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CECI N’EST PAS UN STAGE. Analyse de l’organisation des stages actuellement prévue par le Ministère de l’Education Nationale dans la réforme de la formation des enseignants et de ses conséquences pour les personnels du supérieur, les étudiants, les collègues des établissements primaires et secondaires, et les élèves et leurs parents — SLU, 9 novembre 2009

lundi 9 novembre 2009

DECRYPTAGE DU TEXTE MINISTERIEL

La circulaire du 27 août 2009 dévoile la véritable logique qui sous-tend la mise en place de ces stages dès l’année de master 1, et plus généralement de la réforme de la « masterisation ». Elle organise, du moins en théorie, les stages destinés aux étudiants en master inscrits aux concours d’enseignement.

Que prévoit vraiment le texte pour encadrer les stages d’observation ou en responsabilité ?

« Sur l’ensemble du territoire, seront organisés (cf. Annexe 1) :
- au moins 50000 stages d’observation et de pratique accompagnée permettant d’accueillir un minimum de 100000 étudiants ;
- au moins 50000 stages en responsabilité.
 »
Selon la circulaire, pour les stages d’observation et de pratique accompagnée, « la proportion entre observation et pratique accompagnée résultera du projet de formation concerté entre l’académie, l’université et l’étudiant concerné ».
Pour les stages d’observation et de pratique accompagné, les étudiants seront placés par binôme auprès d’un titulaire du second degré, d’un maître d’accueil temporaire ou d’un maître formateur du premier degré, d’un documentaliste ou d’un conseiller principal d’éducation (C.P.E.) titulaires.
« L’objectif est, qu’au total, ces étudiants bénéficient de 108 heures de stage ». Ces stages « seront organisés pour une durée inférieure à 40 jours et dans la limite de 108 heures ».
- « A partir de l’année universitaire 2010-2011, les stages en responsabilité seront destinés aux étudiants de M2. »

Quelques questions :

- Quelle répartition peut-on prévoir entre les deux types de stages ?
- Sachant que l’on évalue à 140 000 le nombre de candidats aux concours, y aura-t-il suffisamment de stages ?
- Comment intégrer les stages dans la formation et les maquettes des masters ? Ne feront-ils pas diminuer d’autant (à savoir 108 heures) la part de la formation disciplinaire ?

Pour les stages en responsabilité, les stagiaires prendront la responsabilité d’une classe ou exerceront les fonctions de documentaliste ou de C.P.E., et seront suivis par un maître formateur, un enseignant, un documentaliste ou un C.P.E. référents.
- « Ces stages, groupés ou filés n’excéderont pas 108 heures. Ils seront rémunérés à raison de 34,30 euros brut de l’heure, soit une rémunération nette d’environ 3000 euros pour un stage de 108 heures ».

Question : les stages en responsabilité seront en théorie rémunérés 3000 euros à condition de faire 108 heures entièrement en responsabilité. Dès lors, deux options sont donc envisageables :
- soit les étudiants font un stage de 108h en responsabilité, et c’est envoyer devant les élèves des étudiants sans formation pédagogique ;
- soit les étudiants partagent leur temps de stage entre observation et responsabilité, et ils ne seront donc pas rémunérés 3000 euros, mais en fonction des heures effectuées en responsabilité.

« les stages en responsabilité donneront lieu à l’établissement d’un contrat pris en application de l’article 6-2e alinéa de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État. »

Question : les stagiaires, qui n’ont pas le statut de fonctionnaire-stagiaire puisque les stages ont lieu avant le concours, auront le statut d’agents publics selon le ministère. Qu’en est-il de leur responsabilité civile et pénale en cas de difficulté lors d’un stage en responsabilité ?

« L’organisation des stages devra veiller à la compatibilité (volume horaire, emploi du temps) avec les études poursuivies dans le cadre du master et de la préparation aux concours. »

Question : les stages, s’ils sont effectivement de 108h (on rappelle que ce n’est qu’un maximum autorisé par la circulaire) ne peuvent avoir tous lieu en même temps pour des questions d’organisation évidentes. Comment sera-t-il possible de suivre les cours ? de les rattraper ? Si le volume horaire de ces stages est symbolique, à quoi serviront-ils ?

