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Remarques de SLU à propos de l’arrêté sur le cahier des charges des grades universitaires du 25 février 2020 : bienvenue aux bachelors !
mardi 10 mars 2020, par
Un arrêté du 27 janvier 2020 relatif au cahier des charges des grades universitaires de licence et de master a été publié au JORF du 25 février 2020.
Il abroge et complète celui du 22 janvier 2014 en précisant les critères sur lesquels les demandes des établissements souhaitant voir valider leurs diplômes seront examinés.
Très ancienne revendication de l’enseignement privé catholique, l’arrêté du 25 février 2020 prévoit que le ministère examinera désormais les demandes des établissements privés qui voudront voir reconnaître leurs cursus à Bac+3 comme des licences, et Bac+5 comme des Master.
La revendication était également portée depuis quelques années par les Grandes écoles. Mais le Conseil d’Etat, dans une décision du 7 juin 2017, avait rejeté le recours de la Conférence des grandes écoles (CGE) contestant les décisions ministérielles liant la capacité à délivrer un diplôme national de master (DNM) au statut de l’établissement d’enseignement. Cette décision a en principe, réglé une question de droit ancienne, en affirmant le fondement législatif du monopole de délivrance des diplômes par l’État.
L’abrogation de l’arrêté du 22 janvier 2014 contourne la question de fond en permettant une négociation entre le ministère et les établissements privés, dans un contexte où les bachelors des Grandes écoles se sont multipliés, captant une partie des bacheliers au détriment des Classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE). "Les classes prépa n’ont plus le monopole du prestige post-baccalauréat" titrait complaisamment Le Monde, le 15 janvier 2020. La concurrence s’exerce également au détriment des Instituts d’Administration des Entreprises (IAE) publics.
"Depuis 1998, les effectifs du privé ont augmenté de 76 %, soit 191 000 étudiants supplémentaires ; dans le même temps, le public a connu une croissance de 6 %. Si bien que la part de l’enseignement supérieur privé atteint 19 %. Et ce sur tout le territoire. Dans les académies de Bordeaux, Lille, Lyon, Nantes, Nice, Paris ou Versailles, le privé rassemble même de 20 % à 30 % des étudiants.", notait encore Le Monde en mai 2019 en attirant l’attention sur la course aux labels à laquelle se livrent les Etablissements supérieurs privés, reconnus ou non d’utilité publique.
C’est pour répondre à cette nouvelle configuration qu’une mission a été constituée, menée par Jacques Biot, ancien président de Polytechnique, et Patrick Lévy, président de l’université Grenoble-Alpes, afin de définir les critères suivant lesquels les bachelors pourraient entrer dans la diplomation étatique.
Les Grandes écoles de gestion, d’économie et de marketing négocient d’ores et déjà pour que leurs cursus figurent dans Parcours Sup dès la rentrée 2021. Parcours Sup fera donc à l’avenir apparaître comme "filières d’excellence" ces licences privées d’un nouveau type, les licences universitaires restant non sélectives... donc non excellentes dans le système de valeur porté par l’ensemble des réformes de l’ESR.
Le cahier des charges prévu par le nouvel arrêté, en multipliant les critères, alourdira considérablement le travail des concepteurs des "maquettes" de diplômes, des responsables et des équipes pédagogiques, alors même que la pesanteur bureaucratique et l’imposition de techniques issues du marketing ne cessent d’amputer le temps consacré à la pédagogie et au suivi des étudiants. La nov’langue utilisée dans le texte (cahier des charges, compétences, critères de qualité) est caractéristique d’une vision marchande de l’enseignement, dénoncée au CNESER par le Snesup.
Petit aperçu.
Sept critères de reconnaissance des futurs diplômes de licence et master sont définis pas le nouvel arrêté :
1. Garantir la qualité académique et un adossement à la recherche
Où il est affirmé que : "Le lien entre la formation et les activités de recherche et d’innovation contribue à garantir le niveau de qualité souhaité pour la collation du grade et l’actualité des savoirs et compétences enseignés."
Pour le grade de licence, il est question d’initiation à la recherche.
Pour le grade de master, il est question de "partenariats engagés avec des unités de recherche reconnues par l’État" ; "d’implication de l’équipe pédagogique dans les travaux d’unités de recherche évaluées" ; "de la formation à la recherche et par la recherche des étudiants".
[bleu] SLU : L’adossement à la recherche et la formation à la recherche et par la recherche deviennent des éléments clefs pour accréditer les diplômes universitaires. C’est un des moyens préconisés par la mission sur les bachelors pour trier dans l’offre privée. On ne peut que s’en féliciter : dans un autre contexte que celui que nous traversons, il pourrait s’agir de ramener vers la recherche des étudiants engagés dans différentes voies par la création de passerelles.
Mais dans le contexte actuel où il s’agit de permettre à des bachelors de devenir des licences, il est à craindre que les Écoles supérieures ne fassent simplement appel aux universitaires pour saupoudrer de quelques heures leurs cursus. Quant aux Masters, c’est un appel indirect à l’investissement des entreprises dans des programmes de recherche centrés dans des établissements privés.[/bleu]
[bleu]Une autre question se pose à l’énoncé particulier concernant les Masters du partenariat nécessaire avec des "unités de recherches reconnues par l’État". Un courrier de la DGESIP du 16 avril 2019 annonçait la fin de la labellisation nationale des Équipes d’accueil (EA) - mais non de leur évaluation par le HCERES - afin de laisser aux universités le soin de reconnaître et financer leurs unités, au nom de la mal nommée autonomie. Une hypothèse serait que tout Master devrait désormais être adossé à une UMR ou bien que l’équipe pédagogique d’un Master devrait nouer un partenariat avec une UMR, indépendamment de son rattachement à une EA. Du grain à moudre pour les juristes.[/bleu]
2. Préparer l’insertion professionnelle
Où, outre les stages déjà présents dans les cursus actuels et "l’approche par compétences", il est affirmé que : "Pour répondre aux exigences du marché du travail en matière d’insertion mais aussi, le cas échéant, aux besoins émergents de nouvelles filières et de nouveaux métiers, la présence de représentants du monde socio-économique au sein de l’équipe pédagogique comme l’existence de relations formalisées avec le monde professionnel concerné par la formation sont nécessaires."
