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A l’attention des élus et des citoyens, des personnels de la recherche et de l’enseignement supérieur - Comité lyonnais SLR, Syndicats CGT RHODIA-CRTL, Bluestar Silicones, Perstorp, CNRS, IFP (4 janvier 2009)

mardi 12 janvier 2010, par Laurence

Lyon, le 04/01/2010

Force est de constater que le financement public de la recherche publique et le financement public de la
recherche privée obéissent à deux logiques radicalement différentes. Bien qu’il s’agisse dans les deux cas de
l’argent du contribuable, les mêmes règles ne s’appliquent pas.

Dans le premier cas, nous sommes confrontés depuis des années à des baisses de budget régulières, ainsi
qu’à un contrôle sans cesse plus tatillon de l’utilisation des fonds. L’évaluation par l’AERES [1] devient de plus en
plus étouffante, et même une évaluation positive ne met pas à l’abri de la désUMRisation de laboratoires [2]. Le
pilotage des activités de recherche au travers de l’ANR est de plus en plus étroit, et l’ANR cumule le pire des
deux "mondes" réunifiés : dirigisme très étroit sur les thèmes (URSS) et libéralisme sauvage sur les moyens
(USA). Il est indéniable que les financements de l’ANR ont affaibli les budgets alloués à la recherche publique
par un système de vase communiquant au début et ensuite par une captation de l’intégralité des rares
augmentations budgétaires. Ainsi depuis sa création en 2005 l’ANR a vu son budget augmenter d’un facteur
presque 3 tandis que celui du CNRS progressait timidement de 3 à 4% par an (inflation non déduite). D’autre
part leur octroi est conditionné bien souvent à la présence d’industriels dont la volonté est logiquement de servir
des intérêts économiques à court-terme (L’ANR estime que 25 à 30% de ses crédits parviennent en définitive au
secteur privé). Ce cercle vicieux implique que la recherche publique, pour pouvoir survivre, ne peut parfois plus
se passer de ces financements qui par ailleurs dictent les axes de recherche associés à une rentabilité économique
rapide et dans la majorité des cas à de l’assistance technique pour des technologies existantes, au détriment du
développement des connaissances et de l’innovation technologique sur lesquels la société de demain pourra
s’appuyer.

Le financement public de la recherche privée obéit quand à lui à une logique diamétralement opposée. Au
travers notamment des pôles de compétitivité et du crédit impôt recherche (CIR), les sommes dédiées explosent.
En ce qui concerne le CIR, celui-ci a doublé en trois ans pour atteindre 4 milliards d’euros en 2009 [3] (pour
comparaison : le budget global du CNRS est de 2,5 milliards d’euros pour 2010). Les contrôles sont inexistants.
L’absence de contraintes en terme d’embauches rend l’impact du CIR sur l’emploi des jeunes docteurs
ridiculement faible.

En région Rhône–Alpes, sur les 11 pôles de compétitivité, ce sont 217 millions d’euros sur trois ans qui ont
été financés par de l’argent public (dont 33 millions d’euros par le Conseil régional), soit plus de 50% du coût
global de ces mêmes pôles ; sur les 2294 emplois initialement annoncés, seuls 27 chercheurs ont effectivement
été embauchés [4]

Un corollaire à ce type de financement est que les entreprises du privé se voient confortées dans leur vision
de la R&D comme étant uniquement un coût, et non une force de développement et de pérennisation de leur
activité.

Certains PDG osent même avancer que les financements publics permettent de "soulager" les coûts
salariaux : dans l’usine nouvelle, le PDG de RHODIA, JP Clamadieu déclarait que le CIR permettait d’amener
pour l’entreprise le "coût" d’un chercheur français au niveau de celui d’un chercheur chinois. Quand on se sert
d’argent public pour niveler les coûts salariaux, il s’agit d’un chantage à l’emploi qui se traduit par la réalité
suivante : 32 postes supprimés en R&D chez Rhodia en 2008 malgré les 10M ! touchés par cette entreprise en
2008 au titre du CIR. L’ironie veut que le responsable de la R&D Rhodia ait affirmé en juin 2008 en Comité
Central d’Entreprise que le Crédit d’Impôts Recherche ne servait pas particulièrement la R&D, mais qu’il venait
simplement s’ajouter aux résultats du groupe, servant ainsi de façon indifférente à rémunérer les actionnaires ou
à rembourser la dette du groupe. Mieux encore, un communiqué récent de la CGT de Sanofi-Aventis et du
SNTRS-CGT5 nous apprend que : « Cet été Sanofi-Aventis a présenté son nouveau projet de réorganisation de la recherche se traduisant par plus de 1200 suppressions de postes dans la R&D en France, soit 20% des effectifs.
Comme Sanofi-Aventis pèse pour 50% des effectifs de R&D de l’industrie pharmaceutique en France, ce sont
10% de ses effectifs nationaux qui disparaîtraient [...] Rappelons qu’en cette période de crise, Sanofi-Aventis qui
a vu ses profits augmenter de plus de 22% sur le premier semestre 2009 a bénéficié en 2008 de 25 millions
d’euros d’exonérations fiscales au titre du CIR
 ».
Concernant le CIR, l’assiette s’élargit jusqu’à inclure l’absurde : les activités des banques et des assurances,
dont la seule recherche est la recherche effrénée du profit. Le rapport du sénateur Carrez [document joint], qui confirme d’abord
que "le coût du crédit d’impôt est directement lié aux évolutions législatives du dispositif" et non à une
augmentation de l’effort de recherche des entreprises, expose ensuite que c’est le secteur tertiaire (banques,
assurances, sociétés de conseil) qui en profite le plus : "On observe ainsi que l’industrie n’est pas la principale
bénéficiaire du crédit d’impôt recherche. C’est le secteur des services qui (…) représente près des deux tiers
des créances, en particulier les entreprises de services bancaires et d’assurances (…). Viennent ensuite les
entreprises de conseil et d’assistance aux entreprises. La tendance lourde est bel et bien à une concentration de
celui-ci [le CIR] sur les entreprises de services
".
Si encore cet argent servait in fine à la recherche, par des prêts accordés, par les banques bénéficiaires des
CIR, à des entreprises de recherche… Or, pour reprendre l’exemple de la région Rhône-Alpes, à notre
connaissance, seuls 2 prêts de 0,1 millions d’euros chacun ont été accordés pour financer 2 PME dans le cadre
des projets des pôles de compétitivité.

