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Réflexions sur la recherche scientifique en France - Tribune d’Alain Prochiantz, Le Monde, 3 novembre 2012

jeudi 8 novembre 2012, par M. Homais

Le Monde (abonnés).

Depuis plusieurs années, sous l’impulsion d’une politique menée par tous les gouvernements, les établissements publics scientifiques et techniques (EPST) comme le CNRS, l’Inserm, l’INRA, etc. ont été affaiblis au profit d’agences d’évaluation (Aeres) et de financement (ANR). Au profit aussi de l’université, avec laquelle ils avaient toujours harmonieusement collaboré dans la gestion d’unités mixtes de recherche. De fait, s’il est nécessaire de développer la recherche pilotée par les universités, il est néfaste de le faire aux dépens des EPST, à qui l’on doit très largement notre place de sixième dans la recherche mondiale.

A l’argument financier « on ne peut pas tout faire », opposons que le budget total du CNRS, salaires compris, est de 3 milliards d’euros, égal donc à la perte des recettes fiscales induite par la baisse de la TVA dans la restauration. Inférieur aussi, de 2 milliards environ, au crédit impôt recherche destiné à inciter les industries à investir dans la recherche. Avec le résultat décevant d’un investissement d’environ 1,1 % du PIB, deux fois inférieur à celui de nos compétiteurs directs. Avec l’Allemagne, ce décrochage a débuté en 1997 et s’est depuis aggravé continûment (Le Monde du 1er novembre 2011). Rappelons que l’Allemagne contribue pour 8,5 % aux dépenses en recherche et développement de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) contre 4,8 % pour la France, à peine plus que les 4,6 % de la Corée du Sud (source OCDE 2011). La baisse de compétitivité des entreprises a peut-être un lien avec le coût du travail, mais elle en a très certainement un avec cette faiblesse des investissements en recherche et développement.

Sur ces quelques constats, on proposera les quatre pistes de réflexion suivantes.

1. Supprimer l’Aeres pour l’évaluation de la recherche publique. A la place, les EPST peuvent utiliser les logiciels de bibliométrie pour reconduire automatiquement les équipes (et leurs financements) qui sont dans la moyenne gaussienne des citations sur les cinq à dix années précédant l’évaluation, soit environ 70 % des équipes. On examinera les 15 % les meilleures qu’on financera à hauteur de leurs besoins réels à l’exception des quelques « opérateurs » qui publient par an plus de papiers qu’ils ne peuvent en lire. On examinera avec attention les 15 % les plus mauvaises pour les fermer ou les aider, aussi pour identifier d’éventuelles pépites trop originales pour être comprises par les éditeurs des grands journaux scientifiques. Cela permettra d’économiser de l’argent, celui du fonctionnement de l’Aeres et celui lié à la perte de temps qu’implique pour les laboratoires un exercice inutile.

2. Le financement étant lié à l’évaluation, on restituera une partie des moyens des ANR (au moins 50 %) aux EPST, l’autre partie étant destinée à des appels d’offres compétitifs, non ciblés pour 70 % et thématiques pour les 30 % restants afin de promouvoir la recherche sur des domaines insuffisamment étudiés. Ces pourcentages sont indicatifs et les EPST peuvent se substituer à l’ANR pour les appels d’offres.

3. Financer les meilleures équipes (les 15 % mentionnés) à hauteur de leurs besoins a un coût. Comme ses concurrents directs, la France investit 1,1 % de son PIB dans la recherche scientifique académique, mais cet investissement n’est pas complété par une tradition caritative (comme aux États-Unis ou en Grande-Bretagne) ou par une action étatique et régionale (comme en Allemagne avec les Instituts Max-Planck). Le manque à gagner est d’environ 2 milliards, qu’il faudra ajouter au budget des EPST pour financer les équipes les plus performantes.

4. Attirer les jeunes diplômés dans les métiers de la recherche et de l’enseignement supérieur est une urgence. La Fête de la science tardant à les convaincre, il faut les embaucher plus tôt et à un salaire plus élevé. Ces embauches concernent les chercheurs et enseignants-chercheurs, mais aussi les ingénieurs et administratifs dont les laboratoires ont un cruel besoin. Le coût de l’opération peut être évalué à 1 milliard d’euros, chiffre qui avait été avancé par une commission de l’Académie des sciences chargée de travailler sur le sujet de l’attractivité des métiers de la recherche par le précédent ministère de la recherche et de l’enseignement supérieur.

Si on ajoute les points 3 et 4, ce sont donc environ 3 milliards qu’il faut injecter dans la recherche scientifique. On suggérera donc de le faire en relevant la TVA sur la restauration et en diminuant le crédit impôt recherche, en examinant de près les effets d’aubaine auxquels il a donné lieu.

Ces réformes simples, pouvant être mises en œuvre sans délai, sont de nature à améliorer rapidement notre position dans le monde. Elles complètent les opérations récentes, dont les initiatives d’excellence, pas toutes inintéressantes (inutile de les détricoter), mais lourdes et chronophages même si elles permettent de gagner quelques places dans le classement de Shanghaï, récente obsession hexagonale.

Je terminerai en plaidant pour la liberté de la recherche. En biologie, deux découvertes qui ont eu un impact décisif sur notre compréhension des pathologies sont l’instabilité des génomes et l’ARN interférentiel. On les doit à des travaux sur la couleur des grains de maïs et celle des pétales de pétunia dont on peut douter qu’ils eussent été financés par un plan Alzheimer. Une recherche pilotée à des fins purement sociétales va souvent à l’encontre de ses objectifs. Une autre forme de populisme est la frilosité devant les innovations qui, à travers le principe de précaution, s’est logée jusque dans notre Constitution. Les OGM en sont un excellent exemple. Les études sur leur dangerosité ou les débats sur la privatisation des semences sont nécessaires, mais renoncer à la recherche dans ce domaine est pur aveuglement.

En conclusion, je citerai celle du « Rapport sur le progrès et la marche de la physiologie générale en France », commandé à Claude Bernard en 1867 par Napoléon III.

« On peut voir, par exemple, que si l’Allemagne tient la plus large place dans les publications de la science physiologique contemporaine, cela vient de ce que les moyens de la culture de la physiologie expérimentale y sont considérables et bien institués. Il en est résulté que nulle part ailleurs il ne s’est formé autant de physiologistes éminents, et que nulle part ailleurs les élèves ne trouvent autant de moyens d’étude en même temps qu’une bonne direction scientifique. C’est donc là un enseignement dont les autres pays peuvent profiter. En résumé, pour avancer dans la physiologie comme dans les autres sciences expérimentales, il faut deux choses : le génie qui ne se donne pas, les moyens de travail dont on peut disposer. La physiologie française ne réclame que ce qu’il est facile de lui donner ; le génie physiologique ne lui a jamais manqué. »