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Vers une mondialisation de l’éducation ? Christian Baudelot, Sciences Humaines, 29 septembre 2014

lundi 3 novembre 2014, par Tournesol, Pr.

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Le classement international des systèmes scolaires, Pisa,
 a incité plusieurs pays à réformer leur école. Revers de la médaille : 
le risque d’une standardisation de l’offre scolaire mondiale.

Pisa est-il en train d’imposer un modèle scolaire unique ? La réponse à la question doit être nuancée. La diversité culturelle et géographique des pays qui ont obtenu, au fil des cinq passations, de 2000 à 2012, les meilleures performances aux épreuves de Pisa contredit fortement l’hypothèse d’un modèle unique. Canada, Finlande, Corée, Japon, Nouvelle-Zélande, autant de pays dont les valeurs culturelles, les langues et l’organisation des systèmes scolaires sont loin de se ressembler : ce sont pourtant eux qui affichent sur le moyen terme les meilleurs résultats. Plus significatif encore : certains pays, insatisfaits des résultats obtenus par leurs élèves au cours des premiers rounds de Pisa, ont pris des mesures pour améliorer les performances de leurs élèves. Et ils ont réussi ! C’est le cas de l’Allemagne et de la Pologne, dont les remontées sont spectaculaires. Qu’ont-ils fait ? Modifié leurs programmes, aligné leur scolarité sur le modèle finlandais ? Pas du tout : ils ont généralisé, autant qu’ils pouvaient, l’école maternelle et abattu des cloisons ségrégatives pour construire un tronc commun dans le secondaire. Au-dessus de la moyenne de l’OCDE en sciences, la Pologne a perfectionné ses résultats concernant la compréhension de l’écrit entre 2000 et 2009. Les élèves les plus performants conservent leur niveau, mais les plus faibles l’ont corrigé. D’autre part, l’écart entre les élèves scolarisés dans un établissement urbain et ceux venant d’un établissement rural est beaucoup moins marqué en Pologne, où il atteint les niveaus belge, finlandais, allemand et néerlandais. 


De l’idéal démocratique…


L’une des grandes leçons de Pisa est une leçon démocratique. Les pays qui obtiennent les scores les plus élevés ont tous un point commun, bien antérieur à la mise en place du programme Pisa. Il puise ses origines dans la philosophie générale de l’éducation propre à chacun de ces pays. L’école, ouverte à tous, se doit de doter tous les élèves d’un bagage minimal commun. Chacun de ces pays a réussi à minimiser l’effet de l’origine sociale et du capital culturel des parents sur les résultats scolaires de leurs enfants. La faiblesse du système scolaire français se révèle alors au grand jour : la France, pays des « héritiers », est le pays de l’OCDE où l’incidence de l’origine sociale sur les performances scolaires des élèves est la plus accentuée, où l’écart entre les forts et les faibles est l’un des plus creusés. Le modèle unique de Pisa, s’il existe, est aux antipodes de l’élitisme à la française. Mais la France persiste fièrement dans son modèle à elle.


Il en va tout autrement dès lors que les évaluations de Pisa s’appliquent à des pays qui ne font pas partie de l’OCDE. Le principe qui consiste à comparer le comparable est délibérément violé. L’absurdité d’une échelle unique où s’échelonneraient à armes égales les performances des systèmes scolaires des différents pays de la planète éclate au grand jour lorsqu’on sait qu’une classe d’âge de 15 ans compte 66 000 personnes en Finlande, mais 2 151 800 au Mexique et plus de 3 200 000 au Brésil.


… à la norme inaccessible


Les résultats de Pisa sont présentés dans des tableaux statistiques, dont la forme, immuable et standardisée, est imposée par le format du tableur qui équipe aujourd’hui les ordinateurs du monde entier, Excel. Chaque tableau est divisé en deux dans le sens de la hauteur. En haut de la page (de Australia à United States) les 34 pays de l’OCDE ; en bas de la page, (de Albania à Viêt Nam) les 31 pays dits « partenaires ». Entre ces deux listes, une séparation nette, matérialisée par une ligne blanche et un filet noir. Juste au-dessus de cette frontière horizontale une ligne intitulée OCDE Average, les scores obtenus par la moyenne des pays de l’OCDE. 


Cette moyenne, qui coupe la page en deux, suggère qu’il y a des pays au-dessus de la moyenne (en haut de la page) et d’autres en dessous de la moyenne (en bas de la page). D’un strict point de vue graphique, la moyenne des pays de l’OCDE est présentée à tous les pays partenaires comme le mètre étalon à partir duquel ils doivent évaluer la qualité de leurs propres systèmes scolaires. Cette moyenne est une norme. La moyenne des pays de l’OCDE qui partage la page en deux indique les performances considérées comme normales dans les pays de l’OCDE. Le normal, qui s’exprime ici dans la moyenne, exhibe et multiplie la norme en l’imposant à tous les pays du bas de la page comme un idéal à réaliser. Les résultats moyens des pays les plus riches de la planète sont imposés à tous les autres, à la fois comme une norme et comme un idéal à atteindre. Or cet idéal est par définition impossible à atteindre compte tenu du niveau de développement économique de ces pays. Mais il est imposé à tous comme un modèle unique.

Le Chili, un élève presque parfait

Dans la course au classement, certains pays en font plus que d’autres. Le souci de rejoindre le peloton des pays riches incite parfois à procéder à des remaniements spectaculaires. Le Chili en offre un bon exemple. De tous les pays d’Amérique latine, c’est celui, depuis le début du programme Pisa, dont les élèves de 15 ans enregistrent de loin les meilleures performances. L’histoire de son système d’éducation est intéressante à connaître : il a été en grande partie conçu et dessiné par les économistes de Chicago, adeptes des formes les plus libérales de la théorie du capital humain : désengagement de l’État, décentralisation et privatisation, tels sont les trois principes clés de 
la réforme éducative instaurée par 
le régime de Pinochet. La part des enfants scolarisés dans des écoles privées (primaire et secondaire) atteint près de la moitié d’une génération. Les familles reçoivent de l’État des bons 
en espèce (vouchers), à eux ensuite d’optimiser au mieux le rendement 
de ce capital initial. Après la mort de Pinochet, lycéens et étudiants ont vivement contesté ce système et la très mauvaise qualité de l’enseignement dispensé, mais sa structure a peu évolué depuis. Pourtant, ils talonnent les performances des pays les plus riches dans les épreuves de Pisa. Comment ? Le Chili a mis l’accent sur les compétentes mesurées par Pisa (par exemple en organisant des trainings en compréhension de l’écrit, mathématiques, etc.) et effectué 
des coupes sombres dans toutes 
les matières estimées non rentables, l’histoire en particulier.