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Quand la fachosphère cible les universitaires - Maxime Macé et Pierre Plottu,Libération, 31 mars 2021

jeudi 1er avril 2021, par Mariannick

Les affaires de chercheurs intimidés ou menacés pour leurs prises de position se multiplient. Une arme bien rodée dont use et abuse l’extrême droite pour tenter de dicter son agenda.

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Ils se sont retrouvés avec une cible collée dans le dos, désignés « complices de l’islam radical ». Pourquoi ? Avoir signé une simple pétition appelant à la démission de Frédérique Vidal, la ministre de l’Enseignement supérieur qui avait déclaré mi-février que « l’islamo-gauchisme gangrène la société dans son ensemble et l’université n’est pas imperméable ». « Islamo-gauchisme » : le mot était lâché, déclenchant une série de polémiques et livrant les partisans présumés de cette notion aussi éthérée que fantasmée à la vindicte. Et notamment à celle de l’extrême droite.

Lancée, dans la foulée des déclarations de Vidal, par des membres du personnel de l’enseignement supérieur et de la recherche, la pétition a très vite recueilli des milliers de soutiens et en comptait 23 000 lors de sa remise à Matignon, le 25 mars. Tous dénoncent « l’intention dévastatrice » de leur ministre accusée de « diffamer une profession et, au-delà, toute une communauté ». Mais l’affaire dépasse vite le champ des idées avec la (re) publication, le 21 février sur un blog, de la « liste des 600 gauchistes complices de l’islam radicale (sic) qui pourrissent l’université et la France ». Si ce site obscur n’est pas particulièrement politisé, le texte qui accompagne la fameuse « liste », toujours en ligne, comporte tous les stigmates de l’extrême droite. « Cette liste contient les noms des personnes, toutes payées par l’Etat donc par l’impôt des Français, souvent fonctionnaires, pour effectuer d’hypothétiques recherches qui n’intéressent qu’eux-mêmes et la sphère gauchiste plus ou moins radicale, s’épanche l’auteur. Ces recherches […] servent à développer les théories qui ont pour unique but de faire avancer l’islam et par conséquent le radicalisme islamique à l’université en particulier et en France en général. » L’homme, qui a visiblement agi sous son vrai nom, a également pris soin de mettre des liens comportant CV et contacts de certains signataires.

« Fausses informations »

L’affaire a été immédiatement prise « très au sérieux » par le CNRS, qui a saisi le procureur de la République. Contacté par Libé, il indique n’avoir pas eu de remontées de menaces supplémentaires à ce stade. Des universités, comme celle de Toulouse, se sont décidées à offrir la protection fonctionnelle aux chercheurs visés et à porter plainte. « L’extrême droite utilise les réseaux sociaux, Internet, pour faire circuler des fausses informations, accoler à des personnes bien réelles des opinions qui ne sont pas les leurs et, in fine, en faire des gens supposément dangereux qu’il faudrait presque attaquer… » dénonce Christophe Voilliot, cosecrétaire général du Snesup-FSU, contacté par Libé. Le syndicaliste regrette que Frédérique Vidal n’ait pas soutenu les chercheurs en question plus vigoureusement.

Le sociologue Eric Fassin, également signataire de la pétition, a pour sa part dénoncé une « chasse aux sorcières » lancée par la ministre Vidal et « relayée par la fachosphère ». Le chercheur a lui-même été menacé de mort récemment par Didier Magnien, une ancienne figure de la mouvance néonazie, comme l’a révélé Mediapart. « Je vous ai mis sur ma liste des connards à décapiter le jour où ça pétera », avait lancé Magnien sur Twitter en réponse à un billet de blog publié par le sociologue dans la foulée de l’assassinat de Samuel Paty, où il expliquant notamment que « si les terroristes cherchent à provoquer un « conflit des civilisations », nous devons à tout prix éviter de tomber dans leur piège ». Magnien a été condamné en décembre à quatre mois de prison avec sursis et 1 000 euros d’amende pour « menace de mort ».

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