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Le DRH et la DHG - Activistes 2012, Libération, 23 janvier 2012

mardi 24 janvier 2012

Voici venu le temps des chiffres, des prévisions de croissance et des gestions de flux. Non, je ne me permettrai pas de commenter la haute géopolitique économique qui me dépasse de très loin, je parle simplement de la gestion des classes dans l’Education nationale, en m’appuyant sur une expérience simple : la mienne !

Aujourd’hui, nous sommes le 23 Janvier 2012, et la rentrée de septembre 2012 est prête. Peut-être ne le sait-on pas, peut-être se berce-t-on encore de la douce illusion que « l’orientation de l’élève » va éclore avec le printemps et mûrir au premier soleil de juin – il n’en est rien. Aujourd’hui, nous savons à 10 élèves près combien de divisions, combien de sections et combien d’enseignants seront présents à la rentrée prochaine.

Le syndrome de la DHG, c’est cette maladie périodique, comme le rhume des foins, qui revient chaque année avec son lot d’angoisses, plus poussées au fil du temps. DHG pour « Dotation horaire globale » ; ce sont les heures allouées par le siège social régional du rectorat, aux établissements. Le tout chiffre nombre de classes, d’élèves, et par conséquent d’heures devant être assurées par les enseignants. Certains d’entre eux redoutent ce moment, vu que la disparition de nombreuses classes entraine… la disparition de leur poste.

Je signale en passant le paradoxe selon lequel un prof qui perd son poste se comporte ni plus ni moins comme un salarié qui perd son emploi, ce qui n’est évidemment pas la même chose. Car un prof qui perd son poste dans le lieu Y est replacé sur un lieu Z. Il faut que nous ayons fait du chemin pour que cette situation apparemment rassurante (sécurité de l’emploi, dit-on) angoisse autant les professeurs....

La DHG est votée, très démocratiquement, en conseil d’administration. Je dis « très démocratiquement » mais de toute manière, si par hasard elle n’était pas approuvée (ce qui est déjà arrivé), elle retournerait au siège-rectorat ; et c’est bien cette instance qui a le dernier mot, choisissant, en général, de n’y rien changer. Bref.

Quant au DRH proviseur de l’établissement, il a choisi cette année de communiquer avec les responsables de chaque équipe (dans chaque matière), expliquant à chacun, il est vrai dans un esprit de clarté, les détails les concernant. (Je me relis et je me rends compte que nous avons, ça y est, assimilé pleinement la novlangue entrepreneuriale de la compétition économique).

J’entends donc avec soulagement que dans ma matière, les choses ne vont pas beaucoup bouger, que nous « avons assez d’heures » et de surcroît, « il n’y a eu à notre sujet aucune demande ». Je dresse l’oreille, j’interroge mon responsable N+1 à ce sujet (qui est d’ailleurs un professeur comme moi, mais qui a une grande qualité, il fait très bien les commissions). Je m’entends dire que certains enseignants ont été blacklistés dans certaines sections, suite aux demandes des parents ou des inspecteurs. En d’autres termes, le DRH et lui seul opèrera la « répartition » des enseignants dans les classes, en fonction des doléances des clients parents d’élèves.

L’enseignement, un produit comme un autre

Bien sûr, je ne suis pas naïf au point de découvrir cet état de choses, qui s’est déjà pratiqué (et je ne parle pas de l’enseignement privé !) ; cependant, je suis gêné aux entournures par l’insolence, désormais, de tout cela. Cela fait quelques années que l’on assène avec naturel, avec un plaisir carnassier pour les uns, avec un détachement résigné ailleurs, cette « évidence » : l’enseignement est un produit comme les autres. Il se vend, s’achète, se classe, se stocke ; on le met dans des cases.

On pratique « l’accompagnement personnalisé » dans toutes les classes en dressant des tableaux dans lesquels on case une heure de français, une heure de maths, deux heures de développement durable… On prévoit une « journée portes ouvertes » au lycée en organisant des « stands » ! Et tout cela est censé répondre miraculeusement à la demande » des clients élèves et de leurs parents. Je me croyais enseignant, je suis un représentant de commerce. Non pas que je méprise ce dernier métier. Simplement, je ne crois pas être fait pour.

Tout cela permet de jeter un regard sur les perspectives de l’éducation. La gestion des flux telle que je viens de la décrire invalide d’un coup les institutions « historiques » de cursus scolaire : quid du conseil de classe, par exemple ? Il va de soi, et peut-être certains l’ignorent-ils, que le passage des élèves ne se décide plus en conseil de classe, et en tout cas plus de manière collégiale ! La norme qui voulait que les professeurs décident en chœur d’un passage ou d’un redoublement est battue en brèche.

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Jean-Michel Gaulon