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Les Français se fient à la science, pas aux chercheurs, Bernard Le Hir, Le Monde, 16 juin 2011
mercredi 15 juin 2011
A la question "Avez-vous confiance dans les scientifiques pour dire la vérité sur les résultats et les conséquences de leurs travaux ?", une minorité de Français répond par l’affirmative. C’est l’enseignement le plus marquant –et le plus inquiétant – de l’enquête Ipsos, effectuée pour le magazine La Recherche et pour Le Monde, sur les rapports qu’entretiennent les Français et la science. Ses résultats seront présentés, jeudi 16 juin, lors du forum "Science, recherche et société", organisé par les deux publications au Collège de France.
Les organismes génétiquement modifiés (OGM) et le nucléaire sont les champs de recherches dans lesquels la parole des scientifiques est la plus dévalorisée : un sondé sur trois seulement lui accorde crédit. S’agissant du climat, la confiance l’emporte sur la suspicion, mais de justesse. Dans ces trois domaines, les Français s’estiment particulièrement au fait des enjeux, ce qui rend leur opinion d’autant plus significative.
Sur d’autres sujets – nanotechnologies, neurosciences ou cellules souches –, à propos desquels ils se disent mal informés, la confiance prévaut sur la défiance, mais reste toutefois sous la barre des 50 %. De tous les thèmes cités, celui des énergies nouvelles est le seul où la sincérité des chercheurs emporte la conviction.
Ce discrédit peut sembler paradoxal. Dans le même temps, en effet, les trois quarts des sondés estiment que "la science et la technologie apportent des solutions aux problèmes que nous rencontrons aujourd’hui". Ils pensent, très massivement, qu’elles permettront un jour de guérir les grandes maladies du siècle – sida, cancer, Alzheimer –, mais aussi, pour la plupart, de prévoir les catastrophes naturelles, de résoudre les problèmes de famine et d’accès à l’eau dans le monde et, pour plus de la moitié, d’apporter une solution au réchauffement climatique.
En outre, les citoyens font largement confiance à la communauté scientifique pour "expliquer les enjeux de la recherche et les débats qu’ils peuvent susciter". Les chercheurs sont sur ce point plébiscités (92 %), tout comme le principal organisme public de recherche, le CNRS (86 %), devant les médecins (84 %), les enseignants (65 %), les journalistes scientifiques (64 %), les associations de protection de l’environnement (63 %) et les comités d’éthique (60 %). A l’inverse, les députés spécialisés dans les questions scientifiques et, plus encore, le gouvernement, sont totalement décrédibilisés, avec des scores calamiteux de 26 % et 18 %.
"Au-delà d’une attitude très positive vis-à-vis de la science en général, dès que l’on aborde les sujets concrets, le degré de confiance devient extrêmement variable, commente Brice Teinturier, directeur général délégué d’Ipsos. La confiance n’est plus donnée spontanément. Elle dépend du niveau d’information et des risques perçus." C’est le cas pour le nucléaire, dont les dangers sont avérés, ou pour les OGM, dont les bénéfices ne sont pas établis. Près d’un Français sur deux (43 %) estime ainsi que "la science et la technologie produisent plus de dommages que d’avantages", et à peine plus d’un sur deux (56 %) considère que grâce à elles, les générations futures auront une vie meilleure.
Il apparaît aussi – même si la question n’a pas été explicitement posée – que le taux de confiance est le plus bas dans les domaines où l’indépendance des chercheurs, à l’égard du pouvoir politique ou de l’industrie, est cruciale. C’est le cas, là encore, pour les OGM ou le nucléaire. Ainsi, concernant l’audit de sûreté des centrales demandé par le gouvernement à la suite de l’accident de Fukushima, 72 % pensent que "les scientifiques ne pourront pas travailler de façon indépendante" et que "leurs résultats seront sujets à caution".
S’il existe, observe Brice Teinturier, "une fêlure profonde" dans le rapport des Français à la science, le divorce n’est pas pour autant consommé. Leur appétence pour la connaissance reste grande. A 93 %, ils jugent "important de connaître les enjeux de la recherche pour comprendre les évolutions de la société", et 80% estiment que les citoyens sont insuffisamment "informés et consultés" sur ces dossiers. Après l’actualité internationale, l’actualité scientifique arrive même en tête de leurs centres d’intérêt, à égalité avec les sujets culturels et loin devant la politique, l’économie ou le sport.
Signe de cette maturité, ils sont près de neuf sur dix à considérer, en dépit des campagnes climato-sceptiques, que "l’homme a un impact important sur le réchauffement climatique". Reste que les chercheurs vont devoir s’interroger sur la façon de remédier au grave soupçon qui, sur les sujets sensibles et controversés, pèse sur leur objectivité. La question interpelle la société tout entière.
Pierre Le Hir
Voir en ligne : http://www.lemonde.fr/planete/artic...