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Le ministère, les précaires et le langage des signes - Isabelle Clair pour SLR, 26 octobre 2012

samedi 27 octobre 2012, par Mademoiselle de Scudéry

L’intersyndicale reçue au ministère pour parler précarité… Compte-rendu subjectif, mais fort… Clair.

Jeudi 25 octobre 2012, au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche : à 16h, l’intersyndicale a rencontré M. Houzel, un conseiller de la ministre, à propos de la précarité dans l’ESR ; à 16h45, au pas de charge, tout le monde a rejoint une plus jolie salle pour une réunion sur l’application de la loi Sauvadet, en présence de quelques organisations syndicales supplémentaires et de M. Cytermann (un pilier du ministère depuis de longues années : conseiller d’Allègre au moment de sa sortie sur le « Mammouth » et lorsqu’a été enclenché le processus de Bologne à la Sorbonne en 1999).

NB : tous les mots entre guillemets dans le texte ci-après sont des citations des propos alors entendus.

Après trois heures de réunion en présence de l’intersyndicale au ministère de l’ESR, où j’étais présente pour SLR, je me suis d’abord dit que ça allait être long de faire un compte-rendu. Et puis finalement, à bien y réfléchir, ça peut aller assez vite : il s’est dit si peu de choses…

Les représentant⋅e⋅s des organisations syndicales maîtrisaient les dossiers sur le bout des doigts, posaient des questions techniques sur la masse salariale, la prise en compte des catégories A+ dans l’application de la loi Sauvadet, les gels de postes à répétition. Ils et elles étaient prêt⋅e⋅s à discuter sur le fond et avaient des propositions concrètes pour créer de l’emploi y compris dans un contexte de rigueur – en utilisant notamment l’argent dilapidé par le Crédit Impôt Recherche (CIR) et la Prime d’excellence scientifique (PES), et en transformant pour des postes de titulaires les fonds alloués au financement des CDD par l’ANR.

En face… on a pris quelques notes (une armée de secrétaires était là pour le faire vraiment), on a écrit quelques textos histoire de ne pas complètement perdre son temps avec ce genre de réunion sur un sujet aussi marginal, on a beaucoup souri (surtout M. Cytermann qui avait l’air de trouver que la précarité, c’était plutôt divertissant comme sujet de conversation à l’heure du thé), on s’est un peu agacé quand les syndicalistes ont osé couper la parole des maîtres de cérémonie (les malotrus), on a dit qu’on allait faire « remonter les arguments » tantôt à Mme Fioraso, tantôt à Matignon. Bref, qu’on allait « s’en occuper ».

Quand ? Comment ?

Comme les réponses n’ont pas été très claires sur le fond, c’est-à-dire sur l’emploi et l’avenir de l’ESR, autant s’attacher à la forme, qui en dit long sur la désinvolture du ministère à l’égard de la précarité – un sujet qu’il a d’ailleurs omis de faire figurer parmi les axes de réflexion des Assises en cours…

D’abord, il y une chose que les précaires et les syndicalistes doivent faire rentrer dans leurs petites têtes : le ministère actuel n’a rien à voir avec le précédent, « la rupture est nette ». Oui, bon, d’accord, l’organisation de la réunion sur le sujet a été un peu laborieuse, un groupe de travail a été créé en juillet qui n’a donné lieu à aucune nouvelle réunion depuis, il a fallu que l’intersyndicale écrive plusieurs courriers pour qu’on consente à la recevoir sur le sujet, le ministère n’a pas dit un mot depuis son installation pour rappeler à l’ordre les directions des organismes de recherche et des universités qui utilisent la loi Sauvadet pour mettre fin aux contrats en cours, et quand il s’agit de précarité, ce n’est pas Mme Fioraso en personne qui reçoit… Mais pour autant, il ne faudrait pas passer à côté des « signes importants » que le ministère a « envoyés » sur le sujet.

Ils ont dû se perdre entre la rue Descartes et le Panthéon, parce que personnellement je n’ai pas reçu ces signes… Visiblement, je n’étais pas la seule dans la salle à avoir manqué le courrier, et à Montpellier, Marseille, Nantes, Strasbourg, Toulouse, Nice, Bordeaux… ça n’a pas dû arriver non plus. On se demande bien pourquoi les gens sont aussi énervés un peu partout quand le changement est pourtant tellement visible.

