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Vincent Berger l’avoue : "le changement dans l’ESR, c’est jamais" - 29 janvier 2016

vendredi 12 février 2016, par Mademoiselle de Scudéry

Coup de tonnerre lors du colloque Institut Montaigne-Terra Nova d’octobre dernier : « pour l’enseignement supérieur et la recherche, sur les vingt dernières années, il y a eu globalement un consensus entre les gouvernements successifs de droite et de gauche », assenait Vincent Berger.

Vincent Berger, ancien Président de Paris VII, rapporteur des assises nationales de l’ESR puis conseiller de François Hollande, aujourd’hui directeur de la recherche fondamentale du CEA —ses vœux nous ont émus aux larmes— revient aujourd’hui sur cette déclaration fracassante d’octobre dernier. [1]

L’éducation – primaire comme secondaire - est un sujet de fracture majeur entre la droite et la gauche. On l’a vu sur la question de la formation des enseignants ou des moyens. En revanche, pour ce qui concerne l’enseignement supérieur et la recherche, sur les vingt dernières années en effet il y a eu globalement un consensus entre les gouvernements successifs de droite et de gauche sur une trajectoire qui repose sur quatre idées principales.

  1. l’ESR doit être préservé dans ses budgets, contrairement à ce qui s’est passé dans certains autres pays, notamment dans le sud de l’Europe. C’est celle que l’avenir de la France, aussi bien en termes de construction d’une société de la connaissance que de préparation de l’économie de demain ou de conservation du niveau de vie ou du modèle social, nécessite des emplois très qualifiés. Les dépenses annuelles par étudiant ont augmenté de 25 % en euros constants ces 15 dernières années.
  2. Les processus de décision doivent être décentralisés : c’est l’autonomie des universités, dont les principes généraux étaient partagés par la gauche et par la droite. Elle a été mise en place par la droite en 2007 avec la loi LRU, certes de façon maladroite. Certaines dispositions ont été depuis corrigées en conséquence, notamment dans le cadre de la loi Fioraso et c’était important, notamment suite aux mouvements de 2009 [2]. Mais le principe fondamental de l’autonomie est resté consensuel à travers l’alternance. La gauche n’a pas pensé une seconde remettre en cause l’autonomie des universités.
  3. Renforcement des coopérations dans le cadre des politiques de site, avec deux objectifs : d’une part la cohérence de l’action publique dans les territoires (ce sont les PRES en 2006) avec la loi Goulard puis les Comue en 2014 avec la loi Fioraso), et d’autre part la montée en puissance de sites universitaires de visibilité mondiale : ce sont les fameuses universités de recherche, formule employée internationalement depuis longtemps et qui a été introduite l’année dernière dans les discours du président de la République et du Premier ministre. Ce sont aussi évidemment les idex, proposées par la commission Juppé-Rocard, commission qui par construction même partait d’un consensus droite-gauche avec deux anciens premiers ministres. Les Comue, c’est la réforme majeure de la loi Fioraso, la réforme qui structure durablement le paysage de l’ESR. Le consensus là-dessus était assez large pendant les assises de l’ESR. La proposition la plus importante du rapport des assises était la proposition 95 sur les regroupements universitaires, dont il est dit qu’ils "contractualiseront avec l’État".
  4. La quasi-absence de frais d’inscription à l’université est le quatrième principe qui a fait aussi l’objet d’un consensus droite-gauche jusqu’à présent. C’est un sujet hypersensible, très risqué, et même pas clarifié politiquement : des recherches montrent que les études supérieures sont très anti-redistributives, puisque les étudiants sont très majoritairement issus de CSP moyennes ou supérieures. Mais le sentiment des Français, et notamment celui des étudiants, serait celui d’une grande injustice si l’on introduisait des frais d’inscription à l’université parce qu’il n’y a pas de confiance dans la capacité de l’État à créer suffisamment de bourses pour ne pas affecter la démocratisation de l’enseignement supérieur. Tout le monde pense que l’augmentation des frais d’inscription s’accompagnera d’une baisse de la subvention de l’État. Dans ces conditions, c’est évidemment inacceptable et infaisable.

