement. Selon des informations fiables, 30% des postes de Professeurs ouverts aux concours ferait l’objet du 46.3 à l’Université de Strasbourg. Favoriser l’élection de maitres de conférences, qu’ils soient locaux ou extérieurs, permet évidemment de faire des économies – ils coûtent moins chers que le recrutement d’un Professeur à la mutation - et facilite les redéploiements au bénéfice des secteurs disciplinaires qu’il faut « booster » dans le cadre de la politique d’excellence.
La loi LRU apparaît dès lors comme le parfait auxiliaire d’une gestion autoritaire de la pénurie financière dans les universités, et plus particulièrement dans les secteurs à faible rentabilité économique mais à forte valeur culturelle, critique ou créative comme les Lettres, les Arts, les Langues et les SHS. Elle favorise aussi, par tout un jeu de décisions bien peu démocratiques, validées ou non par les CA - l’IDEX strasbourgeoise n’a pas été votée par le CA -, une montée en puissance de secteurs porteurs, comme la santé ou la chimie par exemple, lesquels émargent plusieurs fois à des lignes de crédits importants. Mais il convient de souligner que les présidents et certains Conseils d’administration, non contents d’user et d’abuser des dispositions délétères de la loi LRU, vont jusqu’à les enfreindre, comme si les pouvoirs excessifs dont ils disposent n’étaient pas encore suffisants. Car, selon des juristes bien informés qui s’appuient sur la jurisprudence du Conseil d’Etat, il pourrait s’avérer que ni le CA, ni le Président d’une université ne sont compétents pour annuler une procédure de recrutement des enseignants-chercheurs. Il faudrait alors faire usage du droit autant de fois que nécessaire afin de mettre un point d’arrêt à ces excès de pouvoir que la LRU favorise. Nul doute que les tribunaux administratifs et le Conseil d’Etat verront arriver dans les mois qui viennent un nombre important de recours suite à des procédures de recrutement irrégulières.
L’affaire de Strasbourg montre exemplairement deux choses. D’une part il n’y aura pas de reconquête des libertés académiques et démocratiques des enseignants-chercheurs sans une limitation et un encadrement drastique des pouvoirs des présidents d’université et sans une refonte de la loi électorale de la LRU qui leur permet trop souvent de disposer d’une majorité écrasante, très dévouée, parfois servile, et transformant les CA en simples chambres d’enregistrement de la politique du président ou de son équipe, quand ce n’est pas celle d’un groupe de pilotage, d’un Comité d’orientation stratégique ou encore de certains milieux économiques. Il est clair d’autre part que la situation critique des comptes financiers des universités exige aujourd’hui l’adoption d’une loi de finance rectificative, la fin de la politique d’excellence et le redéploiement des crédits du Grand Emprunt au bénéfice des budgets récurrents des établissements.
Face à cette double calamité qui détruit le service public d’enseignement et de recherche – la Loi LRU et la politique d’excellence – les signaux envoyés par la nouvelle ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche sont très inquiétants. La composition de son cabinet – des personnalités acquises à l’autonomie et à la politique d’excellence et qui en ont été parfois les acteurs – ainsi que ses déclaration récentes, montrent que la politique qui se dessine épousera l’essentiel des réformes conduites sous Sarkozy. La rupture n’existera pas sans une mobilisation de tous les personnels pour défendre la démocratie universitaire, les principes et les valeurs d’un vrai service public d’enseignement et de recherche et les postes sans lesquels l’université ne peut pas accomplir ses missions.
Pascal Maillard
PS : je dédie cet article à Philippe Enclos dont l’amitié et les informations juridiques me sont toujours d’un soutien précieux.
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