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De l’arnaque des « stagiaires » en entreprise : 5° loi en 8 ans, sera-ce la bonne ? - blog de Gérard Filoche, 27 février 2014

vendredi 28 février 2014, par Elisabeth Báthory

De 2006 à 2014 on est passé de 600 000 stagiaires en entreprises à 1,6 million. C’est une croissance phénoménale.

Ce, en dépit de 4 lois (2006, 2009, 2011, 2013) et de 6 décrets.

Seuls 38 % de stages sont formateurs et « rémunérés ». 80 % des stagiaires sont virés après leur stage.

Pourquoi un million de stagiaires de plus en 8 ans ?

Parce que les employeurs se sont rués sur cette façon de contourner le droit du travail, d’embaucher sans embaucher, d’utiliser des jeunes frais, disponibles, avides, sans les payer, en détournant la formation pour obtenir une main d’oeuvre gratuite ou à très bas coût.

Ca fait très longtemps que les employeurs veulent profiter de la manne d’une jeunesse maintenue soumise, à la lisière de d’emploi. Ce n’est pas « économique » c’est politique. Ils avaient déjà en 1994 sous Balladur essayé d’imposer une loi avec un « smic jeune », le CIP : devant des centaines de milliers de lycéens mobilisés, ils avaient dû reculer. Ils avaient voulu recommencer l’opération en 2006 avec le CPE sous De Villepin : mais là encore, des millions de jeunes dans la rue les en avaient empêché.

Depuis, ils se contentent de violer les lois existantes en multipliant massivement les vrais faux stages. On appâte le jeune, on profite de son avidité, de son besoin, de sa difficulté d’accéder à l’emploi, et sous couvert de « stage de formation », on les fait bosser à fond la caisse, sur des postes permanents des entreprises, si possible en ne les payant pas, (ils devraient même s’estimer heureux d’accéder à une entreprise, faire le café du patron) sinon avec une « gratification » dans des conditions dérisoires et sans aucune obligation contractuelle ni légale en droit du travail.

Voilà pourquoi les « stages » sont devenus l’arnaque préférée des employeurs pour capter des jeunes à bas prix, corvéables, vulnérables et sans aucune règle. Tout est possible : ils ne sont pas déclarés à l’URSSAF et ne figurent pas sur les registres du personnel.

On remarquera que de l’emploi, il y en a, puisque il y a 1,6 million de stages ! Et il en manque encore puisque 25 % de chômage chez les jeunes ! D’où cette possibilité de faire plier l’échine, remettre en cause la dignité des jeunes : le stage même gratuit devient désirable, et les victimes les recherchent !

Cela a pris une telle dimension avec de tels abus que même la droite s’est sentie obligé d’y mettre quelques règles.

La loi 1

La loi du 31 mars 2006 a rendu obligatoire une « convention de stage » mais sans que, hélas, des décrets aient précisé suffisamment son contenu : or c’est l’essentiel, la « convention » doit contenir suffisamment de précisions pour qualifier l’objectif et les modalités de la formation Il s’agit d’empêcher le détournement du « stage » et de le rendre distinct d’un emploi, d’un poste permanent, en usage dans l’entreprise.

Une convention type devait être signée par les trois parties concernées : le directeur de l’établissement scolaire de l’étudiant, l’entreprise, et le stagiaire lui-même. L’article 3 du décret n° 2006-1093 du 29 août 2006 énumérait les 11 clauses qui doivent figurer dans la convention. Devaient notamment y figurer :

  • la définition des activités confiées au stagiaire en fonction des objectifs de formation,
  • les dates de début et de fin du stage,
  • la durée hebdomadaire maximale de présence du stagiaire dans l’entreprise (et préciser s’il travaille les weekends et jours fériés – sic),
  • le montant de la gratification versée au stagiaire et les modalités de son versement

La seule condition à remplir par un étudiant pour obtenir une convention était que son stage ait un lien direct avec sa formation.

