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"Universités européennes : le souffle de l’austérité". Lucie Delaporte, Mediapart, 9 novembre 2013.
samedi 9 novembre 2013, par
Le cas des universités grecques n’est pas isolé en Europe. Ces cinq dernières années, les deux tiers des pays européens ont réduit leurs dépenses consacrées à l’enseignement supérieur, ce qui compromet les objectifs de « l’Europe de la connaissance ».
Pour lire cet article sur le site de Mediapart.
La fermeture en cette rentrée de deux universités grecques (notre article, ici), confrontées à une baisse drastique de leurs moyens, jette une lumière crue sur la situation de « l’Europe de la connaissance », dont la construction est vantée depuis quinze ans, avec le lancement du processus de Bologne. Car le cas grec, pour être extrême, est loin d’être isolé.
L’austérité touche pratiquement toute l’Europe de l’enseignement supérieur – à des degrés et sous des formes diverses –, mais avec un fossé croissant entre le Nord et le Sud. Ces cinq dernières années, une vingtaine de pays ont taillé dans ce budget, alors que moins d’une dizaine le sanctuarisaient ou l’augmentaient, selon une récente étude de Eurydice/Commission européenne. Le nombre d’enseignants-chercheurs dans l’Union européenne a baissé de manière générale, tandis que leurs salaires ont été réduits ou gelés dans la moitié des pays ces deux dernières années. Les dépenses de fonctionnement, la rénovation des bâtiments ont été affectées. Un certain nombre de pays ont également réduit le nombre de leurs établissements d’enseignement supérieur, certains au nom d’une optimisation de l’offre de formation, d’autres plus directement en réponse à leur situation financière.
Hormis la Grèce, c’est sans doute en Espagne que la situation de l’enseignement supérieur s’est le plus dégradée depuis la crise de 2008. Le budget de l’enseignement supérieur n’a cessé de baisser ces cinq dernières années, avec une chute brutale de 20 % dans le dernier budget. En décembre dernier, les recteurs d’universités avaient solennellement alerté les pouvoirs publics des « effets de l’endettement des communautés autonomes », qui a conduit le système d’enseignement supérieur et de recherche espagnol « à une situation proche de l’asphyxie économique, qui pourrait causer des dégâts irrémédiables ». « Nous nous retrouverons sans l’une des armes nécessaires pour avancer et sortir de la crise économique : la connaissance », ajoutaient-ils.
Pour les étudiants, cette situation de sous-investissement s’est traduite par une hausse brutale des droits d’inscription. À Madrid, les droits d’inscription ont doublé en deux ans, pour atteindre 1 600 euros par an. Bien au-delà de la moyenne européenne. Parallèlement, l’accès aux bourses, conditionné désormais aux ressources, mais aussi aux résultats des étudiants, a été sévèrement restreint. Cette année, ce sont près de 10 000 étudiants qui ont été exclus des dispositifs de soutien.
Conséquence directe de cette politique, en Espagne depuis plusieurs années, le nombre d’étudiants inscrits à l’université décroît (voir rapport Eurydice, ici). C’est une tendance qui est à rebours de l’objectif européen d’amener 40 % d’une classe d’âge au niveau licence (la moyenne est aujourd’hui de 34 %).
En Italie, le gouvernement d’union nationale d’Enrico Letta a décidé un plan de réinvestissement de l’enseignement supérieur. Outre les fortes mobilisations étudiantes contre l’austérité, un chiffre a sans doute convaincu le gouvernement italien de changer de braquet : la proportion des jeunes Italiens de 25 ans détenant un diplôme de l’enseignement supérieur baisse, selon le dernier rapport de l’OCDE. Le pays se situe déjà dans le bas du classement, avec seulement 48 % d’une classe d’âge inscrite à l’université contre une moyenne de 60 % dans l’OCDE. Comme l’Espagne et la Grèce, l’Italie est confronté à une fuite massive de ses cerveaux.
Après dix ans d’austérité, l’Italie est l’un des pays d’Europe les plus mal classés pour son investissement par étudiant. La part des dépenses publiques consacrée à l’enseignement supérieur s’élève à 9 % en Italie, contre une moyenne de 13 % au sein de l’OCDE.
15 millions d’euros en 2014 seront destinée aux étudiants, « pour les aider à atteindre les plus hauts niveaux d’études ». Dans les universités italiennes, le niveau de précarité des personnels a atteint des sommets, mais n’apparaît pas toujours dans les statistiques officielles. Pourtant, selon un fonctionnement solidement établi depuis quelques années, un certain nombre de d’enseignant travaillent désormais quasiment gratuitement. À 40 ans, Marella, enseignante en histoire à Rome, confie travailler « pour un euro par an ». Elle assiste officiellement un professore qui se décharge sur elle d’une part de ses cours et de ses charges administratives. Cette spécialiste de l’Antiquité a donc, comme beaucoup de ses collègues, un autre travail – le soir – pour assurer le quotidien.
Italie, Grèce, Espagne, mais aussi Portugal, à cette Europe du Sud qui décroche, il faut ajouter le cas spécifique de l’Irlande. Comme ces pays, l’Irlande a été très durement touchée par la crise de 2008, et a aussi été l’un des pays qui a le plus réduit son investissement dans d’enseignement supérieur. Moins 20 % sur ces cinq dernières années. Le financement des bourses a là aussi été restreint, mais c’est surtout le levier des droits d’inscription qui a été actionné, puisque ceux-ci ont pratiquement triplé sur la période.
Difficilement classable sur le même plan, puisqu’il est le pays qui a mené depuis des décennies les réformes les plus brutales aboutissant à un quasi-désengagement de l’État de l’enseignement supérieur, quand le modèle européen reste encore dominé par la puissance publique, le Royaume-Uni a encore diminué son budget de 10% ces cinq dernières années de 10 %, selon David Crosier, analyste à Eurydice, spécialiste de l’enseignement supérieur. Le gouvernement conservateur a relevé le plafond des droits d’inscription en 2011, à près de 10 000 euros, et ceux-ci se sont un peu partout envolés. Aujourd’hui les étudiants britanniques paient une partie comptant et s’endettent pour une autre part pour 25 ou 30 ans en moyenne pour rembourser leurs études. Le taux des prêts s’éleve parfois à 9 %.
Si l’augmentation globale des droits d’inscription en Europe est une tendance forte d’universités qui n’en finissent pas de chercher de nouvelles ressources à mesure que l’État se retire, il faut remarquer que l’Allemagne suit le chemin inverse. Alors que plusieurs Länder avaient, ces dernières années, augmenté le coût des études, ils ont tous fait machine arrière.
La Basse-Saxe a même décidé de supprimer ces droits. L’Allemagne vieillissante a clairement fait le choix d’attirer les cerveaux des pays du Sud qui sont sans perspective dans leur pays (lire aussi notre article sur le sujet). Globalement, son budget pour l’enseignement supérieur et la recherche a crû ces cinq dernières années. Les pays du Nord comme le Danemark, la Finlande, la Suède, qui sont déjà, en proportion, ceux qui investissent le plus dans leur enseignement supérieur, ont, en dépit de la crise, sanctuarisé leur budget voire l’ont augmenté (entre 1 % et 5 %).
« L’augmentation de ces budgets suit parfois simplement l’augmentation de la demande, une augmentation que beaucoup de pays n’ont pas anticipée », assure David Crosier, pour qui « la qualité de l’enseignement supérieur est clairement compromise dans certains pays. » Fâcheux, pour une Europe qui assure que le retour de la croissance viendra de la « connaissance ».