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Chili : « On parlera de cette "révolution féministe" dans les livres d’histoire » - Libération, Justine Fontaine (Correspondante à Santiago), 5 juin 2018
mercredi 6 juin 2018, par
« No es no, qu’est-ce que t’as pas compris, le N ou le O ? »
Né à l’université de Valdivia au milieu du mois d’avril, le mouvement des étudiantes contre le harcèlement et les agressions sexuelles a pris une ampleur inédite dans ce pays très catholique. Une vingtaine d’établissements sont aujourd’hui bloqués et une nouvelle manifestation est prévue ce mercredi.
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« On nous tue, on nous viole, et personne ne fait rien ! » « No es no ["non c’est non"], qu’est-ce que t’as pas compris, le n ou le o ? » Dans les rues chiliennes, depuis près d’un mois, ce sont les voix féminines qui portent le plus. Malgré le froid perçant de cette fin d’automne austral, quelques étudiantes s’affichent seins nus, des messages féministes peints sur le corps. « Il y a des dizaines de cas d’agressions, de harcèlement sexuel à l’université, mais on n’a pas de texte satisfaisant pour protéger les victimes et sanctionner les agresseurs. On est tellement en colère qu’on n’avait pas d’autre choix que de se mobiliser », lâche Constanza Quinteros, étudiante en gestion à l’Université du Chili. Le 16 mai, la manifestation à l’appel de la Confédération étudiante chilienne (Confech) a réuni 25 000 personnes à Santiago selon la police, 150 000 selon les organisatrices. Une mobilisation pour les droits des femmes d’une ampleur inédite depuis la dictature de Pinochet (1973-1990). Une nouvelle manif est prévue ce mercredi.
Le mouvement a commencé mi-avril dans le sud du pays, à l’université de Valdivia. Accusé de harcèlement sexuel envers une employée de l’université, un prof a simplement été changé de poste. Pour protester contre cette décision, les étudiants ont décidé d’occuper leur établissement. Dix jours plus tard, c’était au tour de la prestigieuse fac de droit de l’Université du Chili, à Santiago. Là, l’ex-président du tribunal constitutionnel, qui est aussi professeur, est accusé d’avoir harcelé sexuellement une étudiante. A l’issue d’une enquête interne, il a été suspendu pour trois mois pour « atteinte à la probité ». A ce jour, le règlement de l’université ne permet pas de sanctionner un cas de harcèlement entre un professeur et un élève, assure le doyen. « Nous avons décidé de nous emparer de ce cas, qui illustre bien ce qui nous arrive en tant que femmes depuis des années, raconte Danae Borax, l’une des porte-parole des étudiants de la faculté. On s’est dit qu’on devait montrer que ce genre de situation n’est plus acceptable. Et on a décidé d’occuper la fac », poursuit-elle, assise dans la cour de la faculté de droit, à côté des banderoles de la dernière manifestation.
« Solidarité et confiance »
Dans les jours et les semaines qui suivent, plus de 20 universités et lycées du pays ont suivi le mouvement. Même la très conservatrice Université catholique de Santiago a été occupée pendant quelques jours, une première depuis plus de trente ans. En 2016, dans 10 universités (sur 43), 228 cas de violences sexuelles ont été dénoncés auprès des représentants étudiants chargés du suivi des questions de genre et de sexualité. Des chiffres parcellaires, selon les militantes. A l’Université de Santiago, « nous avons déjà reçu 80 plaintes cette année », assure Amanda Mitrovich, étudiante et porte-parole de la Coordination féministe étudiante (Cofeu), créée il y a deux ans. « Dans chacune dans nos universités, nous avions de nombreux cas et nous cherchions à gérer ça, poursuit la militante de 20 ans, assise sur un banc du campus - quasi désert - de l’université en grève depuis plusieurs semaines. On s’est vite rendu compte que les règlements intérieurs ne fonctionnent pas, et qu’au Chili, le harcèlement sexuel n’est puni par la loi que dans le cadre de relations de travail », pas s’il a lieu entre un prof et son étudiant(e), ni en dehors de l’université.
Au début du mouvement, les étudiantes ont organisé des assemblées réservées aux femmes. « Elles ont servi d’exutoire à beaucoup d’étudiantes. Certaines ont raconté les violences qu’elles avaient subies, témoigne Tamara Catalan, entrée cette année à l’Université de Santiago. Ça a été un moment de solidarité et de confiance entre femmes. » Dans cet établissement, qui participe à presque toutes les mobilisations, les messages féministes se sont fait une place sur les murs : « Non au harcèlement », lit-on ici ; « Marre de porter le fardeau machiste », un peu plus loin.
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