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Pourra-t-on faire la rentrée 2018 ? - Newsletter n° 43, 19 mai 2018

dimanche 20 mai 2018, par par PCS (Puissante Cellule Site !)

Dans les universités, de gré ou de force, le processus est lancé qui, dans une grande opacité et sans aucune homogénéité, met en place la loi ORE promulguée dans l’urgence et sans concertation. Les conditions d’application de cette sélection qui ne dit pas son nom, via la plateforme d’inscription baptisée ParcourSup, commencent cependant à être connues. Comme nous l’avions prévu, elles sont chaotiques.

1. L’algorithme et le « regard humain »

Le ministère a justifié la réforme par les défaillances d’APB, l’ancienne plateforme d’affectation des étudiants, oubliant de préciser que celles-ci étaient d’abord le résultat de l’absence de créations de places nouvelles dans les universités pour faire face à l’afflux des étudiants. En fait, il aurait suffi de mettre plus de moyens dans les quelques filières en tension pour régler la question : c’était assez facile et plus économique. Si le Ministère n’a pas suivi cette voie, s’il n’a pas davantage voulu réformer APB comme les techniciens en charge de ce dispositif le lui proposaient c’est que tout cela n’était qu’un prétexte pour une intervention d’une tout autre ampleur.

Il ne s’agit pas non plus de renoncer à recourir aux algorithmes pour privilégier l’intervention humaine comme cela a été proclamé avec mauvaise foi : pour remplacer APB, d’autres algorithmes ont été et sont utilisés, en toute opacité, tant par le ministère que dans les universités, puisque tous les éléments des dossiers (CV, fiches avenir et lettres de motivations compris) doivent être transformés en notes sur 20. Selon les formations, des choix très différents ont été faits des matières à prendre en compte, avec des résultats évidemment tout aussi différents d’un lieu à l’autre. Démonstration mathématique a en outre été faite du caractère arbitraire et aléatoire des résultats des algorithmes, qui, malgré des moyennes paramétrées à trois chiffres après la virgule, laissent encore de très nombreux ex-æquo. Bref, un algorithme national non dénué de défaut, mais dont on connaissait au moins le fonctionnement, a été remplacé par une multitude d’algorithmes locaux conçus de façon strictement empirique et locale et sans contrôle de qui que ce soit. Les louvoiements du ministère concernant l’impossibilité d’attribuer des malus à certains bacs (mais bien des bonus à d’autres) témoignent de son double jeu dans l’affichage des principes de ce qu’il n’a jamais voulu nommer, en dépit de l’évidence, sélection.

Dans les cas de candidats ex-aequo, il faut ainsi départager les dossiers manuellement : il est alors possible aux membres de la commission (qui est « souveraine ») de faire toutes les manipulations possibles, et par exemple de modifier le rang de classement en changeant la note globale du dossier. Même dans les cas où un encadré rendra compte des critères du partage, même si l’on peut tabler sur la droiture des collègues, un espace d’arbitraire énorme est ouvert par ces manipulations qui peuvent en outre se porter sur n’importe lequel des candidats, puisque ceux-ci ne sont pas anonymes. Si l’on peut espérer que le fameux « regard humain » mis en avant par Frédérique Vidal soit porté avec sérieux sur les dossiers qu’examinent les commissions, il n’en introduit pas moins la possibilité d’un total arbitraire (sinon du favoritisme) dans la réalité du classement.

2. Au pays du père Ubu : le travail des commissions

Dans les filières qui ont décidé d’appliquer la réforme, des commissions ont été mises en place et chargées des évaluations. Une énorme charge de travail, à réaliser dans l’urgence, a ainsi été imposée aux universitaires chargés de classer les dossiers d’inscription reçus. À raison de 3-4 minutes par candidat, les conditions d’examen des dossiers ne peuvent en aucun cas être qualifiées de sérieuses, et même dans les commissions qui jouent de bonne foi le jeu de ParcourSup, ne sont « ouverts » qu’une infime minorité de dossiers – ceux des bacs non « adéquats » ou des réorientations par exemple. Et pour cause : il est impossible de traiter les 7 millions de vœux qui ont été enregistrés sur ParcourSup [1]. Le storytelling de l’examen individualisé des dossiers, mis en exergue par le pouvoir politique et mis en scène par des médias complaisants [2], est un mensonge patent à l’égard des lycéens, des parents d’élèves et des enseignants.

Pour faire face, diverses solutions ont été trouvées. À l’université de Versailles-Saint-Quentin, les chefs de clinique-assistants des hôpitaux (des médecins hospitalo-universitaires vacataires) ont été réquisitionnés pour noter les CV et les lettres de motivation, tandis que les professeurs de 1ère année s’occupaient des appréciations données aux lycéens. Parfois, devant le refus des enseignants-chercheurs de participer à ce tri, les personnels administratifs sont mis à contribution. Dans certaines universités, des primes sont distribuées en toute opacité à ceux qui acceptent de faire le travail, alors même que partout, le manque de moyens dans l’enseignement supérieur se traduit par la fermeture de formations et la diminution des heures de cours. Dans d’autres universités, des commissions, estimées récalcitrantes, sont défaites et remplacées par des commissions instituées et contrôlées par des membres des directions présidentielles [3]. À moins que ce ne soit le recteur qui, tel le préfet d’un autre temps, ordonne à l’université, à Créteil par exemple, de se débrouiller pour constituer les commissions, quelle qu’en soit la composition.

