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Sciences Po après la farce - Alain Garrigou, Blog du Diplo, 10 mars 2013
lundi 18 mars 2013
Au terme d’une année d’intrigues, Sciences Po a élu un nouveau directeur. Le premier vote avait été récusé par la ministre de tutelle ; si cette première élection ne fut pas une tragédie, la seconde fut bien une farce.
Frédéric Mion a en apparence toutes les qualités pour assurer la fonction de directeur de l’Institut d’études politiques de Paris (IEP, Sciences Po). Il a les titres de noblesse scolaire (la rue d’Ulm, Sciences Po, l’ENA) ; il n’a pas été associé à l’ancienne direction, dont certains membres vont devoir comparaître devant la cour de discipline budgétaire (risque qui avait justifié la récusation de l’élu précédent, Hervé Crès), et il a été désigné à une large majorité. La crise est-elle terminée ? En fait, rien n’a changé, puisque le mode d’élection est resté le même. Le score soviétique au conseil d’administration (CA) de la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP) n’a fait qu’enregistrer l’organisation clientéliste de la direction de Sciences Po. Les projecteurs étant braqués sur l’événement, il leur a cependant fallu manœuvrer.
Tel un lapin sorti du chapeau, un nouveau candidat a été porté au pouvoir par l’ancienne équipe dirigeante, qui l’a convaincu au dernier moment de quitter sa pantoufle dorée, le secrétariat général de Canal Plus. Il y faut du dévouement puisqu’il va devoir se satisfaire d’un moindre salaire après l’intervention de la Cour des comptes. On mesure l’improvisation quand on sait que la candidature a été présentée tardivement avec un projet écrit dont l’auteur a lui-même avoué qu’il était « faible ». La décision a été enlevée à l’oral — comme le disent tous les jurys qui habillent ainsi leur arbitraire : nul ne pourra vérifier. On a bien compris que l’ancienne équipe a intrigué pour trouver un candidat qui garantisse la continuité. Il n’est pas difficile de comprendre quel réseau a opéré quand on sait que le nouveau directeur vient du Conseil d’Etat, comme son prédécesseur Richard Descoings, et qu’il a aussi été membre du cabinet ministériel de Jack Lang. Cela indique d’autres points communs. Le fonctionnement en réseau au sommet de l’Etat a cet avantage d’être opaque. Et indicible pour ceux qui connaissent les connexions. C’est devenu aujourd’hui un grand handicap pour l’analyse de la politique : il faudra attendre, en historien. Richard Descoings avait cette particularité d’avoir usé et abusé du fonctionnement en réseau, faisant entériner ses initiatives par ses amis de la haute administration et de la politique. Sans doute cela a-t-il mal tourné. Sans empêcher que le credo de l’institution soit toujours ce fonctionnement discret conçu comme un gage d’efficacité. On y continuera donc à parler et seulement à parler de l’exigence de démocratie et de transparence. Cyniquement.
La manœuvre a été rude. Le CA de la FNSP a retenu 3 candidats sur 32, les recalés ayant une nouvelle fois reçu autant de considération que du personnel de maison présentant ses attestations de service et n’obtenant qu’un coup d’œil distrait : non, ils ne faisaient pas l’affaire. La manœuvre a viré à la farce quand un des trois candidats sélectionnés a compris que l’élection était déjà faite et qu’il faisait de la figuration. Louis Vogel, ancien président de l’université Paris II a donc retiré sa candidature en mettant dans l’embarras l’état-major qui ne disposait plus que de deux candidats, Frédéric Mion et un candidat américain. Dans les hautes sphères, il n’y a plus de ridicule et l’on recourut au repêchage d’un candidat. Deux d’entre eux refusèrent, sans doute vexés, l’un accepta — un ancien recteur qui fut proche de Richard Descoings. Et la ratification de la cooptation de Frédéric Mion put avoir lieu avec un vote indicatif du Conseil de direction de l’IEP qui partagea ses voix presque également entre deux candidats proches de l’ancienne direction (15 à Frédéric Mion contre 14 à Jean Michel Blanquer), le premier l’emportant ensuite à la quasi unanimité dans le Conseil d’administration de la FNSP avant que son « élection » soit entérinée par 18 voix contre 11 à son retour au Conseil de direction de l’IEP. Avec cette question : « Confirmez-vous votre vote indicatif ? ». Il est toujours plaisant de relire les analyses produites par Sciences Po durant des décennies sur les élections sans choix des pays totalitaires.
Il fallut même une ultime ruse de bataille pour changer tardivement, à 23 heures, le lieu de réunion du Conseil d’administration du 1er mars, afin d’éviter les manifestants. Rendez-vous fut donc donné à la Maison de la chimie pour voter avec le frisson de la conspiration. Comment s’y rendirent-ils ? Couverts d’une écharpe, le front bas ? Ce n’était sans doute pas assez loin car nul n’aime s’éloigner de ce territoire centré sur la rue Saint-Guillaume. Pas assez loin pour que le subterfuge ne fut percé. Et à la sortie, les manifestants étaient là pour conspuer les conjurés : le général corse Jean-Claude Casanova qui ne peut réprimer, assurent des étudiants, un juron bien sonné de « fanculo » si éloigné du hiératisme cardinalice qu’il aime exhiber ; Nadia Merik, la veuve du défunt directeur ; Olivier Duhamel, le professeur multicarte. Après la manœuvre, les vainqueurs ont dû se féliciter de cette victoire même si le sort de l’élection était déjà joué. Une affaire finie ? Le nouveau directeur sait qu’il a une rude tâche devant lui. Malgré des concessions immédiatement suggérées, on voit mal pourquoi il changerait la politique de privatisation de son prédécesseur alors qu’il a été choisi pour la continuer en garantissant l’emploi de l’état-major. Comme on l’a entendu, le bilan de Richard Descoings est parfait et on ne peut lui imputer que des maladresses. Quant au système de cooptation particulier qui permet de se livrer à une telle comédie électorale, il ne peut changer sans une modification des statuts de Sciences Po. Autrement dit, une impossibilité bien marquée par la fermeté d’une équipe dirigeante certaine de défendre un intérêt bien supérieur à celui d’une école quelle qu’elle soit. Le combat conservateur a aussi ses « héros » prêts à mourir pour la défense de la propriété.
En révélant la privatisation rampante de Sciences Po, la crise aura pourtant mis le gouvernement devant ses responsabilités. Depuis longtemps, les dirigeants politiques sont mis devant le fait accompli par une école du pouvoir disposant de nombreux relais au sommet de l’Etat et dans les gouvernements de tous bords. La nomination d’un pantouflard à la direction et le maintien des dirigeants promettent que rien ne sera changé des orientations anciennes célébrées par le service de presse et ses relais médiatiques. Après la farce, pourquoi pas ? La privatisation ramènerait Sciences Po à ses origines et la mener à terme, comme cela se fait pour une entreprise, pourrait même s’accompagner du retour à l’ancien nom d’Ecole Libre des Sciences Politiques. Avec les ressources de l’entreprise privée et non celle de l’Etat. Le pouvoir politique ne peut plus donc ignorer sa responsabilité : s’il continue à laisser faire, ce sera en connaissance de cause.
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