Grâce à cette convention, un stagiaire peut bénéficier d’une couverture sociale sur les lieux de son travail, ainsi que sur le chemin entre chez lui et son travail. Mais accidents de travail et maladies professionnelles ne sont pas pris en charge de la même manière suivant le stage et le montant de la rémunération perçue. En dessous de 436,05 euros, c’est l’établissement scolaire qui doit payer la cotisation travail. Au-delà de cette somme, la responsabilité revient à l’entreprise d’accueil, car au-delà de ce seuil, le stagiaire est considéré comme un salarié.

La loi 2

La loi du 24 novembre 2009 relative à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie, qui oblige l’entreprise à verser une indemnité à son stagiaire à partir de deux mois consécutifs de stage (contre les trois mois établis précédemment par la loi n° 2006-396 du 31 mars 2006). Il ne s’agit pas d’un salaire, et la loi utilise le terme de « gratification ». Le montant et les modalités de versement des indemnités doivent impérativement figurer dans la convention de stage

La loi 3

La loi Cherpion du 28 juillet 2011 (suite à un ANI du 7 juin 2011) a limité la durée des stages à 6 mois … par an. Ce qui n’a guère été respecté : des dérogations ont été accordées : “La limite de 6 mois ne s’applique pas aux stages de longue durée intégrés dans le cursus des formations de l’enseignement supérieur “. Et il n’y a pas eu de volonté de contrôle ni de sanction

Elle a fixé un « délai de carence entre 2 stages sur un même poste, égal au tiers de la durée du stage précédent ». 2 mois par exemple sur 6 mois : l’intention était d’empêcher des employeurs d’enchainer cyniquement les stages, d’un stagiaire bénévole à l’autre…

La loi Cherpion a été obligée de préciser que « les stages ne pouvaient correspondre à un poste permanent de l’entreprise ». C’est dire si la pratique en était grande et en vigueur.

Tout stage de plus de 2 mois dans une même entreprise devait faire l’objet d’une gratification. Le calcul de cette gratification en 2011 était de : 12,5 % du plafond horaire de la Sécurité sociale, soit 417,09 euros par mois en 2011, pour 35 heures hebdomadaires.

Les stagiaires n’étant pas liés par un contrat de travail à l’entreprise, n’ont pas le statut de salarié et ne perçoivent ni congés payés, ni 13e mois, ni participation, ni intéressement. La loi Cherpion prévoyait quand même qu’ils auraient accès aux avantages du comité d’entreprise (tickets de cinéma, prix négociés sur des voyages ou des produits…). L’ancienneté ne devenait prise en compte qu’en cas d’embauche dès qu’un stage dure plus de deux mois.

Mais tout cela restait fragile. En fait les employeurs devenaient de plus en plus alléchés par les stages car, au fur et à mesure qu’ils étaient « encadrés » par ces fragiles règlements, mais sans devenir des contrats de travail, les stages se rapprochaient de ces CIP et CPE tant désirés.

En fait avec 50% du smic, c’était même mieux pour les patrons que le CIP de Balladur qui envisageait 80% du Smic.

Conscient de cela François Hollande avait déclaré : « à 25 ans on ne devrait plus avoir à accepter un stage ou la précarité ».

La loi 4

La Loi Fioraso du 22 juillet 2013 rajoute donc trois précisions à la loi Charpion notamment oubliées par les « décrets » prévus par celle ci et non publiés (ce laxisme ne fut pas un hasard) ensuite par Valérie Pecresse.

1°) – Une définition légale des stages est donnée à l’article L612-8 du Code de l’Education.