3. La folie des vœux non-hiérarchisés

Conséquence de la non-hiérarchisation des vœux des candidats et du calendrier échelonné jusqu’en septembre (voir ci-dessous), les meilleurs lycéens vont truster les formations sélectives et les mieux cotées, tandis que la plupart devront attendre que des places se libèrent pour être assurés de leur inscription, lorsqu’ils n’auront pas choisis, par précaution, une filière qui n’était pas leur vœu véritable, voire une formation privée. Les rectorats commencent d’ailleurs à préparer la mauvaise surprise du 22 mai 2018 à coup d’ « éléments de langage » (sic) qui en disent long sur la situation réelle : l’anxiété des candidats et de leurs parents, la possibilité de l’échec, l’invraisemblable complication de la procédure, la gestion de l’hypocrisie quant aux « préférences » des lycéens…Ce processus profondément anxiogène laissera les moins bons étudiants, notamment les bacs pros, qui n’auront pas d’affectation à la rentrée, dans les mains des recteurs : à ces derniers de les inscrire là où il restera des places… dans les universités et les filières les moins demandées. ParcourSup ne sélectionne donc pas seulement les étudiants, il met en concurrence les formations et les universités.

Autre conséquence, le fait que les affectations définitives de nombre d’étudiants ne viendront que très tard perturbera immanquablement la rentrée dans les filières non sélectives et dans les universités moins demandées. La réforme en cours va ainsi réussir le tour de force de conférer tous les inconvénients d’un système sélectif – sans aucun de ses éventuels « avantages » – à un système français qui l’est déjà bien assez : 40% des filières proposées dans l’ESR sont sélectives et l’on peut remarquer au passage que, dans ces filières, la trop fameuse « sélection par l’échec » en première année n’émeut personne.

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4. Il n’y aura pas de place pour tout le monde

Le ministère a longtemps insisté sur le fait que tous les candidats auraient une place, avant de faire marche arrière [4]. Un gros mensonge a en effet été proféré sur l’augmentation des capacités d’accueil dans les universités à la rentrée prochaine, alors qu’aucun moyen réel n’était prévu pour cela : les capacités d’accueil ont été déterminées simplement en ajoutant 10% aux effectifs de l’année précédente directement au niveau rectoral [5]. Plus grave, F. Vidal a sciemment menti sur le nombre d’étudiants supplémentaires à la rentrée 2018 qui, selon une note interne, pourrait croître de 65 000, dont 34 000 en université, au lieu des 19 000 annoncés jusque-là [6].

Cette absence de moyens et cette hausse des effectifs vont se traduire de deux manières pour les lycéens qui ne se verront répondre que « oui si » à leurs vœux. Ceux qui seront finalement pris grâce à des désistements entreront dans des parcours sans aucune obligation de remédiation contrairement à ce qui a été annoncé. Mais pour tous ceux qui, en raison de l’augmentation du nombre d’étudiants, ne verront pas de places se libérer, la réponse sera bien « non ». Avec éventuellement repêchage du rectorat qui les enverra dans une tout autre filière où il restera une place, en tenant compte – ou pas – de leur « préférence secrète ».

Quand ils existent, les dispositifs de remédiation, rappelons-le, sont l’objet d’un financement ponctuel – une « enveloppe » pour 2018 – et dérisoire au vu des besoins en postes et en heures dans les universités [7]. Ces dispositifs doivent être organisés en ignorant tout des données concernant les inscrits, données qui ne seront finalisées qu’une fois la rentrée commencée.

Encore n’avons-nous listé ici que les conditions de la mise en place de ParcourSup, sans même évoquer ce sur quoi toutes les analyses sérieuses s’accordent, instruites de l’expérience d’autres pays et des filières déjà sélectives : la réforme accroît les inégalités sociales dans l’enseignement supérieur.

5. L’autoritarisme contre les libertés universitaires

À cette situation insupportable créée par le gouvernement s’ajoutent l’attitude de certaines présidences d’universités méprisant les décisions souveraines de composantes ou d’UFR, et la répression du mouvement étudiant – violation quotidienne des franchises universitaires et violence policière inacceptables. La banalisation du recours aux forces de l’ordre a conduit à des dizaines d’interventions sur les campus, sans doute plus en quelques semaines que dans les vingt dernières années cumulées. Par la volonté du gouvernement et des présidents d’université que les examens se passent dans n’importe quelle condition et quelle que soit la réalité des cours ayant eu lieu, on a assisté à des scènes impensables jusqu’alors : examens sous la « protection » de vigiles ou de policiers (à Lille), « tri » des étudiants au faciès à l’entrée des salles ( Strasbourg), délocalisations des salles d’examen se faisant du jour pour le lendemain, étudiants tenus de composer dans des bâtiments encerclés de CRS parfois dotés d’armes lourdes, sans même parler des centaines de policiers et de CRS mobilisés pour expulser les étudiants pacifiques occupant des universités (Tolbiac, Grenoble ou Toulouse).

