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Chasse aux étudiants étrangers : la barbarie d’un État - P. Maillard, Mediapart, 4 mars 2012

dimanche 4 mars 2012, par Mariannick

À lire ici dans Mediapart.

Une politique inique et absurde terrorise aujourd’hui des milliers d’étudiants étrangers inscrits régulièrement dans nos universités et dans l’ensemble de nos établissements d’enseignement supérieur. A l’approche de l’élection présidentielle, le gouvernement aurait-il décidé d’en faire les otages de sa dérive idéologique ?

Une fois de plus l’État-Sarkozy nous met face à l’inadmissible. Les faits sont là. Ils sont dramatiques et nous rappellent aux événements du sombre été 2010. La circulaire Guéant du 31 mai 2011 et le zèle des préfets à l’appliquer sans discernement sèment la peur sur les campus universitaires. Le décret du 6 septembre 2011 augmente de 35% les ressources mensuelles minimales pour obtenir un titre de séjour (de 460 à 620 euros : voir ici). Les titres de séjour qui arrivent à terme en milieu d’année ne sont pas renouvelés, contraignant les étudiants à interrompre leur cursus, à retourner dans leurs pays ou à entrer dans la clandestinité. Les services préfectoraux mettent en place une véritable course d’obstacle au renouvellement des titres de séjour. Ils ne renseignent même plus les étudiants étrangers sur leurs droits et multiplient les obligations de quitter le territoire français (OQTF). De toutes nationalités, venus du monde entier, des étudiants se terrent dans les cités universitaires, s’y font parfois arrêter, ou sont cachés par des amis, parfois par des membres d’associations humanitaires et de défense des droits de l’homme. D’autres, de plus en plus nombreux, envisagent de quitter la France et disent, entre dégoût et amertume, rechercher un autre pays où ils pourront terminer leurs études dans des conditions d’accueil plus respectueuses des droits. Il ne s’agit plus seulement, comme le disent certains, d’un gâchis humain ou d’une absurdité économique, mais bien d’un désastre humanitaire, invisible, sournois, dont on voudrait taire le nom, et dont l’État est directement responsable. Ce désastre se passe ici, en France, un pays qui fut jadis celui des droits de l’homme, et qui est devenu au fil des années celui de leur négation.

On ne peut plus se taire. Mais on ne saurait non plus dénoncer cela au seul nom de grands principes. Il faut aujourd’hui témoigner et dire ce qui est. Ce que je fais ici, en tant que citoyen indigné. Mais c’est aussi un appel à s’engager. Contre la barbarie d’un État.

A l’Université de Strasbourg qui accueille plus de 20% d’étudiants étrangers, les expulsions se multiplient depuis le début de l’année. Elles ont doublé, peut-être triplé. La quinzaine de cas dûment recensés par l’UdS ces dernières semaines ne constitue que la face visible d’une lame de fond qui prend la forme d’une véritable chasse aux étudiants étrangers. D’après une estimation que je pense assez fiable, faite par d’Union des étudiants étrangers de Strasbourg (UDEES), il y aurait aujourd’hui entre 600 et 800 étudiants sans papiers à l’UdS, soit 10% des étudiants étrangers, hors communauté européenne. Alors que la préfecture ciblait prioritairement les étudiants d’origine sub-saharienne et du Maghreb, ce sont désormais toutes les nationalités qui sont touchées : pays du continent américain, Ukraine ou Iran. Des étudiants en difficulté ayant pris du retard dans leurs cursus aussi bien que des étudiants brillants, en master ou même docteurs aspirant légitiment à continuer leurs recherches en France. Mais aussi des étudiants qui doivent financer leurs études, sans aide de l’État, parfois vacataires ou en CDD dans les services centraux de l’université.

Leila travaillait à la Direction des finances de l’université. Elle souhaitait financer son doctorat. La préfecture lui a refusé son autorisation de travail. Titulaire d’un master elle occupait un emploi de catégorie C. Sur-diplomée. Elle prend la place d’un français. Elle est contrainte d’abandonner son projet d’études. Ecœurée elle rentre au pays. Barbarie d’un État !

Il y a deux semaines, à la fin de l’un de mes cours où j’avais sensibilisé mes étudiants aux risques qu’ils encouraient actuellement, l’un d’entre eux vient me confier qu’il est sans titre de séjour. Un étudiant canadien, brillant, épuisé par le parcours du combattant pour obtenir le fameux sésame. Il commence à avoir peur et je m’en veux presque de l’avoir inquiété. Barbarie d’un État !

