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Campus France fait fuir les étudiants étrangers qu’elle est censée attirer - I. Rey, le Monde, 16 novembre 2012
samedi 17 novembre 2012
Mauvais départ pour Campus France. Après deux mois d’activité, cette nouvelle agence, créée par le précédent gouvernement et dont l’objet est de promouvoir l’enseignement supérieur français dans le monde, multiplie les ratés dans l’accueil des étudiants étrangers. Ses prétentions financières et la qualité discutée de ses prestations, auxquelles s’ajoutent la politique restrictive de visas et les tracasseries administratives faites aux étudiants étrangers non européens, ne sont-elles pas plutôt en train de les faire fuir ?
Sur les 280 000 jeunes qui viennent suivre un cursus en France, près de 10 % perçoivent une bourse du gouvernement français, de leur pays d’origine ou de fondations et entreprises privées, comme Total ou Areva. A ces quelques 28 000 étudiants, Campus France propose, moyennant finance, des facilités : hébergement, couverture sociale et gestion de la bourse d’études, dont le montant est d’au minimum 600 euros par mois.
CHANTAGE AU VISA
"L’ambassade de France à Tripoli ne délivre plus, depuis des mois, de visas à nos étudiants au motif que mon gouvernement refuse de traiter avec la nouvelle agence Campus France. C’est un chantage inacceptable pour un Etat souverain", tempête Abdallah Sassi, conseiller culturel de l’ambassade de Libye à Paris, dont le pays envoie, chaque année, 300 étudiants en France. Les tarifs de Campus France sont beaucoup plus chers : 1 000 euros par an et par étudiant, contre 600 euros en passant par le Cnous (Centre national des œuvres universitaires et sociales) pour des services en baisse.
L’accueil de Campus France est en effet "dématérialisé", avec une assistance à distance, par mail. A la descente d’avion, l’étudiant vietnamien, chinois ou kirghize est invité, par écrit, à se rendre au guichet de poste où l’attend un mandat de 600 euros, en liquide. A lui de se débrouiller !
"Nous avons besoin, pour nos boursiers, d’un accueil à l’arrivée, d’un accompagnement [...] pour répondre aux multiples imprévus qui se posent à des populations jeunes, peu francophones et habituées à un encadrement à visage humain, personnalisé. C’est une question de culture", déplorait le 27 juillet Alshiabani Abuhamoud, ambassadeur de Libye en France. Son gouvernement a donc décidé de ne pas céder au chantage des visas et de gérer en direct les bourses d’études qu’il accorde, sans passer par Campus France, dont l’intervention n’est d’ailleurs nullement obligatoire.
"Moi qui suis francophone, je suis consterné, confie M. Sassi. Les Américains, par exemple, délivrent, avant même le départ de Tripoli, un visa pour la durée de la bourse, trois ou cinq ans, qui n’a donc pas besoin, comme en France, d’être renouvelé chaque année ; les Anglais offrent des bourses d’études ; les Allemands sont aussi très ouverts et accueillent 1 000 de nos ressortissants, notamment en médecine... Pourquoi la France nous ferme-t-elle la porte au nez ?"
D’autres pays ou clients ne souhaitent pas ou plus passer par Campus France : le Chili, l’Arabie saoudite, l’Azerbaïdjan, le programme Cumex d’un consortium d’universités mexicaines, la Bolivie, l’Algérie pour les boursiers qu’elle finance. Certains hésitent, comme la Thaïlande ou l’Argentine, ou manifestent seulement leur mécontentement, comme l’Irak, le Burkina Faso, le ministère de l’éducation du Mexique, le Gabon.
GROGNE CHEZ LES UNIVERSITAIRES [1]
La grogne couve également chez les universitaires. L’Assemblée des directeurs des instituts universitaires de technologie (ADIUT) – qui attirent chaque année 1 000 étudiants venus, notamment, du Vietnam, du Gabon, du Cameroun ou de Thaïlande – se rebiffe : "Il est inacceptable que Campus France nous impose des tarifs deux fois plus élevés que le Cnous avec lequel notre partenariat permettait, en outre, d’associer efficacement accueil et hébergement. Nous refusons donc ces nouvelles conditions et avons décidé de nous occuper directement de ces boursiers", s’insurge Patrick Donnet, chargé de mission internationale de l’ADIUT.
Campus France n’est pas vraiment nouvelle puisqu’elle est issue du regroupement en un seul établissement public à vocation commerciale de trois structures : l’association Egide – qui, pour le compte des affaires étrangères, assurait l’accueil de 14 000 étudiants étrangers boursiers –, le service des activités internationales du Cnous – qui gérait lui aussi environ 13 000 bourses – et une petite structure chargée d’organiser salons et colloques qui portait déjà le nom de Campus France. La fusion, qui a mis des années à se concrétiser, a pour objectif de réaliser des économies structurelles et d’être plus efficace.
Pour le moment, la gouvernance de l’agence n’a pas été simplifiée avec 11 dirigeants. Outre le président, on compte l’ex-sénateur UMP Christian Demuynck, un directeur général, l’ancien ambassadeur Antoine Grassin, un directeur général adjoint, l’ancien recteur de l’académie d’Auvergne, Gérard Besson, proche de Laurent Wauquiez et Brice Hortefeux (et, à 65 ans, de la retraite), une directrice de communication, auxquels s’ajoutent les cinq dirigeants d’Egide et deux de l’ancienne Campus France. Le regroupement veut aussi mettre fin à une rivalité (ou une saine concurrence, selon le point de vue) entre Egide et le Cnous avec un seul opérateur pour gérer les bourses des étudiants étrangers, une activité assez lucrative.
"UNE GESTION BOUTIQUIÈRE"
Le Cnous estime avoir une légitimité dans l’assistance aux étudiants étrangers et admet mal d’être dépossédé de cette mission. Grâce à ses 28 centres régionaux et 40 antennes dans les campus, sans oublier son comptoir permanent à l’aéroport de Roissy, le Cnous assurait une présence humaine, de la descente d’avion au logement dans son parc de résidences universitaires : "Nous sommes très proches des étudiants Il n’est pas rare de voir l’un de nos directeurs se décarcasser pour dépanner un jeune en rade, plaide son directeur, François Bonaccorsi. Nous n’hésitions pas non plus à avancer des fonds que les pays ne nous avaient pas encore versés."
Alors que Campus France s’attendait à recueillir, dès septembre 2012, les 13 000 dossiers de boursiers gérés par le Cnous, il n’a, pour le moment, récupéré que les 5 800 dossiers des étudiants en cours de cursus, faute de convaincre tous ses autres clients de lui confier les nouveaux dossiers : "Ces défections s’expliquent par de multiples raisons qui ne tiennent ni à nos tarifs ni à nos prestations. Nous arriverons, peu à peu, à signer de nouvelles conventions avec ces pays", assure Antoine Grassin, nouveau directeur de Campus France. Dominique Gillot, sénatrice (PS) et, depuis mars 2012, administratrice de Campus France, qui tente, avec difficulté, d’y voir plus clair dans les relations avec les États, est moins optimiste : "Je redoute une gestion boutiquière de l’accueil des étrangers en France, sans esprit de mission de service public et de coopération internationale."
À lire dans Le Monde ici
[1] Il y avait longtemps qu’on ne nous l’avait plus sortie, « la grogne ». GRRRRRRRR…