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Tribune par un collectif d’enseignants de l’Institut d’études politiques de Grenoble - Le Monde, 17 mars 2021

mercredi 17 mars 2021, par Mariannick

Un collectif d’enseignants de l’Institut d’études politiques de Grenoble s’alarme, dans une tribune au « Monde », de l’instrumentalisation après le collage sauvage d’affiches mettant en cause deux enseignants.

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Tribune. Depuis plusieurs jours, l’Institut d’études politiques de Grenoble et le laboratoire Pacte sont au centre de l’attention médiatique et de campagnes haineuses et calomnieuses sur les réseaux sociaux à la suite du collage sauvage d’affiches mettant en cause très violemment deux enseignants accusés d’islamophobie et de fascisme.

Les enseignants, chercheurs, étudiants, personnels et responsables de ces deux institutions ont apporté aux deux enseignants attaqués un soutien très clair en condamnant fermement l’injure et l’intimidation dont ils ont été victimes dans un contexte particulièrement inquiétant. Ce collage, qui a fait l’objet d’une saisine du procureur de la République par la directrice de l’Institut d’études politiques, est odieux. Il met en danger non seulement les deux enseignants cités mais aussi l’ensemble des personnels et des étudiants qui forment notre communauté et sur lesquels pèse aujourd’hui un poids trop lourd à porter.
En dépit de ce soutien, nous assistons à la propagation d’un incendie médiatique apparemment hors de contrôle dans lequel se sont associées des forces qui dépassent largement le cadre auquel aurait dû se limiter ce collage, y compris pour assurer la sécurité des personnes citées. Cet incendie est attisé depuis plus d’une semaine par les commentaires de ceux qui, tout en ignorant généralement les circonstances de cette affaire, s’en emparent pour stigmatiser la prétendue faillite de l’université et la conversion supposée de ses enseignants, particulièrement dans les sciences sociales, à l’« islamo-gauchisme ».
Les circonstances qui ont conduit aux collages commencent à être connues. Parmi elles, les pressions inacceptables exercées en novembre et décembre 2020 pour faire supprimer le mot « islamophobie » d’une conférence organisée par l’Institut ont joué un rôle déterminant. Il appartient désormais aux différentes instances qui sont saisies des faits de rétablir la vérité qui a été tordue et abîmée sur les plateaux de télévision et les réseaux sociaux.

Il nous revient en revanche, comme enseignants et comme chercheurs, d’alerter sur la gravité de ce qui est en train de se passer depuis ces collages. Nous assistons en effet à la mise en branle dans les médias d’un programme de remise en cause inédite des libertés académiques – en matière de recherche comme d’enseignement – ainsi que des valeurs du débat intellectuel à l’université.
La première liberté qui a été bafouée dans cette affaire n’est pas, en effet, la liberté d’expression ou d’opinion, comme le prétendent de nombreux commentateurs mal informés brandissant à contresens l’argument de la cancel culture. Les deux enseignants visés par les collages ont en effet eu tout loisir de s’exprimer pendant cette affaire.

Ce qui est en jeu, et qu’ils ont délibérément refusé de respecter, ce sont les principes du débat d’idées dans le cadre régi par l’université. Au premier rang de ces principes figure la nécessité de faire reposer son enseignement et ses recherches sur l’analyse des faits et de les séparer clairement de l’expression de valeurs, de la manifestation de préjugés et de l’invective.
[…]

Il nous reste heureusement la possibilité de retourner à notre travail. Celui que nous faisons toutes et tous depuis des années en délivrant des cours et en animant des débats argumentés sur des enjeux non moins sensibles que l’islam, comme la colonisation, les génocides et les crimes contre l’humanité, le terrorisme, la place de la science dans la société, les pratiques policières, les politiques migratoires, le populisme, le racisme, la domination masculine, le genre et la sexualité, les crises écologiques ou encore les inégalités. Pour combien de temps encore ?

Liste complète des signataires (tous enseignent à Sciences Po Grenoble) :
Stéphanie Abrial, ingénieure de recherche en science politique
Marie-Charlotte Allam, enseignante-chercheure en science politique
Chloë Alexandre, enseignante-chercheure en science politique
Amélie Artis, maîtresse de conférences en économie
Gilles Bastin, professeur de sociologie
Renaud Bécot, maître de conférences en histoire
Céline Belot, chargée de recherches en science politique
Marine Bourgeois, maîtresse de conférences en science politique
Arnaud Buchs, maître de conférences en économie
Hélène Caune, maîtresse de conférences en science politique
Laura Chazel, enseignante-chercheure en science politique
Camille Duthy, enseignante-chercheure en sociologie
Frédéric Gonthier, professeur de science politique
Florent Gougou, maître de conférences en science politique
Martine Kaluszynski, directrice de recherche en science politique
Séverine Louvel, maîtresse de conférences en sociologie
Antoine Machut, enseignant-chercheur en sociologie
Raul Magni-Berton, professeur de science politique
Sophie Panel, maîtresse de conférences en économie
Franck Petiteville, professeur de science politique
Simon Persico, professeur de science politique
Catherine Puig, professeure agrégée d’espagnol
Sébastian Roché, directeur de recherches en science politique
Guilaume Roux, chargé de recherches en science politique
Simon Varaine, enseignant-chercheur en science politique
Robin Waddle, professeur agrégé d’anglais
Sonja Zmerli, professeure de science politique