Il y a un mois Adrien m’appelle, effondré. Il vient de recevoir son OQTF. Un mois pour plier bagage. Il est en France depuis 2004, inscrit aujourd’hui en master. Il a toutes ses attaches à Strasbourg. Je le connais un peu : nous avons siégé ensemble au Conseil d’administration de l’UdS. Il a consacré son temps et son énergie au service de la communauté universitaire. Il a lui même aidé et soutenu les étudiants étrangers de Strasbourg en s’investissant sans compter dans une association qu’il a aussi présidée. Sa seule faute est aujourd’hui son engagement, et un peu de retard dans ses études. Adrien est défendu par la présidence de l’université et par la ville de Strasbourg. Le dossier est certainement sur le bureau du Préfet. Mais plus personne n’est sûr aujourd’hui qu’Adrien ne sera pas expulsé. Victime d’une politique du chiffre. Comme tous ses amis, il a peur. Et cette peur est devenue insupportable. Barbarie d’un État !

Le 13 février nous sommes une cinquantaine de personnels de l’UdS, d’étudiants, de militants syndicaux et associatifs à nous rendre au Tribunal administratif pour soutenir Ansoumane. Il a été arrêté en cité universitaire, avec la collaboration du Directeur du CROUS, Christian Chazal, un haut fonctionnaire qui se dit respectueux de la loi et qui n’a que trois chaises dans son bureau pour recevoir une délégation d’élus. Nous étions neuf. Nous avons refusé de passer par sa petite porte. Ansoumane a été dénoncé par une lettre anonyme. Son ami qui l’hébergeait dans sa chambre universitaire est aujourd’hui sous le coup d’une inculpation pour aide à étranger en situation irrégulière. La solidarité est aujourd’hui un délit. Barbarie d’un État !

Au mois de décembre dernier je siège en formation de jugement dans la section disciplinaire de l’UdS. Comparaissent des étudiants ayant fraudé aux examens. Plusieurs d’entre eux ont commis des fraudes légères alors que leurs résultats sont bons. Nous nous interrogeons. Un étudiant étranger nous avoue que son titre de séjour a expiré et qu’il craint de ne pouvoir finir son master. Un autre dispose d’un titre encore valide, mais seulement pour quelques semaines. La peur, toujours la peur. La peur de ne pas assez bien réussir ses examens et d’être expulsé. Je me suis demandé ce jour-là qui il fallait juger. Barbarie d’un État !

Qu’ils s’appellent Adrien ou Ansoumane, Farid ou Leila, tous les étudiants étrangers régulièrement inscrits à l’université doivent être soutenus et aidés avec la même énergie, la même conviction. On ne peut plus accepter des expulsions en cours d’année universitaire. On ne peut plus accepter des autorisations de séjour au compte-goutte. On ne peut plus accepter que des projets professionnels et des vies soient brisés par une politique aveugle. On ne peut pas accepter de voir nos étudiants, ni quelque étranger que ce soit, des femmes et des enfants, croupir dans d’infâmes centres de rétention. Une règle simple doit nous permettre de sortir au plus vite de toute cette barbarie : une inscription à l’université = un titre de séjour. Et pas un titre de six mois ou un an. Un titre de la durée du diplôme !

Aujourd’hui la communauté universitaire de Strasbourg, solidaire, inquiète ou indignée, a pris conscience de l’urgence. Une motion a été adoptée par le Conseil d’administration de l’UdS. Elle demande le retrait de la circulaire Guéant. Sur la suggestion des organisations syndicales et des associations étudiantes une cellule de veille et d’alerte sera mise en place, l’équipe administrative chargée du soutien aux étudiants étrangers sera renforcée et une campagne d’information sera faite en direction de tous les personnels et étudiants de l’UdS. Des parrainages seront également mis en place pour aider et soutenir les étudiants, aussi bien dans leur cursus que dans leurs démarches administratives et juridiques. C’est important, mais cela ne suffira pas. En attendant que tout ceci se mette en place, des actions de protestation et des manifestations de soutien aux étudiants étrangers se dérouleront dans les semaines qui viennent. Et nous devons surtout apporter une aide immédiate et concrète à celles et ceux qui risquent d’être expulsés, demain ou après-demain. Nous devons encore alerter massivement nos concitoyens et pour cela nous avons besoin de l’appui des médias. Certains se sont engagés, parfois par un travail remarquable (voir le dossier de Rue89 ici).

