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"Mes collègues ont eu peur pour moi", ou comment faire classe sans préparation - Luc Cédelle, Le Monde, 8 mars 2010

lundi 8 mars 2010

Ils ont manqué de peu un concours d’enseignement et ont été nommés sur "liste complémentaire". Ils partagent, avec les futurs débutants, le fait d’avoir été affectés dans une classe sans avoir suivi de formation en alternance. Deux d’entre eux témoignent de leur expérience.

Après le concours 2006 de professeur des écoles dans l’académie de Versailles, Virginie Daniel, 24 ans, était première sur la "liste complémentaire". Si son début avec les élèves ne s’est "pas mal passé", son parcours antérieur y est pour beaucoup. Son université, Paris X-Nanterre, lui avait donné l’occasion de compléter son DEUG de psychologie et sa licence de sciences du langage par une remise à niveau en français et mathématiques et deux semaines de stage dans une école.

De sa propre initiative, elle avait aussi effectué un stage chez une orthophoniste et travaillé en collège comme surveillante. A la mi-octobre 2006, elle est affectée à une section d’enseignement général et professionnel adapté (Segpa), dispositif accueillant des élèves en grande difficulté et où exercent des enseignants du primaire et du secondaire. Bien accueillie par l’équipe, elle commence par trois jours d’observation dans ses futures classes, dont l’une est composée de seize garçons. Ils ont environ 16 ans, elle n’en a alors que 21. "Mes collègues ont eu peur pour moi, mais j’ai fini par trouver mes marques", se souvient-elle.

"Tenir le coup"

Son année sur le terrain lui ayant valu, par équivalence, le bénéfice du concours, Virginie a donc accompli ensuite son année en alternance à l’IUFM. Loin de s’en plaindre, elle souligne qu’il y a une grande différence entre "tenir le coup" comme elle a pu le faire et "dispenser un enseignement de qualité". "L’IUFM m’a permis d’enrichir mon enseignement. Je faisais du brut de décoffrage, maintenant je commence à ciseler. Avant, je présentais toujours une leçon de manière très classique, frontale, maintenant je suis capable de jouer sur une palette plus large."

Actuellement dans son année en alternance à l’IUFM de Créteil, Pierre-Jérôme Paquet, 29 ans, dit qu’il n’est "pas représentatif" mais appartient à la dernière promotion avant l’entrée en vigueur de la réforme.

Ayant manqué d’un cheveu le concours 2008 de professeur des écoles, il a été nommé, de janvier à juin 2009, après une formation de quelques jours, sur un poste de remplaçant dans une "zone d’intervention limitée" du Val-de-Marne. Au jour le jour, l’inspection lui communiquait son affectation, qui pouvait aussi bien être en petite section de maternelle qu’en CM2. Pour lui aussi, cela s’est "bien passé" grâce à son expérience antérieure. Ayant "toujours voulu être enseignant", il a passé une licence de sociologie et s’est dirigé vers le primaire "en raison du caractère généraliste et polyvalent de cet enseignement". Par ailleurs, il avait brièvement enseigné dans le secondaire privé et travaillé comme animateur. Mais, dit-il, "tenir le coup ne suffit pas".

A l’IUFM, grâce aux allers-retours entre terrain et théorie, il pense "s’améliorer sur certains points". "Le terrain comme seule formation, c’est trop étriqué. Il faut avoir du recul, dépasser l’appréciation individuelle, confronter son expérience avec les collègues et les formateurs." Le "compagnonnage" que promet la réforme est selon lui "déjà proposé par l’IUFM mais avec des moyens supérieurs : 4 ou 5 maîtres-formateurs pour environ 25 stagiaires". Quant à envoyer des étudiants pour remplacer dans les classes les débutants qui partiront en formation... "C’est risqué."


Voir en ligne : http://www.lemonde.fr/societe/artic...