« Pour le premier degré, les stages d’observation et de pratique accompagnée seront organisés dans les classes des maîtres d’accueil temporaires ou des maîtres formateurs. Un maître formateur référent sera désigné pour les stages en responsabilité.
Pour le second degré, les stages d’observation et de pratique accompagnée seront organisés dans la classe, le C.D.I. (Centre de Documentation et d’Information) ou le service de vie scolaire de l’établissement, d’un enseignant d’un documentaliste ou d’un C.P.E. d’accueil. Selon les cas, un enseignant, un documentaliste ou un C.P.E. référent sera désigné, pour les stages en responsabilité. Il donnera un avis sur la définition de l’emploi du temps de l’étudiant stagiaire. Il assurera auprès de l’étudiant stagiaire un rôle de conseil et de formation, en particulier pour les étudiants intervenant en stage en responsabilité. »
« Les formateurs universitaires responsables de la formation des étudiants au métier d’enseignant participeront à l’évaluation des stages en lien avec les référents et, dans le premier degré, les professeurs des écoles maîtres formateurs ainsi que les maîtres d’accueil temporaires. En partenariat avec les écoles et les établissements scolaires ils veilleront à la bonne insertion de ces stages dans le cadre des masters. Les universités seront invitées à coordonner et structurer l’action de ces formateurs.
 »

Question : Au-delà des problèmes épineux que pose la gestion de l’emploi du temps des étudiants, y a-t-il un budget pour ces enseignants, documentalistes et C.P.E. qui devront effectuer ce travail de définition et le rôle de référent ? Seront-ils rémunérés, eux aussi, et à hauteur de combien ?

« Les stages rémunérés en responsabilité seront offerts aux étudiants inscrits aux concours de recrutement. Dans le premier degré et le second degré, ils pourront intervenir en particulier lorsque des enseignants suivent des formations. Dans le second degré, ils pourront aussi contribuer à enrichir l’offre d’enseignement. »

Question 1 : Ne s’agit-il pas de remplacements déguisés, effectués par des étudiants encore au tout début de leur formation ? Dans le contexte des suppressions de postes massives, ne peut-on penser que ce seront donc les étudiants stagiaires qui assureront les remplacements ou qui seront transformés en véritables moyens d’enseignement ?

En effet, ce chiffre de 108h n’est pas calculé au hasard. L’équation est simple :
- pour les enseignants du secondaire, qui font un nombre d’heures de 18h maximum : 108h = 6x18h, soit 6 semaines de remplacements.
- pour les enseignants du premier degré, qui font un nombre d’heures de 27h maximum : 108h = 4x27, soit 4 semaines de remplacements.
Pour plus de détails, voir notamment l’analyse de Jean-Didier Zanos intitulée « Stages : pourquoi 108 heures ? » (12 octobre 2009) ainsi que le point 2 consacré à la masterisation du verbatim de l’AG de SLU (10 octobre 2009).

Question 2 : Les stages tels que prévus ne peuvent être qu’obligatoires, car l’inégalité de l’évaluation serait sinon trop grande (ceux qui peuvent se le permettre financièrement les évitant). Le risque apparaît donc d’une concurrence entre les masters/universités/académies. En effet, on peut penser que les étudiants vont probablement aller là où il y aura des stages.
L’afflux de candidats dans des académies réputées offrir plus de stages entraînera-t-elle la désaffection de certaines universités situées dans des académies où il y en aura moins ?

Question 3 : la fin de l’égalité entre les candidats ne découle-t-elle pas automatiquement du fait que les « stages » répondent aux besoins des académies et non à ceux de la formation ? Si le nombre d’heures de stages varie, si la proportion entre les types de stage également, que devient la logique nationale de la formation et du recrutement des enseignants ?


CONSEQUENCES POUR LES PERSONNELS DU SUPERIEUR, LES PERSONNELS DES ETABLISSEMENTS PRIMAIRES ET SECONDAIRES, LES ETUDIANTS, LES ELEVES ET LES PARENTS D’ELEVES

Conséquences pour les personnels du Supérieur

- La disparition, dans les textes réglementaires, des IUFM comme concepteurs et opérateurs de la formation professionnelle induit une gestion purement bureaucratique et non plus pédagogique des stages : les rectorats, pour l’instant, cherchent seulement à attribuer des remplacements aux étudiants candidats aux concours. Ces stages ne correspondent plus à des plans de formation incluant encadrement, suivi et retour sur stage.
- La transformation des concours PE et PLC en des concours de moins en moins disciplinaires et intégrant ces stages de 108h se traduira par une baisse de la formation disciplinaire et donc du volume d’heures de cours. Les départements devront faire évoluer leurs maquettes de masters pour inclure ces stages, cela fera encore baisser le volume d’heures de cours disciplinaires et aura des conséquences importantes sur les services. Mais ces conséquences se feront aussi sentir sur les masters recherche, ainsi que sur les maquettes de licences.
- L’introduction de l’évaluation par le stage met fin au concours républicain anonyme puisque le suivi et l’évaluation dudit stage seront de la responsabilité de l’établissement, et non du jury de concours : c’est ainsi inclure le contrôle continu local dans le concours national.
- L’intégration de ces stages - remplacements dans les maquettes va créer une véritable usine à gaz. Il y a un conflit pédagogique entre stage et formation : l’emploi du temps des candidats préparant les concours sera alourdi par les stages. Mais le principe même que ces stages soient des remplacements rend leur intégration dans les emplois du temps impossible : puisque les stages n’auront pas lieu en même temps pour tous les étudiants, il y aura donc dans les cours la présence perlée d’étudiants disparaissant chacun à tour de rôle pour le stage.