[bleu]SLU : Jusqu’à présent, des professionnels étaient amenés à siéger dans les "conseils de perfectionnement" destinés à définir les stratégies des diplômes. Le HCERES s’est fait le chantre de ces conseils de perfectionnement dans les précédentes campagnes d’évaluation. Voici donc les professionnels intégrés directement dans les conseils pédagogiques : auront-ils leur mot à dire sur les méthodes et les contenus des enseignements ?[/bleu]
3. Favoriser la réussite de tous les étudiants
Un nouvel accent est mis sur l’inclusion des étudiants en situation de handicap :
"Les formations sont adaptées aux besoins particuliers des étudiants en situation de handicap. Elles mobilisent à cet effet les ressources et les outils disponibles, dont les moyens numériques."
[bleu]SLU : Depuis la loi de 2005, les universités ont mis en place des missions Handicap et ont tenté de se mettre en conformité avec les normes souhaitables pour intégrer tous les étudiants. Cependant, en la matière, comme en d’autres comme l’égalité des sexes et la lutte contre le harcèlement, le travail repose essentiellement sur l’engagement volontaire des membres du personnel, agents ou enseignants, qui y consacrent leur temps et leur énergie, dans un contexte de pénurie de postes.[/bleu]
4. Définir une politique sociale pour permettre l’accès de tous à la formation
Où il est affirmé que : "L’établissement s’appuie tant sur les dispositifs mis en place par l’État que sur sa politique spécifique. Cette politique sociale intervient dans le champ de l’aide sociale, visant à corriger les disparités de revenus, mais aussi, le cas échéant, dans le champ du logement, de la restauration, de l’accès à la culture ou de la mobilité géographique nationale ou internationale. Modalité d’acquisition de connaissances et de compétences, la voie de l’apprentissage peut favoriser la diversité sociale au sein de la formation présentée."
[bleu]SLU : En matière de politique sociale, les universités ont un champ d’action extrêmement contraint par leur situation financière. Paradoxalement, du fait de leurs liens avec les entreprises privées et leurs droits d’inscription élevés, et parfois de leur lobbying auprès des collectivités locales, les Écoles supérieures pourraient être mieux positionnées pour remplir ce cahier des charges.[/bleu]
5. Inscrire son offre de formation dans la politique de site
Où il est écrit : "La participation de l’établissement à une politique de site au sens de l’article L. 718-2 du code de l’éducation ou de l’ordonnance n° 2018-1131 du 12 décembre 2018 relative à l’expérimentation de nouvelles formes de rapprochement, de regroupement ou de fusion des établissements d’enseignement supérieur et de recherche peut être mobilisée pour garantir la participation significative d’enseignants-chercheurs aux formations et répondre aux impératifs de qualité fixés au titre de l’adossement à la recherche."
Mais où il est aussi question de "non-concurrence du diplôme" d’un établissement avec "l’offre de formation des différents établissements du site".
[bleu]SLU : Le nombre des heures effectuées par des enseignants-chercheurs des établissements publics du site dans les cursus n’est pas nettement défini ici. Sur un site régional donné, il pourra se faire que, grâce à leurs moyens financiers et à l’aspiration d’une part des heures effectuées par les enseignants chercheurs des universités ou à la création de charges d’enseignement pour les doctorants (dont le diplôme n’est pas encore délivré par le privé), les Écoles supérieures réussissent à imposer leur diplôme au détriment du diplôme public grâce au jeu de la concurrence (appelé ici principe de non-concurrence des diplômes).[/bleu]
6. Favoriser la mobilité internationale
Où il est précisé : "Compte tenu des freins financiers à la mobilité, la politique sociale en la matière complètera le volet 4 précédemment énoncé."
[bleu]SLU : Les bachelor doivent souvent leur popularité aux promesses de formation "à l’international". Quelle université pourra consacrer un budget conséquent à la mobilité internationale de ses étudiants ?[/bleu]
7. Mettre en œuvre une démarche qualité afin d’assurer l’amélioration continue de la formation
Où l’on lit : "Des dispositifs d’évaluation de la formation sont mis en œuvre dans le cadre d’une démarche qualité au sein de l’établissement. Ils sont définis par l’établissement et procèdent notamment d’enquêtes régulières, en cours et en fin de formation, auprès des étudiants. Ils peuvent faire appel à des experts extérieurs."
[bleu]SLU : Revoilà donc le "conseil de perfectionnement propre à la formation" mais également les "experts extérieurs". Qui est désigné ici ? Des collègues dont on va encore alourdir la charge de travail administratif ou bien des cabinets de conseils privés ? Rappelons que les enquêtes sur le devenir des étudiants sont lourdes à réaliser et se heurtent au manque de moyens des services de scolarité des universités. Il existe déjà pour certaines disciplines des cabinets spécialisés dans l’écriture de projets ANR que les chercheurs n’ont pas le temps d’écrire.Il est probable que les besoins en statistiques généreront de telles offres de service.[/bleu]