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« L’excellence » est désormais le mot d’ordre à l’université et dans le supérieur. Objectif : percer dans les classements internationaux. Une politique qui fait débat, Libération, 28 septembre 2010

mardi 28 septembre 2010

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Pour la venue de la ministre de l’Enseignement supérieur, les présidents des quatre universités bordelaises ont voulu faire les choses au mieux. Ils ont préparé de superbes powerpoints pour exposer leurs multiples projets. Pour commencer, ils misent sur leurs « pôles d’excellence », une dizaine de secteurs où ils sont particulièrement bons, pour décrocher des crédits au titre des « initiatives d’excellence ». Ensuite ils espèrent que leurs laboratoires les plus en pointe - dans les matériaux, l’optique laser, les neurosciences, etc. - obtiendront le label « laboratoires d’excellence », avec les fonds qui vont avec. Ils vont aussi concourir dans la catégorie « équipements d’excellence » pour moderniser ces labos. Et comme ceux-ci font aussi de la recherche appliquée, ils se verraient bien décerner le titre d’« instituts d’excellence », toujours avec les crédits qui vont avec.

Transformation. Valérie Pécresse est aux anges. La ministre, qui fait face autour de la grande table au maire de Bordeaux Alain Juppé, était venue constater, le 20 septembre, comment les universités se transforment. En cette rentrée, elle veut célébrer les résultats de ses réformes. Et Bordeaux est une des meilleures élèves. Les universités de la métropole aquitaine ont en effet été retenues dans le cadre du plan Campus, ce qui va leur permettre de rénover leur immobilier - mais il faudra encore attendre car les projets sont très longs à monter. Deux sur les quatre sont devenues autonomes - Bordeaux-III (sciences humaines) et Bordeaux-IV (droit et éco) le seront le 1er janvier prochain. Elles ont constitué un vaste pôle avec 63 000 étudiants - un Pres (pôle de recherche et d’enseignement supérieur) -, ce que Valérie Pécresse encourage pour mettre fin à l’éparpillement « hérité de Mai 1968 ». Enfin et surtout, elles sont entrées dans la course à l’excellence tous azimuts voulue par la ministre. Dans le cadre du grand emprunt - rebaptisé « investissements d’avenir » -, elles vont même participer à tous les appels à projets.

Après les « internats d’excellence » lancés dans le secondaire pour les élèves méritants, le mot « excellence » a envahi le monde du supérieur. On y parle de « filières d’excellence », pour désigner par exemple les doubles licences, les classes prépas intégrées ou les cursus renforcés pour bacheliers mention Très bien, de « dispositifs d’excellence » - pour désigner à peu près la même chose -, de « campus d’excellence » - devenus des « initiatives d’excellence » car on risquait de confondre avec le « plan campus » de rénovation immobilière -, de « laboratoires d’excellence », « d’équipements d’excellence », etc.

Image. Pour la ministre, ce déferlement d’excellence est le signe d’une université « qui a retrouvé sa fierté » (lire page suivante), et qui ne craint plus de se mesurer aux meilleurs, comme les grandes écoles avec qui elles coopèrent de plus en plus, ou encore avec ses rivaux internationaux. Derrière, elle y voit bien sûr le fruit de la politique engagée après l’élection de Nicolas Sarkozy, des réformes qu’elle a imposées contre vents et marées comme la LRU (la loi sur l’autonomie), et des fonds insufflés dans une université longtemps laissée à l’abandon et qui souffrait d’une image désastreuse.

Mais cette rhétorique de l’excellence ne fait pas l’unanimité. A gauche, on dénonce une politique centrée sur les meilleurs et ceux capables d’être dans la course, c’est-à-dire les universités les plus grandes et déjà les mieux dotées. Les dispositifs d’excellence vont leur revenir en priorité, estime-t-on, et les autres n’auront que des miettes. Encore une fois, les universités de sciences humaines seront sacrifiées au profit de celles de sciences dures ou de la Vie dont les projets débouchent sur des innovations palpables intéressant les entreprises. A l’arrivée, cela va encore creuser le fossé entre les universités de premier ordre, avec de puissantes recherches, et les autres, condamnées à former des étudiants en licence et à avoir de modestes équipes de chercheurs.

Enfin la masse des étudiants, dont beaucoup se perdent les premières années de fac, ne va guère profiter de tous ces fonds alloués à l’excellence. La ministre oppose le plan « Réussite en licence » qui finance du tutorat, des profs référents, du contrôle continu ou des dispositifs passerelles permettant de changer de filière. Mais les syndicats répondent qu’il a été inégalement appliqué et qu’il n’a pas foncièrement changé la donne, avec toujours trop peu d’heures d’enseignement, trop de cours en amphi…

Au-delà c’est la conception même d’une université compétitive sur la scène internationale qui est au cœur des débats. Pour le gouvernement, la France n’a pas la place qu’elle mérite dans les classements internationaux. Son système est trop morcelé et elle ne sait pas se vendre. Il faut la mettre en position de peser dans la compétition mondiale. Les opposants répliquent que les classements ne sont pas l’alpha et l’omega, que la tradition universitaire française est l’excellence pour tous et que le gouvernement n’a finalement d’autre modèle que celui des prépas et des grandes écoles. Enfin pour rivaliser avec les grandes universités anglosaxonnes, encore faudrait-il disposer de moyens comparables. Or on en est loin.

Dotation. Réellement convaincus ou simplement pragmatiques, les présidents d’université se sont lancés dans la course. Et pour cause : ils sont en perpétuelle quête de fonds et les sommes en jeu sont considérables. Sur les 21,9 milliards du grand emprunt, 7,7 milliards sont réservés aux « initiatives d’excellence », un milliard aux « laboratoires d’excellence », un aux « équipements d’excellence ». Mais la plupart du temps, il s’agira de dotations en capital : ces fonds seront placés et les universités ne toucheront que les intérêts.

« Ce n’est pas parce qu’on est gros que l’on est forcément excellent en tout, ce n’est pas parce qu’on est petit que l’on est bon nulle part. » Yvon Berland, le président d’Aix-Marseille-II (23000 étudiants) assure que tout le monde sera servi. Très réputée dans les sciences du vivant - « nous avons eu trois premiers prix Inserm ces dernières années » -, son université va notamment se porter candidate pour un « institut hospitalo-universitaire » avec le CHU de Marseille dans le cadre du grand emprunt, et pour des « équipements d’excellence ». « Nous n’oublions pas pour autant la formation, ajoute-t-il, nous venons d’acheter pour 500 millions d’euros 50 outils d’excellence, des têtes simulant les réactions des patients pour nos étudiants en chirurgie dentaire ».

Président de l’université d’Avignon (7100 étudiants), Emmanuel Ethis ne part pas battu : « Une université moyenne comme la nôtre doit se situer dans la complémentarité avec les grands pôles voisins - Aix-Marseille, Montpellier et Lyon. Nous avons deux points forts : culture et patrimoine, ainsi que sciences agronomiques, et nous présentons deux projets d’"équipements d’excellence" ».

Mais l’excellence, c’est aussi tout simplement réussir partout. Président de Paris-XIII-Villetaneuse, en Seine-Saint-Denis, Jean-Loup Salzmann est monté au créneau après l’attribution de la médaille Fields (l’équivalent du Nobel en maths) au chercheur Ngo Bao Chau : « qui sait qu’il a passé six ans à Paris-XIII - personne n’en a parlé - et que nous avons 32 laboratoires adossés aux grands organismes de recherche ? » Une occasion de rappeler que l’université est aussi synonyme d’ascenseur social, d’égalité républicaine et de diversité.