Cette schizophrénie dans l’utilisation des fonds publics ne trouve malheureusement aucune limite. A
l’échelon local, qu’il s’agisse de la ville ou de la région, nos chers élus sont soumis à l’irrésistible tentation
d’arroser là où c’est déjà mouillé. Leur implication dans des pôles de compétitivité dont les contours ont été
dessinés dans le secret des alcôves présidentielles montre l’ampleur du suivisme de ce qui ne pourra constituer
un rééquilibrage dans la distribution des moyens publics. On retrouve par exemple en Rhône Alpes les deux
entreprises citées précédemment : Rhodia participe au pôle "AXELERA" et Sanofi Aventis à "Lyon biopole" ; les
subsides retirés de ces pôles de compétitivité viennent bien évidemment s’ajouter aux sommes obtenues grâce au
CIR.
A un autre niveau, le pôle de compétitivité AXELERA est par essence le pôle qui conjugue "chimie et
environnement", ce qui lui a permis d’obtenir en avril 2008 le premier financement européen jamais accordé à un
pôle de compétitivité par le FEDER (fonds européen de développement régional), le système tète même le sein
européen, les mamelles publiques sont nombreuses ...
L’environnement et le "développement durable" ne sont pas dénués de rentabilité, et les entreprises ont
parfaitement compris l’intérêt du capitalisme vert : Rhodia a par exemple créé Rhodia Energy, une entreprise qui
rapporte près de 30% du chiffre d’affaires du groupe grâce à la vente de crédits d’émissions à polluer, ce qui ne
l’empêche pas de valoriser ces profits sous couvert de développement durable.

Nous demandons donc que soit lancé à l’occasion des élections régionales, un vaste débat associant le plus
grand nombre de nos concitoyens, autour de la question des modes de financement de la recherche tant publique
que privée, des buts que celle-ci doit poursuivre et de la façon dont les collectivités locales doivent se
positionner par rapport aux dérives constatées à l’échelle nationale. Nous sommes quant à nous prêts à prendre
toute notre place dans ce processus, pour y défendre l’idée que le suivisme aveugle et l’effet de levier ne sont pas
des fatalités et que les collectivités peuvent et doivent jouer, en matière de recherche, un véritable rôle en
maintenant la diversité des thématiques de recherche tout en tenant compte du contexte local et des demandes
sociétales. Il faudrait pour cela a minima :
- s’adjoindre les services d’un véritable conseil scientifique,
- avoir un droit de regard total sur l’utilisation de TOUS les fonds publics par une instance de contrôle
indépendante
- lancer des conférences de citoyens ambitieuses dans l’objectif d’éclairer au mieux la prise de décision
politique sur des thématiques difficiles

Ce sont certaines des propositions et débats dont notre société ne pourra pas se passer si on souhaite
pouvoir répondre aux enjeux sociétaux actuels et à venir, et dont on ne saurait laisser la responsabilité aux
seuls industriels et /ou aux politiques liés à ces mêmes industriels. C’est à notre société civile de s’en
emparer et de lancer le débat à chaque occasion possible, à commencer par les prochaines élections.

Contacts : Olivier Gandrillon (SLR ; Gandrillon@cgmc.univ-lyon1.fr) ; Sébastien Léonard (CGT Rhodia :
CRTL.CGT@gmail.com)


[1Agence d’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur ; http://www.aeres-evaluation.fr/

[2désUMRisation : retrait de la tutelle CNRS menaçant la survie du laboratoire, voir :
http://www.sauvonslarecherche.fr/spip.php?article2880

[4Informations disponibles sur demande, communiquées par des élus au conseil régional. .