Comment de telles dérives ne pourraient-elles pas laisser de traces ?

6. La rentrée est en danger

Tous ces éléments mettent en évidence la gravité de la situation. Seule l’accoutumance à la détérioration progressive de nos métiers et une volonté largement partagée par tous les personnels de continuer à faire fonctionner l’université dans l’intérêt des étudiants ont pu jusqu’à présent faire accepter l’inacceptable.

Mais la coupe est pleine [8]. Jamais un gouvernement n’avait témoigné d’un pareil mépris, tant pour les universitaires et leur travail que pour les étudiants et leurs études. L’augmentation massive du nombre d’étudiants à partir de la rentrée 2016 était parfaitement prévisible et programmable. Néanmoins, rien n’a été fait pour la préparer. Cela nous dit quelque chose sur les priorités des gouvernements successifs. Tout le monde est d’accord depuis plusieurs années sur le montant des budgets nécessaires (1,5 milliards annuels a minima) pour maintenir les choses en l’état, mais le gouvernement actuel propose royalement 200 millions par an ! Sans doute l’enseignement supérieur et la formation des jeunes ne sont-ils pas des enjeux assez importants aux yeux des « décideurs ». Si le chaos universitaire n’est pas un problème pour le gouvernement, c’est qu’à ses yeux, l’essentiel se passe ailleurs, dans les lieux de formation qui assurent la reproduction sociale des élites.

Mais pour nous, qui allons faire face en septembre prochain à une désorganisation administrative importante, à de possibles surcharges des effectifs, à un manque toujours plus fréquent d’enseignants et d’administratifs, à un désordre qui obèrera toute mise en place pédagogique cohérente dans les premières semaines, à des étudiants massivement orientés dans des filières qui n’avaient pas leur préférence, au risque d’une démotivation immédiate, à des insuffisances budgétaires criantes, la question de la possibilité même de faire la rentrée 2018 est posée.

Parce que nous aimons notre métier et que nous sommes soucieux de l’avenir de nos étudiant.es, contrairement à nos dirigeant.e.s, nous n’accepterons pas de cautionner l’immense gâchis qui se prépare.


[1Comprenant les filières sélectives ; soit une hausse de 6,8 % par rapport à 2017. Le nombre moyen de vœux par candidat s’établit quant à lui à 7,9 vœux par candidat. À raison de 10 minutes par dossier, au moins deux enseignants-chercheurs (pour faire une commission) devraient travailler 166 heures pour classer les candidats dans une formation qui aurait reçu 1000 vœux : http://lesupenmaintenance.blogspot.fr/2018/01/parcoursup-du-virtuel-au-reel-lettre.html.

[3Par exemple à Nanterre, les commissions de sociologie et de géographie.

[4Parcoursup : la ministre a-t-elle menti ? - Marie Piquemal, Libération, 15 avril 2018.

[5Julien Gossa : http://blog.educpros.fr/julien-gossa/2018/04/08/parcoursup-comment-creer-des-places-a-luniversite-dun-coup-de-baguette-magique/ : « Non, il n’y a pas ‘10,2% de places en plus à l’Université de Strasbourg’, mais ‘les capacités d’accueil de l’Université de Strasbourg ont été fixées à 10,2% au-dessus de ses effectifs de l’an dernier’, ceci sans rapport avec un quelconque financement, ni considération pour le nombre de salles, de chaises ou d’enseignants. »

[6http://www.lemonde.fr/campus/article/2018/05/02/les-effectifs-etudiants-pourraient-croitre-de-65-000-a-la-prochaine-rentree_5293491_4401467.html. Il n’est évidemment pas envisageable que cette hausse démographique n’ait pas été anticipée auparavant. Elle correspond aux cohortes connues des effectifs des lycéens.

[7Un exemple, analysé par le SNESUP, à l’échelle de toute l’université de Bourgogne : « 6 postes seraient ‘créés’ alors que pour la campagne d’emplois 2018 à l’uB, sur 84 postes vacants pour les BIATSS, seulement 3 ont été mis au concours (71 pourvus en CDD), et sur 82 postes d’enseignants ou enseignants chercheurs vacants, seulement 9 ont été mis au concours (11 pourvus en CDD) ».

[8Certaines communautés universitaires ont décidé de tout arrêter, et des EC ont déjà pris des décisions individuelles radicales « Des individus face à Parcoursup s’expliquent, se révoltent et se lancent » - mai 2018.