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Des questions de fond - Pierre Crépel, mathématicien et historien des sciences, l’Humanité, 27 mai 2009

vendredi 29 mai 2009

Vous, les étudiants et les personnels, vous n’avez qu’une vision à base de slogans, locale, corporatiste, limitée dans le temps et dans l’espace. Nous, les dirigeants, nous bénéficions d’une vue globale, de stratégies internationales, nous pensons l’université de demain : modernisme ambitieux contre archaïsme étroit ! Quelle morgue ! Certes, il s’agit d’un « grand soir » et non de réformes anecdotiques. Cependant, les autorités et technocraties gouvernementales et transnationales ne sont pas les seules à avoir réfléchi aux orientations et à l’organisation de l’enseignement, de la recherche.

À l’université, économistes, sociologues, historiens, philosophes, sociétés savantes s’y intéressent aussi depuis longtemps. En outre, s’il est vrai que la société rencontre des problèmes nouveaux, ce sont souvent les mêmes questions de fond qui l’interpellent depuis des siècles : formation des travailleurs en général et formation des « élites » ; liberté ou canalisation des sciences et de la création ? Quel financement pour les universités, académies et centres de recherche ? Qui peut ou doit prendre les décisions ? Présenter comme une trouvaille d’avenir le pilotage de la science par les hommes politiques, les milieux d’affaires et leurs amis ; qualifier de « moderne » une professionnalisation ciblée, substituée à la formation générale approfondie, sont des contre-vérités historiques. Jaurès constatait déjà, dans le journal le Rhône du 18 février 1892 : « Il y a deux conceptions opposées qui dominent tous les projets, toutes les créations d’enseignement. Les uns veulent créer des écoles spéciales préparant chacune à une profession déterminée, à la médecine, à la théologie, à l’art de l’ingénieur, etc. autres, au contraire, veulent fonder de vastes écoles encyclopédiques dans lesquelles sera enseignée toute l’étendue du savoir humain et qui formeront des esprits universels et, par là même, libres. » Pour Condorcet, dès 1790, l’instruction publique a pour premier objectif de permettre aux hommes (et même aux femmes !) d’exercer leur citoyenneté en connaissance de cause : c’est d’abord un « moyen de rendre réelle l’égalité des droits », de « ne laisser substituer aucune inégalité qui entraîne la dépendance ». Condorcet ne néglige pas pour autant «  l’instruction relative aux professions », mais il ne la veut pas étroitement limitée à tel métier. Il préconise un enseignement gratuit à tous les niveaux.

Et c’est, bien entendu, sur ces aspects que les thermidoriens et les affairistes du Directoire vont l’attaquer et réviser son projet à la baisse. Nous aurions pu citer Fontenelle, Arago, Hugo, etc., tous personnages évidemment moins grandioses que M. D*** et Mme P***, mais ces exemples suffisent.


Voir en ligne : http://www.humanite.fr/2009-05-27_T...