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Richard Descoings, expliquez-nous !, par des étudiants de Sciences Po, Libération, 20 février 2012
mercredi 22 février 2012
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En justifiant son salaire dans Libération [1], Richard Descoings, directeur de Sciences-Po Paris, s’est livré à un exercice décevant et déroutant. Etudiants à Sciences-Po Paris, nous souhaitons ici nous exprimer et interpeller notre directeur par voie de presse, puisque celle-ci semble être le seul moyen de se faire entendre. Certes, le bilan de Richard Descoings - que nous ne remettons pas en cause - est globalement très bon. Il a œuvré au désenclavement de la « rue Saint-Guillaume » en ouvrant l’institut à l’international et, en favorisant la diversité sociale au sein de la communauté étudiante, il a largement contribué à consolider l’insertion professionnelle des diplômés. Nous sommes fiers de faire partie d’une institution qui a su se renouveler. Pourtant, aujourd’hui, nous ne pouvons nous empêcher d’être déçus. Déçus par l’attitude de celui qui s’est imposé comme la figure médiatique symbolique de l’établissement. Suite aux révélations de Mediapart en décembre 2011, M. Descoings nous avait promis des explications. En réalité, il ne s’est jamais adressé directement à ses élèves pour leur apporter une quelconque justification. Que Richard Descoings gagne bien sa vie n’est pas en soi un problème - et si en ces temps de crise, nos dirigeants parlent sans cesse de rigueur et d’efforts partagés, il appartient à chacun d’entre nous de juger si ce salaire est excessif ou justifié.
En revanche, qu’il écrive que les étudiants qui s’indignent sont « des étudiants d’extrême gauche », qu’il affirme qu’il aurait pu « partir dans un cabinet comme partenaire » et « qu’on ne serait pas en train de discuter 25 000 euros », ou encore qu’il sous-entende que les étudiants de son institut ont pour motivation première le quadruplement de leur salaire au cours de leur carrière, cela est intolérable. Nous sommes de tous bords politiques et ne nous exprimons ici sous l’influence d’aucun parti ni d’aucun syndicat. Nous considérons que l’exercice auquel s’est livré notre directeur met en lumière les contradictions d’un personnage pourtant très apprécié. Accessible, ouvert aux discussions sur les réseaux sociaux et dans les locaux de l’établissement, le directeur est demeuré muet à l’égard des étudiants à propos des rémunérations des directeurs de Sciences-Po Paris, attitude troublante au regard de certaines valeurs qu’il défend. En effet, M. Descoings parle de « transparence », affirmant que la pratique des bonus date de 2007 et a eu pour objectif de « baisser les salaires » - alors même que son traitement mensuel s’élevait en 2005 à 17 408 euros (selon la Tribune). Est-ce l’expression de la transparence que le refus de communiquer le montant des primes versées aux cadres dirigeants, ainsi que les critères sur lesquels ces primes sont versées ? L’absence d’information n’est-elle pas révélatrice d’une forme d’arbitraire dans la répartition de ces « parts variables » du salaire ? Richard Descoings s’inscrit en faveur d’une culture de la performance, soit. Mais dans ce cas, il faut alors mener la démarche jusqu’au bout et rendre public ce qui aujourd’hui demeure l’affaire de réunions opaques. Nous, étudiants, finançons désormais une part importante du budget de l’IEP de Paris. Si, bien évidemment, l’augmentation de nos frais de scolarité n’a pas intégralement servi au versement des dites primes, la logique démocratique voudrait que nous ayons un droit de regard sur l’utilisation des fonds que nous apportons. Notre directeur défend son attitude - qu’il considère apparemment comme courageuse - d’être « resté » à la direction de l’institut plutôt que d’être parti dans le privé où il aurait pu « gagner plus ». De son point de vue, diriger Sciences-Po relèverait ainsi d’un acte de charité - « dédommagé » à hauteur de la modique somme de 27 000 euros brut par mois, sans compter la part variable - plutôt que d’un honneur - celui de diriger un établissement des plus prestigieux en France ou plus simplement d’une mission - celle de faire briller les qualités de l’enseignement français à l’étranger.
En définitive, les grands oubliés sont bien les enrichissements intellectuel et culturel que nous apportent l’institut et les opportunités professionnelles qu’il nous offre. Bien plus qu’une hypothétique perspective de doublement ou de quadruplement de notre salaire de jeunes diplômés, nous sommes venus chercher à Sciences-Po des clés de méthode, de compréhension et d’analyse du monde contemporain. Nous espérons ainsi contribuer, modestement, au bon fonctionnement et à la dynamique des institutions et entreprises nationales, européennes ou internationales. La réputation de l’école - ainsi que celle de ses étudiants - nous oblige à réagir. Nous aimerions que le fonctionnement démocratique dont se targue Richard Descoings ne soit plus seulement une façade médiatique à destination du grand public mais une réalité concrète auprès des premiers concernés : les étudiants. Si M. Descoings a largement contribué à faire d’une institution fermée et élitiste une plate-forme d’échanges et d’enrichissements culturels et sociaux à haute exigence intellectuelle, les propos qu’il a tenus récemment ont mis en lumière une facette de sa personnalité et de sa vision du monde que nous ne connaissions pas. Sciences-Po présente un très bon bilan, mais l’image de son maître d’œuvre est désormais indéniablement ternie.
Signataires : Marion Aubry, Olivier Borel, Hélène Dumez-Paytau, Céline Dupeuble, Vincent Galibert, Rémi Hattinguais, Elise Haumont, Jules Hébert, Cindy Heraud, Emmeline Heymes, Lucie Huber, Virgine Mauz, Elise Stern.
[1] Du 31 janvier.