Mais l’urgence humanitaire ne doit pas laisser au second plan la question politique. Car la question est directement politique. Nous le savons tous. Je relève donc pour finir trois faits qui nous mettent face à d’autres figures de l’inadmissible. Ils touchent aux valeurs, à l’éthique et au respect de droits fondamentaux. Il convient certainement de les considérer avec attention.

Tout d’abord les autorités préfectorales, appuyées par une loi inique, s’arrogent aujourd’hui le droit de définir et de déterminer seules les critères académiques et pédagogiques qui permettent d’inscrire ou non les étudiants dans nos établissements d’enseignement supérieur et de recherche. Ceci ne relève en rien de leurs attributions et encore moins de leurs compétences. Le nombre d’erreurs relevées dans les descriptifs des cursus des étudiants et figurant sur les OQTF laisse par ailleurs très songeur. Je n’en dis pas plus.

C’est ensuite la mise place, depuis fin 2009, d’une politique incitative, via des primes distribuées selon des critères de performance, qui est éthiquement inadmissible. Un État qui attribue secrètement des primes de 40 000 à 60 000 euros à ses Préfets et dont une partie est indexée sur le nombre de reconduites à la frontière (voir ici) souscrit implicitement au principe suivant : de l’argent contre l’avenir et la vie d’étudiants étrangers. Ce principe est innommable.

Enfin un État qui, mobilisant des centaines de fonctionnaires dans ses préfectures et sa police, préfère dépenser l’argent du contribuable dans une politique d’expulsion massive d’étudiants, au lieu de donner des moyens humains et financiers aux universités pour aider, soutenir et accueillir comme il convient ces mêmes étudiants, cet État nous fait sortir des valeurs de la République et de ce qu’on nomme encore la civilisation.

Toute cette politique met non seulement en péril nos universités, leur image à l’étranger et leur longue tradition d’accueil, mais elle est encore une menace pour le bien commun, l’intérêt général et la République elle-même. Je ne doute pas qu’il y aura aujourd’hui des femmes et des hommes politiques responsables, des élus, quelle que soit leur appartenance, assez courageux pour dénoncer unanimement un État qui fabrique une clandestinité honteuse à des milliers d’étudiants étrangers.

En définitive ce qu’il convient aujourd’hui de comprendre et de dire avec vigueur, c’est que l’état sarkoziste, en plus de son mépris pour les droits de l’homme, foule aux pieds deux principes fondamentaux : le droit des étudiants étrangers à faire leurs études en France et l’indépendance des universités dans leur politique d’accueil des étudiants. Car, en s’en prenant aux étudiants étrangers, l’État s’en prend aux universités et aux universitaires. Réciproquement, toutes les réformes de l’université qui limitent l’indépendance et les libertés académiques des universitaires et des chercheurs s’en prennent directement au principe de l’universalité du savoir et à la liberté d’étude des étudiants étrangers. Il suffit pour le comprendre de se reporter à l’Appel du 23 février dont la dixième proposition est une demande d’abrogation de la circulaire Guéant. La signature de cet appel est ouverte à tous les citoyens.

J’ajoute une dernière chose : n’en déplaise à Mr Guéant, il n’y a pas de civilisation supérieure à une autre. Mais assurément, lui et son ami Président auront contribué à un abaissement moral de la nôtre. Et nous avons tous compris qu’un chef d’État qui s’adonne à cette barbarie n’a plus aucun crédit quand il énonce que « l’immigration peut être un problème ». C’est lui, son État et l’action de son gouvernement qui sont aujourd’hui le problème. Il est temps que tous s’en aillent et que nos étudiants étrangers retrouvent un peu de sérénité.

Alors, quand vous irez voter, chers lecteurs de Mediapart, prenez bien soin d’envoyer à Nicolas Sarkozy son OQPF : Obligation de Quitter la Présidence Française. Mais d’ici là il faut agir. Un vote n’a jamais suffi à prévenir les peuples contre le pire. Et le pire est advenu, ici et maintenant.

Pascal Maillard

PS : Les prénoms de certains étudiants ont été changés pour préserver leur anonymat.