Alors M. Houzel, qui est pédagogique et sympa, s’est employé à nous réexpédier, en direct, ces « signes » et autres « symboles » égarés par la Poste. Son argumentation tient en plusieurs temps (je me permets de souligner les mots-clés) :
1. Mme Fioraso « assume une certaine conception de l’emploi », c’est-à-dire qu’il y ait des CDD « pour répondre à la souplesse que nécessite le travail particulier qu’est le travail scientifique » ; mais
2. (attention, ne loupez pas le « signe » de la « rupture », ça arrive maintenant) la création de postes de fonctionnaires n’est « pas un tabou » (ah oui, un signe, c’est un signe, pas plus : on « assume » la souplesse, voilà qui n’est pas trop discordant avec la période antérieure, en revanche on ne hait plus les fonctionnaires) ;
3. on voudrait bien créer des postes (puisque ce n’est plus un tabou) mais on ne peut pas, « on ne peut raisonner que dans le cadre d’un budget contraint » (c’est la crise) ;
4. ceci dit, une énorme mesure « symbolique » a été prise : sur les 800 millions d’euros du budget de l’ANR, 60 millions ont été rétrocédés aux organismes (quand du côté des syndicats, il a été rappelé que pas un centime n’était allé à l’emploi et que l’ensemble avait été affecté aux frais de fonctionnement, il y a eu comme un blanc, on a opiné du chef, et puis c’est tout) ;
5. enfin, si le courage idéologique du ministère permet de braver les raideurs du socialisme en « assumant la souplesse », M. Houzel a tenu à préciser qu’il allait de soi que la précarité avait pris de telles proportions dans l’ESR qu’elle en était devenue « déséquilibrante » et qu’il fallait absolument « inverser la tendance ».

Alors là, je me suis dit : ça y’est, ça devient concret, la rupture va se chiffrer ; on va savoir à partir de quel seuil la précarité est acceptable – actuellement, elle tourne autour de 30% de l’ensemble des personnels… faites vos jeux : 25%, 20%, 10%, ça irait ? Elle touche plus de 50 000 personnes : on donne du boulot à 10 000 ? 20 000 ? Mais je n’avais rien compris : il faut comprendre « le mot ‘rupture’ dans le sens d’une orientation », a dit M. Houzel ; et de continuer : « jusqu’à présent, la précarité augmentait ; maintenant, on va inverser la tendance ».

En ne créant pas de poste ???

Silence.

Mais on pourrait en créer, il y a de l’argent ! Il est mal dépensé, c’est tout !

Silence. Puis : « on va faire remonter vos arguments ».

***

Vous êtes précaire ? on vous traite mal au quotidien ? vous vous demandez bien quelles sont vos perspectives ? vous voulez qu’on arrête de vous considérer comme du personnel de second ordre ?

Vous êtes titulaire ? vous n’en pouvez plus de jouer les managers de précaires ? vous avez autre chose à faire qu’à courir après des financements de tous ordres ? vous êtes effrayé⋅e de ce que va devenir l’ESR ?

Alors, il va falloir le faire savoir, parce que dites-vous bien qu’au ministère, on s’en fiche comme de l’an quarante de ce que vous vivez au quotidien… On va nous envoyer des « signes » et des « symboles », par la petite porte, tous les six mois, et ce sera tout. Et les postes, comme les « signes », vont se perdre en route. Il va donc falloir aller les chercher en personne…

Isabelle Clair, pour SLR (à lire ici)

Lire aussi : Rapport annuel 2012 sur l’état de la fonction publique
(Poolp en publie les bonnes feuilles)

(p. 69) En dix ans, la part de non-titulaires est passée de 14,8 % à 17,2 % dans l’ensemble de la fonction publique, ce qui représente, au 31 décembre 2010, 898 000 agents. La fonction publique territoriale affiche la plus forte proportion de non-titulaires : 19,4 %, contre 15,8 % dans l’État et 16,5 % dans la FP
(p. 76) Tableau V 1.1-5, 44 027 agents non titulaires dans les universités en 2010, contre 37293 en 2010[sic] [1], une évolution de +18,1%.


[1sûrement 2000