Conséquences pour les étudiants

- Les étudiants devront mener de front préparation des concours et préparation d’un master, auxquelles il faut à présent ajouter les stages. Comment faire trois choses en une année : un master, une préparation au concours, et une formation sur le terrain pouvant aller jusqu’à 108h ? On peut se demander si l’une des conséquences ne sera pas un taux d’échec plus élevé chez les étudiants.
- Si les étudiants effectuent des stages et ne sont pas admis au concours, cela permettra au ministère de se targuer d’avoir offert aux cohortes de reçus-collés détenteurs du master une pseudo-formation professionnelle avant de se lancer dans le métier. Ils pourront donc être recrutés comme précaires.
- Si les stages deviennent obligatoires pour passer l’oral, et on voit mal comment il pourrait en être autrement, ne pourront donc passer l’oral que les étudiants ayant fait un stage ! Dès lors se pose la question des candidats libres : s’ils n’ont pas fait le stage, ils n’auront pas de rapport, et pas droit à l’oral.
- De même, si seuls 50 000 stagiaires peuvent passer l’oral, il y aura donc bien sélection à l’entrée du M2 et non par voie de concours. En outre, cela obligera les filières où très peu de stages seront offerts dans l’Académie concernée à fusionner avec la préparation de l’université d’à côté. Une « solution » serait d’envoyer en stage les étudiants deux par deux : l’encadrement dont ils bénéficieront et la rémunération du stage seront-ils pour autant doublés ?
- Les étudiants iront là où il y aura des stages : ils seront donc amenés à s’inscrire dans les universités situées dans des académies où il y aura plus de stages, ce qui va renforcer la concurrence entre les universités et induire une rupture de l’égalité des étudiants devant le concours. Ceci permettra de passer à un recrutement académique puis local du fait de la diversité des situations selon les académies.
- Les étudiants pourront être alléchés par la rémunération nette d’environ 3000 euros mais ils ne la toucheront que s’ils font un stage en responsabilité de 108h, ce qui est peu probable, surtout si l’on considère le nombre de stages prévus.
- Les étudiants stagiaires seront des agents publics et non des fonctionnaires stagiaires. En conséquence, se posera la question de leur responsabilité en cas de problème, voire de leur responsabilité pénale.
- Les stages proposés ne sont pas une formation professionnalisante : les étudiants seront envoyés sans formation dans des classes, y compris en ZEP. Il s’agit donc de la pire entrée dans le métier et l’on peut se demander combien de vocations d’enseignants y résisteront.

Conséquences pour les collègues des établissements primaires et secondaires

- Rien n’est dit d’un tutorat budgétisé de ces stages de 108h. Pour l’instant, on ne sait pas si les tuteurs ou les formateurs « référents » sur le terrain seront rémunérés.

- L’arrivée de stagiaires « bouche-trous » en responsabilité posera des problèmes d’organisation aux équipes pédagogiques, notamment en cas de problèmes de discipline éventuels.
- Dans les établissements où seront envoyés ces stagiaires remplaçants, des collègues devront être désignés ou se porter volontaires pour faire le compagnonnage flou mais obligatoire de ces stagiaires non-formés.

D’ores et déjà certains collègues ont décidé de ne pas se prêter à l’organisation de tels stages (voir sur le site de SLU l’initiative des collègues de Rouen et la rubrique « Veille masterisation/concours »).

Conséquences pour les parents et les élèves

- Depuis le début de l’année, la FCPE et d’autres organisations de parents d’élèves ne cessent d’attirer l’attention sur les non-remplacements des enseignants absents et la baisse du nombre de remplaçants. Ils seront heureux d’apprendre que les futurs remplaçants des enseignants de leurs enfants seront des étudiants stagiaires, sans concours ni sélection, sans formation, sans assurance ni formation à la sécurité, sans rémunération, sans statut.
- Les enfants verront défiler plusieurs enseignants différents dans une même matière, assurée par des étudiants à peine formés.
- La question de l’échec scolaire se posera avec d’autant plus d’acuité que le nombre de précaires sans formation augmentera. En effet, la fin du statut de fonctionnaire pour les enseignants, qui est à craindre si une pseudo-formation masterisée remplace le concours, ne peut rassurer les parents d’élèves : aux Etats-Unis par exemple, des études sur les enseignants précaires montrent que leurs élèves réussissent moins bien que ceux qui ont eu des enseignants titulaires.
- On peut soulever aisément un paradoxe de la réforme de la mastérisation : sous couvert d’élever le niveau de formation, professionnelle et disciplinaire des étudiants, le Ministère abaissera le niveau en se servant d’un vivier d’étudiants comme moyens d’enseignement.