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Laurent Wauquiez et l’indignation matinale du jeune chercheur - Thomas U, Rue 89, 30 novembre 2011
mercredi 30 novembre 2011
Ce matin sur l’antenne de France Inter, « mon » ministre de tutelle, Laurent Wauquiez, pourtant chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche, était interrogé sur les récentes déclarations de son collègue Claude Guéant et sur les « classes moyennes », sujet de son dernier livre. Il a dû attendre d’être interrogé par les auditeurs pour que le dialogue se concentre sur sa seule vraie mission : une auditrice l’interpelle au sujet du retard pris dans le paiement des bourses aux étudiants défavorisés, et lui demande –probablement par malice– si lui a bien perçu son salaire de ministre à l’échéance.
L’essentiel est d’avoir le micro
Le ministre minimise ce retard (10 jours, dit-il), et personne dans la rédaction ne vérifiera son information dans l’immédiat : or il suffit pourtant d’une brève recherche sur Internet pour obtenir des témoignages évoquant des retards d’un à trois mois... Mais voyez-vous, il y a un moment où la vérité n’a plus vraiment d’importance : l’essentiel est d’avoir le micro.
L’essentiel est d’avoir le micro quand il s’agit de vanter la modernité bienfaisante de l » « autonomie des universités », qui semble pourtant en mener quelques-unes à la banqueroute, mais tant d’autres sur le chemin de la gloire internationale : M. Wauquiez n’affirme-t-il pas, durant le même entretien, que la dotation aux universités a augmenté de 25 %, et que l’autonomie permet aux présidents d’université de revaloriser les salaires des enseignants-chercheurs, à rendre plus attractives leurs carrières, afin de faire revenir les « cerveaux » en France ?
Que font les journalistes ?
Quand donc un journaliste ira-t-il enquêter sur ces chiffres ? Car la réalité sur le terrain est toute autre : si l’enseignement supérieur est la « priorité des priorités » du gouvernement, se destiner à une telle carrière, dans une discipline intéressant peu les investissements privés – en sciences humaines certes, mais aussi probablement dans tout ce qu’on appelle ailleurs la « recherche fondamentale » – relève d’un choix aussi hasardeux que de vouloir se lancer dans l’art conceptuel contemporain – c’est un récent article paru dans L’Express qui m’a évoqué ce parallèle. Pourtant, si le budget de l’université française a augmenté, comme l’affirme M. Wauquiez, de 25 % et que, dans le même temps, les enseignants-chercheurs ne perçoivent pas d’augmentation de leur traitement, on pourrait supposer une vague de recrutements massifs dans ce secteur. Cela irait d’ailleurs dans le sens du « plan licence » de Valérie Pécresse, prédécesseur de M. Wauquiez, qui affirmait devant les mêmes micros de France Inter il y a encore peu de temps que la réussite des étudiants en première année passait par une augmentation sensible de l’encadrement par le corps enseignant.
Les chercheurs et enseignants, variables d’ajustement
C’est étrange, car cette idée a été émise en même temps que, dans mon parcours personnel (doctorant en quatrième année en sciences humaines), j’ai découvert non pas la réalité du marché de l’emploi universitaire, que je percevais déjà bien sûr comme une foire d’empoigne avec beaucoup de candidats et peu d’élus, mais l’incroyable facilité avec laquelle l’université française transformait les chercheurs et enseignants qu’elle avait elle-même formé en variable d’ajustement. On comprendra, pour cette raison et à la lecture de ce qui suit, que je préfère garder l’anonymat.
Car enfin, pour espérer entrer un jour dans le sérail, un doctorant ou un nouveau docteur, soit tous ceux qu’on appelle généralement les « jeunes chercheurs », doivent avoir enseigné à l’université : c’est en tout cas ce qui se dit. Or il n’existe pas quatre chemins pour cela ; il en existe trois.