Le stage correspond à une période temporaire de mise en situation en milieu professionnel au cours de laquelle l’étudiant acquiert des compétences professionnelles qui mettent en œuvre les acquis de sa formation en vue de l’obtention d’un diplôme ou d’une certification.
Le stagiaire se voit confier une ou des missions conformes au projet pédagogique défini par son établissement d’enseignement et approuvées par l’organisme d’accueil.
Le stage ne peut pas avoir pour objet l’exécution d’une tâche régulière correspondant à un poste de travail permanent de l’entreprise, de l’administration publique, de l’association ou de tout autre organisme d’accueil.
La convention de stage devra désormais mentionner un volume pédagogique minimal de formation ainsi que les modalités d’encadrement du stage par l’établissement d’origine et l’organisme d’accueil (Décret à paraître).

2°) – Les cas de dérogation à la durée maximale de 6 mois de stage sont limités ( ?)

3°) – La gratification devient obligatoire pour les stages de plus de 2 mois quel que soit l’organisme d’accueil

L’obligation de verser une gratification pour tout stage supérieur à deux mois consécutifs effectué au sein d’une entreprise est désormais étendue aux stages réalisés dans une administration publique, d’une assemblée parlementaire, d’une assemblée consultative, d’une association ou au sein de tout autre organisme d’accueil.

Les mêmes droits que les salariés contre le harcèlement. Les stagiaires bénéficient désormais, au même titre que les salariés, des protections et droits mentionnés aux articles L. 1121-1 (principe de proportionnalité aux restrictions apportées aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives), L. 1152-1 (interdiction du harcèlement moral) et L. 1153-1 (interdiction du harcèlement sexuel) du code du travail.

Valérie Pécresse : « supprimons les stages » et les stagiaires

On le voit, peu à peu des passerelles et quels gardes fous s’établissent entre le stage et le droit du travail. Mais ce qui paraît positif est à la fois négatif : parce que se crée un « sous statut du travail » qui n’est pas forcément un « stage de formation professionnelle » (et qui n’est pas non plus l’apprentissage).

Pour le comprendre, il suffit de lire le livre (« Voulez-vous vraiment sortir de la crise ? » Ed. Albin Michel), de Valérie Pécresse qui propose dés lors carrément la suppression des « stages » :

« Oui, il faut supprimer le statut de stagiaire qui est encore trop précaire. Pour les stages longs, je propose de les remplacer par un « contrat emploi-formation », d’une durée minimum de deux mois, qui aurait une portée symbolique et une valeur d’expérience professionnelle beaucoup plus forte. La rémunération du jeune varierait selon son niveau de formation et démarrerait à 436 euros pour un étudiant en bac pro, par exemple. Il ouvrirait des droits sociaux comme la retraite ou la sécurité sociale, et serait exonéré de charges. »

En fait elle vante 2 ans de stages « contrat emploi formation » payés à partir de 436 euros exonéré de cotisations sociales, c’est retour au CIP et CPE avec de moins bonnes conditions.

La 5° loi

La loi Chaynesse Khirouni qui est sur le bureau du Parlement en février-avril 2014 s’efforce encore d’encadrer les stages pour les protéger des détournements des employeurs voraces et voyous.

Notons que c’est la 5° loi et qu’elle aussi semble reporter à des décrets (aléatoires) des questions bien décisives : c’est dommageable car tant qu’à légiférer, il faut être précis, efficace, avec des moyens de contrôle et de sanction. Voyons donc les 8 points essentiels qui s’annoncent dans cette nouvelle proposition de loi et (en italique) les commentaires et inquiétudes qui en découlent

1°) - Le nombre de stagiaires par entreprise sera limité, en fonction des effectifs de l’entreprise.

Ce plafond, qui devrait être établi par décret, “pourrait être de l’ordre de 10% et sera modulé en fonction de la taille de l’entreprise“, a indiqué la ministre de l’Enseignement supérieur, Geneviève Fioraso. 10 % c’est beaucoup ! Pourquoi ne pas mettre ces 10 % « plafonds » dans la loi quitte à définir des seuils inférieurs là ou ce sera possible et nécessaire.

Remarquons que c’est positif et cela ouvre la porte à semblable « plafond » pour le nombre de CDD et d’intérim par entreprise ! (ce que D&S réclame depuis 20 ans)

2°) - Les stages ne pourront durer qu’un maximum de six mois.

