Accueil > Revue de presse > « C’est pas compliqué, je ne sais toujours pas préparer un cours », par (...)

« C’est pas compliqué, je ne sais toujours pas préparer un cours », par Cordélia Bonal et Marie Piquemal, Libération, 5 novembre 2010

vendredi 5 novembre 2010

Deux mois après la rentrée, comment s’en sortent-ils, ces jeunes profs stagiaires, parachutés en classe début septembre ?

Premiers à être passés par la fameuse réforme dite de « masterisation », ils se sont retrouvés, leur capes ou agreg en poche, devant les élèves sans réelle formation et avec des emplois du temps super chargés pour certains.

Censés être épaulés par un tuteur (prof expérimenté du même établissement), certains reconnaissent être bien encadrés mais d’autres n’en ont pas vu la couleur. « C’est un énorme bricolage cette réforme en pratique, avec des grosses différences d’application d’une académie à l’autre », dénonce le Snes, principal syndicat des profs du secondaire, qui a lancé une enquête auprès des jeunes profs. Premier bilan : 95% des 150 profs sondés estiment la formation insuffisante.

Nous avions interrogé des jeunes profs la veille de la rentrée. On a décidé de renouveler l’expérience deux mois après.

« Je n’y arrive plus, je suis dépassée »

Aurore, prof d’anglais dans un collège tout près de Paris

« C’est pas compliqué, je ne sais toujours pas préparer un cours. Ma tutrice, très gentille par ailleurs, est venue me voir faire en classe. Elle est ressortie catastrophée : "Tu ne sais pas faire un cours, ni organiser des objectifs." Normal, personne ne m’a appris. Je me suis retrouvée parachutée du jour au lendemain dans une classe, sans aucune formation. Je ne me souvenais même pas à quoi ça ressemblait des élèves de 5e... Je suis épuisée, vraiment. Jamais je n’avais ressenti cet état de fatigue. Pourtant, je suis une battante, pas du genre à me laisser déborder. Je suis passée par une classe prépa, j’ai l’habitude d’avoir une masse de travail importante. Là, je n’y arrive plus, je suis dépassée. L’autre jour, je suis partie en laissant ma cafetière allumée, ça ne me serait jamais arrivé en temps normal. »

« Je n’ai aucun recul sur ce que je fais »

Marjorie, prof de physique-chimie dans un lycée de Clichy

« C’est du non-stop. La préparation des cours me mange ma vie privée, je ne fais plus rien à côté, j’ai arrêté de voir mes amis, j’y passe tout mon temps. Depuis le 1er septembre, je n’ai pris que deux jours de repos. Je me lève trois fois par semaine à 5h30 pour être à l’heure au lycée. Je vis encore chez mes parents dans le 93. Et impossible pour le moment de trouver un appart plus près : j’ai appris mon affectation deux jours avant la rentrée et je n’ai toujours pas eu de fiche de paie, allez savoir pourquoi. En cours, je fais ce que je peux. Question autorité, ça va encore. J’ai choisi la fermeté, ça passe pour le moment. Jusqu’à quand ? Je n’ai aucun recul sur ce que je fais. Surtout, je n’ai pas le temps de revoir une situation à froid, de réfléchir sur ce qui va, ce qui ne va pas. »

Lire la suite sur le site de Libération