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Les belles étrennes du gouvernement à Polytechnique - Sylvie Ducatteau, L’Humanité, 4 janvier 2016

vendredi 8 janvier 2016, par Pr. Shadoko

L’école la plus élitiste de France verra son budget doubler grâce à la générosité de l’État, qui lui accorde 60 millions d’euros supplémentaires 
en cinq ans. Soit quasiment l’équivalent des fonds alloués en 2016 à l’ensemble des universités soumises au pain sec de l’austérité.

Les universités en rêvaient. L’École polytechnique l’a obtenu. Le budget de l’école la plus élitiste de France sera renfloué de 60 millions d’euros en cinq ans. De belles étrennes annoncées, le 15 décembre, par pas moins de trois membres du gouvernement : Jean-Yves Le Drian, le ministre de la Défense, Emmanuel Macron, le ministre de l’Économie, et le secrétaire d’État à l’Enseignement supérieur et la Recherche, Thierry Mandon. Tous ont fait le déplacement à Palaiseau, le siège de l’école, pour annoncer la bonne nouvelle au conseil d’administration et à son président, Jacques Biot. Ce dernier, polytechnicien, se présente dans la presse économique comme un chef d’entreprise en mal de capitaux face à un environnement international très compétitif. «  Nous avons les mêmes contraintes que l’industrie bancaire ou aéronautique  », expliquait-il dans le journal l’Opinion en juin dernier. Le message a visiblement été bien reçu au plus haut sommet de l’État.

Le cadeau est monumental au regard de la rallonge de 65 millions d’euros que devront se partager cette année l’ensemble des universités et autres écoles publiques de l’enseignement supérieur. D’un côté 2 943 élèves, l’équivalent d’un gros lycée. De l’autre 1,5 million d’étudiants, dont 65 000 supplémentaires pour la seule rentrée 2015 sous le simple effet démographique. «  Le gouvernement fait un choix hautement politique. Il place des billes sur une école de l’entre-soi. Cela va à l’encontre de l’intérêt général. Il choisit l’excellence d’une formation au profit du petit nombre   », dénonce Alexandre Leroy, président de la Fédération des associations générales étudiantes (Fage). Il ne décolère pas, d’autant qu’il garde en mémoire les propos de Thierry Mandon. Interpellé de tous côtés sur les conditions désastreuses de la rentrée universitaire, le secrétaire d’État avait jugé «  faisable d’investir un milliard pour l’université  » tout en reconnaissant que cette décision relevait d’«  un choix politique  ». Le choix politique, en bout de course, tourne à l’avantage des X, comme on aime s’appeler entre polytechniciens. Il privilégie surtout le marketing et la concurrence internationale.

La marque «  Polytechnique  » se voit en effet confier le rôle de vaisseau amiral de la France sur la scène internationale lancé dans la compétition effrénée entre les établissements de l’enseignement supérieur.

L’argent de l’État va y pourvoir en finançant notamment la création d’un nouveau bachelor. Un diplôme en trois ans pour lequel les étudiants devront débourser 10 000 euros par an. Les cours y seront dispensés en anglais. À terme, ce sera également le cas pour la moitié des enseignements de l’école. «  Nous n’avons rien contre l’excellence mais à la condition que tout le monde puisse y parvenir. Là, on est très loin de la démocratisation de l’enseignement supérieur qu’applaudissent des deux mains Thierry Mandon, Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Éducation nationale, et même François Hollande. Ils font le choix de l’incohérence et de la provocation   », renchérit le responsable de la Fage.

D’autant que la part d’élèves rejoignant un corps de l’état à la fin de leurs études n’est que de 17, 5%, soit à Peine 70 des 400 diplômés promus chaque année.

40 000 euros pour un « X », dix fois moins pour un étudiant lambda

Depuis deux siècles, la vieille dame qui s’attache sans sourciller à reproduire l’élite républicaine sous le sceau militaire a toujours été choyée. Elle se situe au premier rang des établissements les mieux dotés de France, avec un budget total de 119 millions d’euros en 2014 dont 76 millions de dotations de l’État. S’y ajoute l’argent collecté par la fondation de l’école, qui regroupe le fleuron du grand patronat qui vient de lancer un appel aux dons avec l’objectif de multiplier par deux les étrennes du gouvernement. D’ici quatre ans, la grande école disposera d’un budget de 250 millions d’euros, soit l’équivalent de celui de Paris-Descartes ou d’une université de province qui accueille 30 000 à 40 000 étudiants. D’où le calcul amer d’Alexandre Leroy : «  Cela représente 4 000 euros pour un étudiant lambda contre 40 000 euros pour un élève de Polytechnique.  »

A peine 13 % de boursiers 
et 20 % de femmes

L’aisance a du bon. Les X sont rémunérés et perçoivent 900 euros par mois. En contrepartie, ils doivent travailler pour l’État durant dix ans. Mais ils sont en réalité de plus en plus nombreux à tourner le dos aux affaires publiques au profit des entreprises privées. Ils vivent sur le campus qu’ils appellent «  Platâl  », en référence au plateau de Saclay où l’école est implantée. Ils y disposent de chambres de 18 m2, modernes et équipées. Des «  caserts  » qu’ils peuvent conserver durant les quatre années que durent leurs études. Elles leur coûtent moins de 200 euros par mois, une fois les APL déduites. L’école est dotée d’un centre de santé. Les soins y sont gratuits. Et d’équipements sportifs à foison : quatre gymnases, deux terrains de football, trois terrains de rugby, une salle d’armes, deux bassins de 25 mètres pour la natation, six terrains de tennis… On y pratique le sport trois fois par semaine et deux disciplines obligatoirement. Des atouts vantés tant par le guide d’accueil des nouvelles promotions réalisé par les élèves eux-mêmes que par le très officiel bilan d’activité de Polytechnique.

Évidemment, côté formation, on frôle l’idéal. Une dizaine de langues au choix sont enseignées dont l’arabe, le chinois, le japonais… 100 % des X effectuent au moins un stage de trois à six mois à l’étranger. Vingt-deux laboratoires de recherche sont implantés au sein de l’école. Rien n’est trop beau pour les «  cerveaux d’exception  », issus comme par hasard de milieux socialement favorisés et plutôt de sexe masculin. 13 % des X sont boursiers contre 35 % dans les universités. Sur les 434 inscrits en master en 2014 ou en école doctorale, 20 % sont des femmes. Pas besoin de sortir de Polytechnique pour constater que les comptes de la diversité n’y sont pas.

Le projet d’école concocté par les grands patrons

«  Le 15 décembre marquera pour longtemps l’histoire du bicentenaire de l’École polytechnique  », écrivait dans une chronique Bruno Angles, président de la très influente association des anciens de l’école. Polytechnicien, patron de Macquarie Infrastructure and Real Assets France, administrateur des Autoroutes Paris-Rhin-Rhône, de l’aéroport de Bruxelles et membre de plusieurs conseils de surveillance, il lui a été facile de mobiliser les grands patrons pour peaufiner le projet d’évolution de l’école lors de dîners où se sont retrouvés ceux 
de Total, Areva, Vinci, Airbus… Et Bernard Attali, auteur d’un rapport commandé par Manuel Valls sur l’avenir de Polytechnique, dont seulement deux mesures 
ont été rejetées.