Bon alors que ce soit clair, pas de dérogation, sinon il s’agit d’un emploi dissimulé.

3°) - Le temps de présence des stagiaires ne pourra plus être supérieur à celui des salariés.

Commentaire : c’est inouï qu’on soit obligés de préciser cela… encore heureux !

Comme si les durées du travail légales et conventionnelles ne s’appliquaient pas jusque là aux stagiaires ! On voit bien l’ambiguïté des deux statuts mélangés, celui de la « formation professionnelle » et celui « du contrat de travail ».

4°) - Pour les stages de plus de deux mois ils auront la possibilité de congés et d’autorisations d’absence.

On entre en effet dans un droit du travail élémentaire.

5°) - Le stage sera rémunéré “dès le premier jour du premier mois de la période de stage ou de formation en milieu professionnel”. Le stagiaire ne devra pas attendre la fin du premier ou du deuxième mois avant d’être payé.

Bon, c’est mieux, mais l’ambiguïté reste pleine et entière : soit c’est une formation et cela relève des budgets de la formation professionnelle, soit c’est l’occasion d’une production alors cela relève du contrat de travail et donc du smic ! La notion de « gratification » est profondément confusionniste.

Pour les apprentis, le salaire est trop bas, il va de 25 % du Smic la première année à 85 % du smic la deuxième année : mais il s’agit d’un contrat de travail, pas d’une convention de formation professionnelle.

6°) - Pour autant, la gratification reste au même niveau (432 euros) et continuera de n’être obligatoire, mais des le premier jour, que pour les stages d’une durée égale ou supérieure à deux mois. Les gratifications allouées aux stagiaires seront exonérées d’impôts.

C’est une forme déguisée de hausse des 432 euros de base. Mais ces 432 euros sont ils suffisants ? Car si activité de production il y a, c’est le smic qui doit être versé !

7°) - Le stagiaire ne pourra pas se voir confier des tâches “dangereuses”.

Encore heureux, non ? Mais cela doit être le cas pour tout salarié !

8°) - Les stagiaires auront droit à des tickets restaurant ainsi qu’à une compensation partielle pour leurs frais de transports. Ils auront accès aux services du Comité d’entreprise

Cela devrait être le cas automatiquement pour toute personne ayant une activité en entreprise.

9°) - Les compétences de l’Inspection du travail seront étendues concernant le constat et la sanction d’abus de stages, lorsque celui-ci ressemblerait à du travail dissimulé.

Cela semblait déjà évident… pourvu que l’inspection du travail soit indépendante, généraliste, et a les moyens d’agir et de sanctionner.

10°) - Les prud’hommes devront se prononcer en moins d’un mois lorsqu’il s’agira de dossiers de requalification de certains stages en contrats de travail.

Pourvu que les prud’hommes disposent eux aussi des moyens de respecter ces délais !

En guise de conclusion

En fait il faut clairement maintenir la dissociation des deux statuts, le statut de la formation et le statut de la production. On doit être l’un ou l’autre, pas les deux. Ni demi statut, ni donc demi Smic.

Ce qui n’empêche pas de réaffirmer que toute activité en entreprise doit être soumise au droit du travail et aux conventions collectives concernées.

L’importance de la « convention de formation » et de son contenu précis, c’est donc décisif. Cela doit entrer dans la loi, et non pas être laissé au hasard des décrets ou du « terrain ».

La formation doit rester sous contrôle de l’organisme formateur de tutelle, qui passe accord écrit et signé avec les employeurs concernés sous contrôle des autorités publiques concernées.

Toute partie de stage dite de production et qui profite à l’employeur doit être rémunérée au Smic selon le droit du travail et les conventions collectives.

Gérard Filoche, le 27 février 2014

PS : lire aussi avec attention le travail de « génération précaire » http://www.generation-precaire.org/

A lire sur le blog de Gérard Filoche.