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Quand les Facs dament le pion aux grandes écoles, Challenges, 12 avril
mardi 17 avril 2012
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Attention, cliché. Nos universités ont mauvaise presse. Voici quelques mois encore, un reportage de France 2 sur Toulouse 2-Le Mirail, intitulé "La fac poubelle", défrayait la chronique. On y voyait des hordes d’étudiants perdus, livrés à eux-mêmes, sans une place pour s’asseoir, des amphithéâtres vétustes, des bâtiments en préfabriqué... "Oui, tout cela existe, mais ce n’est qu’une toute petite partie de la réalité. Nous nous apprêtons à inaugurer un campus totalement modernisé, nous avons à cette occasion revisité tous nos cursus", explique Nicolas Golovtchenko, vice-président de Toulouse 2. Lui-même dirige un master en urbanisme dont les diplômés s’insèrent à merveille sur le marché de l’emploi.
Car c’est bien là le paradoxe : même si tout n’est pas rose - loin s’en faut -, nos universités sont engagées depuis plusieurs années dans une révolution qui bat en brèche ces clichés. Elles ont aujourd’hui radicalement changé d’époque. Une succession de réformes, du LMD, imposant le standard européen, licence (bac + 3), master (bac + 5), doctorat (bac + 8) à la loi sur l’autonomie, en passant par le plan "réussite en licence", ont bouleversé le paysage. Sans parler des pôles de recherche, des initiatives d’excellence et des Labex, qui conduisent à des fusions, mariages, regroupements entre facs, mais aussi avec des grandes écoles.
Insertion record
Académique, l’université ? "Plus d’un étudiant sur deux prépare désormais un diplôme professionnel", constatent les études ministérielles. Mieux, ces jeunes accèdent à l’emploi dans des conditions bien plus satisfaisantes qu’on ne l’aurait imaginé. Une enquête nationale, chapeautée par le ministère de l’Enseignement supérieur, vient d’en apporter pour la seconde fois la preuve. Trente mois après leur diplôme, le taux d’insertion des masters de l’université est de 91%, presque tous en emploi stable, un score très comparable à celui des diplômés des grandes écoles.
Auscultées comme elles ne l’avaient jamais été auparavant, les facs sont souvent les premières surprises par leurs propres performances. "Nous savions que nos diplômés se plaçaient plutôt bien, mais on ne s’attendait pas à ça, raconte ainsi Mohammed Bernoussi, ex-directeur de l’UFR de psychologie à l’université de Nantes. En psychologie du travail, nous atteignons les 100% !" Décomplexées, bien des universités remettent désormais leurs diplômes en grande pompe, avec toges et amphithéâtres d’honneur. Certaines n’hésitent plus à vanter leurs mérites dans des plaquettes ou des publicités. "7 bonnes raisons de choisir l’université de Poitiers", annonce ainsi une pleine page dans un quotidien national : insertion rapide des diplômés, choix des formations adossées à une recherche innovante, accompagnement, ou encore international. "Les facs attaquent le marché, assume, sans complexe aucun, Louis Vogel, président de la Conférence des présidents d’université et à la tête d’Assas. Il y a indiscutablement un grand vent de changement à l’oeuvre."
Si l’enseignement demeure adossé à la recherche, avec tous les atouts que cela peut comporter, les cursus les plus performants appliquent aussi par le menu les meilleures recettes des écoles, collant aux attentes du monde professionnel, constituant des réseaux. "Il faut qu’on soit imaginatif pour vaincre les réticences face aux formations universitaires, avance Bernard Castagnède, directeur de la faculté des sciences du Mans et responsable du master acoustique des transports et de l’environnement. Pour ce master, nous allons ainsi chercher les meilleurs experts de Nantes, Lyon et Grenoble. Nos élèves passent une semaine sur chaque site."
Entreprises converties
Alors que le grand public n’a pas encore pris conscience de ces changements, les entreprises, elles, ont déjà négocié le tournant. "Nous souhaitons ouvrir nos recrutements à environ 20% de diplômés venus de l’université, assure ainsi Jean-Marc Mickeler, responsable de la marque employeur chez Deloitte, l’un des Big Four, ces grands cabinets d’audit placés au firmament des débouchés de rêve par les étudiants. Elles ont aujourd’hui bien compris nos attentes, que ce soit Dauphine, bien sûr, mais aussi Paris 1, Nanterre, Strasbourg, Aix-en-Provence, Lyon..." De grands groupes n’hésitent plus à verser leur contribution dans les fondations que créent les universités et à s’impliquer très concrètement dans la création de formations, à l’image de Capgemini qui a mis sur pied un cursus avec Paris 13. "Nous sortons d’une culture très marquée, où les recrutements s’effectuaient massivement dans les grandes écoles, parmi ses pairs", explique Stéphanie de la Tour du Pin, responsable des relations campus à Safran. Aujourd’hui, un réseau d’ambassadeurs du motoriste, anciens de masters universitaires, sillonnent les amphithéâtres "pour nous faire connaître et augmenter le vivier de candidatures spontanées". Même à L’Oréal et chez d’autres employeurs plébiscités, la fac a désormais ses entrées.
Certes, les grandes écoles conservent une longueur d’avance en termes de salaires et de niveau de poste. Mais dans certaines spécialités, il s’en faut d’un cheveu. "Auparavant, les universitaires pouvaient se voir proposer des rémunérations inférieures de 15 à 20% à celles de leurs homologues des grandes écoles, c’est de moins en moins le cas. Les entreprises se sont aperçues qu’elles trouvaient des profils intéressants venant de la fac", constate ainsi Bern Terrel, directeur au cabinet Hudson. Et bien des programmes, comme vous pourrez le découvrir dans les pages suivantes, n’ont rien à envier au top des écoles, voire les surclassent !
Frontières estompées
Et puis, les facs jouent franc jeu. Alors que la Conférence des grandes écoles refuse de livrer ses données d’insertion selon les établissements, Dauphine, afin de mettre terme au petit jeu de poker menteur auquel se livrent certaines universités, a confié le suivi de ses diplômés à l’Apec (Association pour l’emploi des cadres) : après vingt-quatre mois, un taux d’insertion de 94%, avec un salaire moyen de 2.400 euros net mensuels et une rapidité de placement d’un petit mois...
A la faveur des rapprochements d’établissements voulus par le ministère de l’Enseignement supérieur pour rattraper notre retard dans la compétition mondiale, les barrières tombent. Pierre Tapie lui-même, président de la Conférence des grandes écoles, connu pour sa défense ardente de ce modèle d’excellence, assure désormais qu’entre une fac de droit et une école il n’y a pas de différence. "Les frontières entre les deux types d’établissement sont d e -plus en plus poreuses. Aujourd’hui, l’insertion professionnelle fait partie des missions de l’université. Tandis que les grandes écoles doivent faire de la recherche." Décidément, c’est la révolution.