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Privatiser la formation des enseignants : l’UMP ouvre la brèche -Lucie Delaporte, Mediapart, 19 janvier 2012

vendredi 20 janvier 2012, par Mariannick

À lire dans Médiapart.
Depuis que le Conseil d’État a retoqué l’arrêté ministériel sur la
masterisation estimant que le ministère avait commis un « abus de pouvoir
 » sur cette réforme cruciale de la formation des enseignants, on attendait
une réponse du côté de la rue de Grenelle. C’est par la voix du député UMP
Jacques Grosperrin, par ailleurs auteur d’un rapport prônant la
suppression des concours d’enseignement, que cette réponse vient
d’arriver.

Alors que le gouvernement était appelé à rouvrir les négociations sur cet
épineux dossier, dont même les députés UMP disent qu’il a conduit à un
immense gâchis, la proposition de loi déposée le 10 janvier arrive comme
une habile parade pour sauver la réforme. Plus besoin, dès lors que les
principes de la masterisation sont inscrits dans la loi, de consulter le
Haut conseil à l’éducation. « C’est un simple toilettage technique pour se
mettre en conformité avec le Conseil d’État », affirme le député Jacques
Grosperrin.

Mais en proposant de remplacer dans l’article L. 625-1 al. 1 du code de
l’éducation la phrase « la formation des maîtres est assurée par les IUFM
 » par « elle est assurée notamment par les universités », la proposition
de loi a déclenché une vague d’interrogations dans le monde enseignant. « 
Notamment »…, l’adverbe a mis le feux aux poudres. Graver dans la loi que
la formation des enseignants est « notamment » du ressort des universités,
ouvre la porte à d’autres acteurs, estiment en effet la plupart des
syndicats enseignants. Pour le Snesup, c’est tout simplement le rôle « 
exclusif » des universités à former les profs qui serait ainsi supprimé.
Par cette formulation, la loi laisse « la possibilité aux officines
privées de prendre le relais, mettant ainsi en cause le lien
enseignement-recherche consubstantiel d’une formation universitaire »,
affirme le syndicat dans un communiqué. Alors que la formation des
enseignants a été déconstruite, pourquoi ne pas offrir au secteur privé
une partie de ce service sur un plateau, et alléger, un peu, le fardeau de
l’Etat ?

Le scénario n’est pas absurde. « En détruisant la formation, on a créé un
vide, souligne Patrick Gonthier, secrétaire général du SE Unsa. Comme la
nature a horreur du vide et que les besoins vont exister, cela laisse de
la place à l’enseignement catholique, mais aussi aux officines privées. »

Fantasme sur un adverbe ? Le député Jacques Grosperrin affirme que la
lecture des syndicats enseignants est erronée. « Nous n’avons pas du tout
l’intention d’ouvrir la formation au privé, affirme-t-il. Par contre, si
on supprimait l’adverbe "notamment", on exclurait de fait les écoles qui,
à ce jour, proposent cette formation. Que faites-vous de Normale sup, de
Sciences-po, de l’institut agronomique de Toulouse, de l’université de
Lorraine (passée grand établissement, elle a un statut dérogatoire - ndlr)
mais aussi des universités catholiques ? »

Du côté de Sauvons l’université, l’argument fait sourire. « Depuis quand
Sciences-po forme les enseignants ? Ce n’est pas parce qu’on délivre un
master qu’on forme les enseignants ! », s’étrangle Etienne Boisserie,
président de SLU pour qui M. Grosperrin « maîtrise visiblement mal son
sujet mais c’est sans doute pour ça qu’il est là ». Selon lui, la nouvelle
rédaction proposée du code de l’éducation est une réponse directe à
l’annulation par le Conseil d’État de la circulaire du 25 février 2010,
qui comportait déjà une formulation ambiguë sur ce point. Plus qu’un
simple « toilettage technique », la proposition de loi correspondrait
plutôt à une vieille lubie de la droite de libéraliser ce secteur
stratégique.

La suppression du « cahier des charges » sur la formation des enseignants,
remplacé par un simple « référentiel » dans la proposition de loi (article
L. 625-1 alinéa 2), est, elle aussi, loin d’être anodine. Alors que le
cahier des charges imposait des contraintes fortes sur la formation en
terme d’horaires notamment, le référentiel est, lui, des plus souples.
Chaque université, ou chaque officine privée, serait libre de proposer sa
propre formule de formation dès lors qu’elle respecte un référentiel a
minima. Une rupture inacceptable du cadre national, jugent les syndicats
enseignants. « Enfin, c’est déjà un peu ce qui se passe aujourd’hui »,
concède Jacques Grosperrin lorsqu’on l’interroge sur ce risque. En ce
sens, sa proposition de loi ne ferait qu’acter des distorsions qui
existent déjà. Pas très rassurant.

Soucieux d’aller vite sans doute, le gouvernement a poussé pour que la
proposition soit examinée dans les plus brefs délais. « Cette question
d’une extrême importance qu’est la formation des maîtres ne mérite pas
d’être traitée ainsi », a prévenu en commission la députée communiste
Marie-Hélène Amiable, très en pointe sur le sujet. « L’État renonce à tout
engagement précis sur la formation des enseignants. Lorsque l’on met ça en
lien avec l’autonomie des établissements, la possibilité de recrutement
local ou la suppression à terme des concours…, on voit bien vers quel
modèle on se dirige », assure-t-elle.

La proposition de loi devrait être examinée en commission dès le 8
février. Jacques Grosperrin, qui assure vouloir avant tout apaiser le
débat, explique qu’il « auditionnera tout le monde » pour lever toutes les
inquiétudes.