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 Pétition "Les sciences sociales ne sont pas solubles dans les sciences cognitives"
 Pétition "Les sciences sociales ne sont pas solubles dans les sciences cognitives"
				
				jeudi 9 octobre 2008, par
Les signataires de ce texte sont tous concernés par le domaine que le  
projet d’Institut National des Sciences Humaines et Sociales (INSHS)  
entend regrouper sous l’appellation « Cognition et comportement ».
Nous sommes étonnés et inquiets de voir que le projet considère que  
ces domaines relèvent exclusivement des sciences cognitives,  
constituant les « théories de la complexité » en référent  
méthodologique central. Il ne fait aucune mention de la philosophie  
des sciences non naturaliste, de la sociologie, de l’histoire, de  
l’anthropologie et des sciences politiques. Pourtant, la question de  
savoir ce que sont précisément la « cognition » et le « comportement  
 » est, à l’évidence, un objet des sciences humaines et sociales : il  
suffit de penser aux conséquences juridiques et pénales,  
professionnelles, éducatives (pour ne citer que quelques exemples) de  
la définition de ce qu’est un comportement, ou aux dimensions  
collectives, linguistiques, pragmatiques de ce qu’on entend par  
cognition. Les sciences cognitives n’ont pas le monopole de la  
cognition.
Pour avoir une idée de l’aveuglement de la nouvelle perspective  
envisagée, rappelons-nous seulement l’intensité des polémiques qui  
ont suivi la publication de l’expertise collective de l’INSERM sur le  
trouble des conduites en 2005 : la définition des comportements  
anormaux des enfants est apparue immédiatement comme un enjeu de  
société. Nous sommes étonnés et inquiets de constater l’absence dans  
le projet des mots-clés santé mentale, psychiatrie, alors que ces  
domaines sont aujourd’hui, non seulement des préoccupations  
transversales de nos sociétés, mais encore des objets de conflits.
Peut-on encore sérieusement affirmer que la connaissance du « 
substrat cérébral » soit la principale chose à considérer pour  
traiter des questions d’éducation, de santé ou d’organisation du  
travail ? Les meilleurs spécialistes des neurosciences eux-mêmes s’en  
gardent bien, et nombreux sont ceux qui souhaiteraient un dialogue  
approfondi avec des historiens, des sociologues ou des philosophes,  
précisément sur ces points, afin de procéder à l’indispensable  
analyse conceptuelle des termes en question : esprit, cerveau,  
connaissance, comportement.
Le privilège accordé aux approches neuroscientifiques pour parler du  
comportement relève d’une politique de recherche à courte vue. Une  
telle approche idéologique ne saurait fonder une politique  
scientifique digne du futur Institut. S’agit-il de convertir de force  
la communauté scientifique en sciences humaines et sociales au  
paradigme cognitiviste ? Nous ne sommes pas appelés à devenir des  
neurosociologues, des neurophilosophes, des neuroanthropologues ou  
des neurohistoriens. L’examen concret de la normativité de la vie  
sociale découverte par l’École sociologique française (Durkheim et  
Mauss) et la sociologie allemande (Weber) n’est pas une illusion  
destinée à être remplacée par l’étude de la connectivité cérébrale.  
C’est un niveau autonome et irréductible de la réalité humaine.
Pourquoi, sans aucun argument explicite en sa faveur, accorder un  
pareil privilège à un paradigme particulier, naturaliste (ou du moins  
réductionniste), au détriment d’approches intégratives qui font place  
aux dimensions sociales de la formation des connaissances (aux  
contextes socio-historiques, aux institutions, ...) ? L’INSHS doit-il  
mettre un seul paradigme intellectuel en position dominante ? Doit-il  
rayer d’un trait de plume le pluralisme méthodologique et les débats  
de la communauté scientifique internationale ? Doit-il enfin compter  
pour rien l’excellence reconnue des programmes non cognitivistes en  
SHS ?
Depuis plusieurs années des chercheurs en sciences sociales ont  
commencé à développer au sein du CNRS notamment, des recherches sur  
ces sujets. Ils ont constitué un milieu scientifique ouvert et  
créatif, et ont entamé son internationalisation. Le projet tel qu’il  
est conçu aujourd’hui mettra fin à cette dynamique. Au-delà, il  
menace l’existence même des sciences humaines et sociales comme  
disciplines vivantes, critiques e constructives.
Nous reconnaissons parfaitement l’intérêt des sciences cognitives, et  
la nécessité qu’elles aient leur place et qu’elles se développent à  
l’INSHS. De même il nous paraît essentiel de valoriser et de  
reconnaître les « théories de la complexité » comme un authentique  
partenaire scientifique dans les sciences humaines et sociales. C’est  
une condition évidente de la crédibilité scientifique internationale  
du futur Institut. Mais pour cette raison même, nous refusons leur  
monopole. Le statut du pôle « Cognition et comportement » tel qu’il  
est actuellement rédigé consacre la marginalisation d’autres  
paradigmes d’analyse ou leur insidieuse relégation dans le patrimoine  
historique.
Nous exigeons donc la réintroduction explicite, dans la mission  
confiée au pôle « Cognition et comportement », des disciplines qui en  
ont été exclues, la sociologie, l’histoire, l’anthropologie, la  
philosophie, l’économie (qui n’est pas une neuroéconomie, pour la  
plupart des chercheurs) et les sciences politiques afin, tout  
simplement, que la liberté et la qualité de la recherche soient  
préservées au sein de l’Institut.
Les premiers signataires de cet appel sont : Simone Bateman  
(sociologue, directrice de recherche au CNRS), Jean-François  
Braunstein (philosophe, Pr à l’université Paris 1), Martine Bungener  
(économiste, directrice de recherche au CNRS), Pierre-Henri Castel  
(philosophe, directeur de recherche au CNRS), Jean-Paul Gaudillière  
(historien, directeur de recherche à l’INSERM, directeur d’études à  
l’EHESS), Vincent Descombes (philosophe, directeur d’études à  
l’EHESS), Alain Ehrenberg (sociologue, directeur de recherche au  
CNRS), Bruno Karsenti (philosophe, directeur d’études à l’EHESS),  
Sandra Laugier (philosophe, Pr à l’Université de Picardie), Bernard  
Lahire (sociologue, Pr à l’ENS-LSH), Frédéric Lebaron (sociologue, Pr  
à l’Université de Picardie), Michel Le Moal (psychiatre et  
neurobiologiste, membre de l’Académie des sciences), Olivier Martin  
(sociologue, Pr à l’Université Paris Descartes), Albert Ogien  
(sociologue, directeur de recherche au CNRS), Bernard Paulré  
(économiste, Pr Paris 1), François Rastier (linguiste, directeur de  
recherche au CNRS).
Signatures sur :
http://hermeneute.com/phpPetitions/index.php?petition=3
 
 
