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"Sacrée rentrée", par Jean-Jacques Percheminier, maire de Courlon-sur-Yonne

"Libération" (Rebonds) du 9 octobre 2008

samedi 11 octobre 2008, par Laurence

Pour lire ce "rebond" sur le site de Libération

Dans ma commune, comme dans bien d’autres dans l’Yonne et ailleurs, l’école n’était pas ouverte le samedi matin. Les enfants la rejoignaient le mercredi matin (trois mercredis sur quatre puisqu’il existait un mercredi « libéré » - « libéré », excusez du peu…). Cela ne se passait pas trop mal.

Mais, au ministère de l’Education nationale, on s’essaye à l’accélérateur de neurones. Le mammouth se mue en guépard : le voilà qui court plus vite que son ombre. Périscolaire, postscolaire, hors temps scolaire, couches-culottes à la maternelle, accompagnement éducatif, médailles pour les bacheliers… Tout y passe. On formate les enseignants conviés à de grandes messes, la pensée pédagogique se meurt dans des tableaux, des modules et des sous-modules : le « NMS » - New Management Scolaire - est à l’œuvre. On prétend réduire le taux d’échec scolaire avec de nouveaux programmes (les précédents dataient de 2007, c’est dire…) généreusement diffusés à l’ensemble de la communauté éducative.

Echec scolaire ? On a pensé en haut lieu que la suppression des cours le samedi matin contribuerait à la solution de ce vrai problème. Il fut avancé que le rythme scolaire français était insupportable : les écoliers français étaient surchargés, « overbookés » faudrait-il dire ? Pourtant, nos enfants ne vont pas si mal : l’Unicef, dans son bilan 2007 sur la santé des jeunes, classe les petits Français dans le premier tiers des nations. N’empêche, le ministre, qui s’y entend, veillait. Ah, flûte, nombre d’établissements scolaires ne fonctionnaient pas le samedi. On raya donc de l’agenda scolaire le mercredi… Règne désormais, sur le territoire national, la semaine des quatre jours, sans que l’on ne diminue d’autant la durée des vacances scolaires.

Que faire, dès lors, des enfants ? Les parents d’élèves seraient-ils otages de l’institution qui se retire ? Plaisanterie : on ne voit ça qu’en cas de grève. Sinon, les parents adorent payer les nounous et les centres aérés. D’ailleurs, on met en place « l’aide personnalisée » (les gens, eux, disent le « soutien », le « rattrapage ») pour des élèves en difficultés. Soixante heures par an pour quelques enfants qui pourront - ce n’est ni obligatoire ni durable - en bénéficier sous des formes et à des horaires multiples et variés : le soir après l’école, certains mercredis matins, le midi. Pagaille pour les transports scolaires. Activités de substitution que les collectivités locales - pourtant jugées si dépensières - doivent organiser. Sensation de flottement… Débrouillez-vous, c’est votre mission !

Et puis, dans ma commune, comme dans bien d’autres dans l’Yonne et ailleurs, il y a Marvin. Onze ans. Onze ans de souffrance. Elle ternit son regard. La vie de Marvin, après l’école, c’est retrouver sa mère et la dernière née d’un troisième ou quatrième père, Marvin, il ne sait plus vraiment. Les stratégies de calcul mental, l’approche de l’histoire des arts, la langue étrangère, le fait d’écrire, c’est après l’école, un goût étrange dans la bouche. Une télé qui ne s’arrête pas. Une console de jeux. Une pendule qui n’a pas de limites. Des mots qui n’abordent que l’immédiat. Un quotidien aride.

La maman de Marvin a reçu le papier de l’école. On lui propose de garder Marvin en sus. Lui, plus que les autres, parce qu’il a du mal à l’école. On écrit même - en gras - sur le papier que c’est gratuit. Un sacré coup de main que l’école va donner. Celle-là même qui n’ouvre plus ses portes à tous trois heures par semaine.

La maman de Marvin n’a pas signé. Marvin n’ira pas à l’aide individualisée. Il vaut mieux qu’il reste à la maison. Qu’on ne le voie pas trop. A part peut-être sur son vélo : il fait de belles figures sur une roue. Dans ma commune, il y a Marvin. Et combien d’autres à travers tout le pays ? Le moment est venu de dire à la mère de Marvin qu’il y eut - en son temps - une école de la République. Une école qui, en dépit de ses contradictions, tournait ses yeux vers les étoiles pour engranger des futurs. Une école de la République…