À une question portant sur la baisse de dépense par étudiant (L’état de l’école 2015 du MENESR), VB répond que les budgets de l’enseignement supérieur et de la recherche ont été préservés dans une période de pression inédite sur la dépense publique.

Nous avons fait en sorte que l’enseignement supérieur soit plus accessible à tous avec 450 M€ mobilisés en 3 ans pour les bourses, 15 000 logements étudiants déjà construits, et la totalité des 40 000 logements programmés déjà identifiés ou en construction. Ils seront livrés avant la fin de la mandature.
Les budgets des universités ont également été maintenus, même si la forte augmentation du nombre d’étudiants ne peut pas être toujours anticipée lors de la construction du budget de l’État. Il y aura donc peut-être encore besoin d’un rattrapage mais c’est assez marginal : lorsque l’on compare au reste de la dépense publique, les universités sont complètement préservées. [3]
Les marges de manœuvres budgétaires pour les universités demeurent encore dans les masters à tout petit effectif (moins de 10 étudiants) et à options multiples, qui font que la dépense par étudiant est extraordinairement hétérogène, ce qui doit nous interroger sur le principe d’égalité. Entre une licence de sciences sociales pléthorique et un master de sciences dures avec quelques étudiants, la dépense par étudiant peut varier en coût complet réel d’un facteur 50… On doit s’interroger là dessus.

Pour finir, VB affirme que l’avenir de l’université est dans le gros, le lourd. Et bien fait pour ceux qui ont (encore) loupé les IDEX.

Pourquoi faut-il faire émerger des grandes universités de recherche ? Parce que la réunion au même endroit de beaucoup de chercheurs crée les conditions d’une inventivité encore meilleure, mais aussi parce que le besoin de visibilité internationale est devenu crucial, parce que la circulation des étudiants et des chercheurs s’intensifie chaque année. La mission de service public, c’est bien sûr d’avoir des universités de proximité partout, dans tous les territoires, mais il s’agit aussi de faire émerger quelques grands sites universitaires que les étudiants et chercheurs du monde entier reconnaissent.
Y opposer un argument d’égalité des territoires est un argument sophiste qui ne résiste pas une seconde à l’analyse si on veut bien considérer ce qu’est la recherche. On ne va tout de même pas construire un Cern dans toutes les villes de France sous prétexte qu’il faut un traitement égalitaire des territoires face au boson de Higgs.


Cet aveu de Vincent Berger ne saurait être une surprise pour les lecteurs attentifs de SLU : avant même l’élection de F. Hollande, reçus par Vincent Peillon alors tout près du manche, nous écrivions « Malgré tout, nous ne pouvons cacher notre inquiétude d’avoir vu V. Peillon entouré de représentants de plusieurs groupes (CPU, conseils régionaux, praticiens hospitaliers) qui pour certains au moins se sont fort bien accommodés de la politique universitaire menée depuis 2002, voire qui l’ont inspirée. »
Il reste à faire l’analyse serrée de la continuité des cabinets ministériels et des directions d’Universités (de PRES, de ComUE…) depuis la LRU.
D’ailleurs, dès 2011, J.C. Cambadélis, à la question « Nicolas Sarkozy fête ses 4 ans à l’Élysée, y a-t-il quelque chose que vous lui reconnaissez ? » répondait sans rire : « L’autonomie des universités et le changement de pied sur l’investissement dans la recherche peut-être. » Tout était dans le « peut-être »…


[1Un article de Rue89 détaille fort bien le mode de financement de ces think tanks (ou stink thanks, selon d’autres auteurs). La liste des intervenants à ce pince-fesses où intervenaient aussi Bernard Belloc et François Fillon est à lire intégralement ici.

[2Des mouvements ? Quels mouvements ?

[3Mais certaines sont plus préservées que d’autres : lorsque l’on compare les moyens alloués à Polytechnique et au reste des Universités, on est moins dans le « rattrapage et le marginal ».
« L’école la plus élitiste de France verra son budget doubler grâce à la générosité de l’État, qui lui accorde 60 millions d’euros supplémentaires 
en cinq ans. Soit quasiment l’équivalent des fonds alloués en 2016 à l’ensemble des universités soumises au pain sec de l’austérité. »