Tout d’abord un doctorant sous contrat peut accepter d’enseigner pendant toute la durée de son contrat doctoral, soit trois ans (c’est ce qu’on appelle un « moniteur »), mais les places sont généralement rares, et il y a très peu de doctorants sous contrat dans les disciplines purement académiques (sciences humaines, recherche fondamentale en sciences dites « dures »). Au passage, les doctorants sans contrat forment un cortège d’étudiants engagés dans un cycle de formation professionnelle où ils travaillent de fait (recherche, articles, conférences, etc.) sans rémunération, même symbolique, de l’institution qu’ils servent. Merci pour eux.
Ensuite, un doctorant en fin de thèse, ou un jeune docteur fraîchement diplômé, peut aussi candidater à des postes d’attachés temporaires d’enseignement et de recherche (les A.T.E.R.) : cela se fait au cours d’une campagne de recrutement particulièrement humiliante, où les universités « autonomes » attendent, toutes selon leur propre calendrier, que les postulants leur envoient des dossiers d’une quinzaine de pièces chacun (allant jusqu’à la carte vitale et le certificat de scolarité de la première année d’inscription en doctorat) pour des postes dont les profils ne sont quasiment jamais publiés, et tous seulement « susceptibles d’être vacants ». Bien évidemment, les réponses à ces courriers, même négatives, sont extrêmement rares : les dossiers ne seront d’ailleurs pas lus. Les postes d’A.T.E.R. ne seront pas créés (la majorité des cas dans ma discipline cette année) ou réservés à ceux qu’on appelle dans le jargon universitaire les « candidats locaux », soit ceux qui connaissent directement les personnes chargées du recrutement. Le précieux sésame, le poste d’A.T.E.R., n’est pourtant qu’un C.D.D. d’un an renouvelable une fois. Les hordes de doctorants et de docteurs se battent donc officiellement pour des miettes.
Enfin, pour les autres, il reste les « vacations » : sous ce terme qui, dans le droit du travail, est supposé désigner une mission ponctuelle se cache, à l’université, des contrats de six mois – une charge de cours pour un semestre – qui n’ouvrent droit ni au chômage, ni à aucune cotisation à la retraite, et pour lesquels la rémunération même est semestrialisée : le salaire est touché en une seule fois, au moins six mois après la fin du contrat (et ça, c’est la « normale »), contrat que le « vacataire » n’aura d’ailleurs souvent jamais vu et jamais signé. Enfin, le « vacataire » doit s’acquitter lui-même de sa couverture maladie : ou il est en âge d’être inscrit à la sécurité sociale étudiante (moins de 28 ans), ou il faut qu’il ait un « employeur principal » autre que l’université. Ce dernier cas épineux a beaucoup été simplifié par la création récente du statut d’« auto- entrepreneur » : étudiants en sociologie ou en mathématiques, votre chargé de travaux dirigés est peut-être à la tête d’une petite entreprise…
Les enseignants auto-entrepreneurs
Récemment, une grande université parisienne a décidé de supprimer le statut de « moniteur » - les doctorants contractuels qui enseignent trois ans – pour ne multiplier que des contrats de vacation semestrialisés : l’heure de cours est moins chère, et l’université ne verse aucune cotisation sociale. Tous les enseignants de plus de 28 ans concernés ont donc été portés à choisir le statut d’auto-entrepreneurs… Il y a fort à parier que cette « externalisation » de l’enseignement universitaire se généralise, tant cette expérience relève assurément, aux yeux des apôtres de l’autonomie universitaire, de la bonne gestion. Il peut même être – ça a récemment été le cas – au prétexte d’un défaut budgétaire, proposé de ne pas payer les « vacataires » : ce type de suggestion est bien sûr émis une fois les heures de travail effectuées. Heureusement, il reste encore quelques syndicats dans ce secteur… Le régime des vacations ne concerne bien sûr pas uniquement le corps enseignant, mais tous les personnels de l’université, de l’administration aux bibliothèques.
Voir en ligne : http://www.rue89.com/2011/11/30/lau...