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Les affligeantes leçons d’histoire du Haut conseil à l’intégration - blog "Journal d’un prof d’histoire" sur "Rue89", 10 août 2013

mercredi 14 août 2013, par Alphonse D.

C’est ce qu’on appelle un flop : critiquée de toutes parts, à l’exception notable de Valls – surprenant, n’est-ce pas ? – la dernière recommandation du Haut conseil à l’intégration (HCI) tendant à interdire le voile à l’université aura finalement tourné à la confusion.

Cet organisme a, au fil des années, multiplié – sous forme de rapports et d’avis – les interventions dans un domaine, l’éducation, où il n’a ni compétence ni légitimité.

Avec des préoccupations très proches, inspirées par un système de pensée où dominent les préoccupations identitaires, un récent avis (« Une culture ouverte dans une République indivisible », mai 2013) prétend s’immiscer jusque dans l’enseignement de l’histoire.

Une laïcité bien religieuse

Pour parvenir à cette culture ouverte, les deux auteures, Caroline Bray et Sophie Ferhadjan, se mettent en quête d’une « histoire commune » d’autant plus improbable que leurs références pour la définir ne sont pas les meilleures sources, et que leur conception de l’histoire s’avère singulièrement datée, réductrice et fortement connotée.

Prendre appui sur les déclamations exaltées d’un Renan (1823-1892) – « une nation est une âme, un principe spirituel » – n’est pas le signe d’une démarche historique ou pédagogique très rationnelle. Il est d’ailleurs piquant de voir les défenseurs affichés de la laïcité se laisser porter par des représentations mystiques, pour défendre une conception en réalité bien peu cartésienne, quasi religieuse de la France.

Pas le moins du monde émues par la contradiction, les auteures, évoquant « la longue histoire où les femmes ont joué un grand rôle » n’hésitent pas à chercher leurs exemples… dans l’hagiographie chrétienne avec sainte Geneviève ou Jeanne d’Arc.

Un subterfuge qui permet de passer sous silence que la république française fut l’une des dernières démocraties à accorder le droit de vote aux femmes, la lourde discrimination dont elles faisaient l’objet dans le Code civil jusqu’à une époque récente ou encore qu’aujourd’hui, dans le monde professionnel ou la vie politique, l’égalité hommes/femmes est loin d’être assurée.

Une discrimination à la française qui ramène à sa juste valeur l’indignation envers les femmes voilées.

Histoire à l’école : trop édifiant pour être vrai

Une nouvelle fois, le présent avis reprend la vieille rengaine du HCI selon laquelle « l’histoire a justement cette fonction de rassembler ce peuple divers autour d’un même récit », ou encore appelant à réinventer «  un nouveau roman national intégrateur et indispensable à la fabrique d’un peuple ».

Un précédent rapport de janvier 2011 évoquait déjà la nécessité de « redonner à l’histoire sa place de fabrique de la nation […], de donner aux élèves le sentiment de faire partie d’un même peuple ». On peine à croire qu’après un siècle de travaux historiques renouvelés, le HCI reste coincé sur une représentation aussi étriquée et pleine de clichés.

Au risque de se répéter, il faut quand même rappeler que l’histoire de France à laquelle le HCI se réfère obstinément est une construction politique, une reconstruction des faits plus précisément, mise en scène et en forme au long des siècles d’abord par la monarchie puis, au XIXe siècle, par la République, dans le but de légitimer et de conforter leur pouvoir.

Un récit mythique, imaginaire, laissant de côté des pans entiers du passé et qui, de ce fait, ne peut pas prétendre être l’histoire des habitants d’aujourd’hui, quelle que soit leur ancienneté d’implantation sur ce territoire.

La presse conservatrice aime relayer les contrevérités du Haut conseil à l’intégration

En dépit des évidences, le HCI persiste à distiller ses contrevérités sur l’enseignement de l’histoire, largement relayées par la presse conservatrice. Il est lassant de devoir sans cesse revenir sur cette futile polémique lancée depuis deux ans par Le Figaro selon laquelle, en collège, les rois africains auraient pris la place des Capétiens.

L’histoire de l’Afrique noire ? Trois heures en tout et pour tout sur les quatre années de scolarité d’un collégien, dans un cursus qui reste massivement et désespérément dominé par l’histoire politique nationale. Ça n’empêche pas le HCI de déterrer sa sempiternelle déploration « sur la réduction du temps consacré à l’histoire de France ».

Cette analyse, en réalité cette pensée toute faite, s’avère incapable de prendre en considération ce qui devrait pourtant être au cœur de la réflexion sur l’enseignement de l’histoire, celle des contenus scolaires. Une problématique parfaitement résumée par Suzanne Citron :

« De quel savoir scolaire, et donc de quelle histoire, de quel passé les enfants des écoles et les adolescents des collèges ont-ils besoin, sont-ils demandeurs pour construire leur personnalité, pour se socialiser à côté des autres et pour se comprendre comme Français ou comme habitant venu d’ailleurs dans la France, l’Europe et le monde d’aujourd’hui ? » (Le Mythe national, l’histoire de France revisitée, 2008).

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