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Quelques réponses aux questions fréquemment posées sur la loi pluriannuelle pour la recherche (LPPR) - groupe Jean-Pierre Vernant, 23 février 2020, billet mis à jour le 3 avril 2020

samedi 4 avril 2020, par Laurence

Suite aux annonces budgétaires du président de la République, nous avons mis à jour notre billet répondant aux questions qui ont été posées sur la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) :
http://www.groupejeanpierrevernant.info/#FAQLPPR

Les questions II à IV synthétisent les nouveaux éléments budgétaires, après arbitrage de Bercy.
Le sommaire de la version courante de la LPPR comporte 6 articles de plus.

Prenons soin les uns des autres.

Nous avons reçu un courrier abondant après la publication de notre billet de désenfumage, nous posant des questions à propos du projet de loi pluriannuelle pour la recherche (LPPR), de ses initiateurs, de son calendrier ou encore des sommes en jeu. Dans ce complément au billet, nous répondons à ces questions à partir des informations dont nous disposons.

I Quel est le calendrier prévisionnel de la LPPR ?

Le calendrier parlementaire ne permet pas l’examen de la LPPR avant l’automne. La date avancée par la ministre, Frédérique Vidal, pour rendre public le projet de loi (fin mars-début avril) correspond à la date du probable du remaniement ministériel.

Un examen de la loi par le Parlement à l’automne pose cependant un problème de communication à l’exécutif, puisqu’il coïnciderait avec la phase préparatoire du budget 2021, faisant apparaître explicitement l’absence de création de postes et d’augmentation du budget de l’Université et de la recherche publiques pour la troisième année du quinquennat. Rappelons qu’en 2019 et 2020, le nombre de postes pérennes mis au concours a fortement baissé et le budget n’a été augmenté que du montant de l’inflation, ne permettant pas la compensation du Glissement Vieillesse Technicité.

II Quelle est le montant des crédits exceptionnels annoncés par Emmanuel Macron à l’Institut Pasteur ?

Le 19 mars, Emmanuel Macron a de nouveau annoncé, lors d’une visite à l’Institut Pasteur, qu’il y aurait probablement une loi de programmation pluriannuelle de la recherche. Cette annonce était avant tout une opération de communication dont l’enjeu était de couper court aux articles de presse sur l’absence de financement récurrent des études sur les virus à ARN en laissant entendre aux journalistes un “déblocage immédiat” de fonds pour la recherche. Il n’y a évidemment pas le moindre “chèque” signé par Emmanuel Macron pour la recherche, pas le moindre “crédit exceptionnel”.

Ce qui a été annoncé d’un tweet à la rhétorique césariste, c’est le montant négocié avec Bercy pour la LPPR : “J’ai décidé d’augmenter de 5 milliards d’euros notre effort de recherche, effort inédit depuis la période de l’après-guerre.”

III Quelles sont les sommes dégagées par l’article 18 de la loi retraite ?

Le budget brut salarial pour l’Université et la recherche s’élève à 10,38 milliards € par an. La baisse de cotisation patronale de l’État de 74,3% à 16,9% sur 15 ans permettra à terme de redistribuer les 6 milliards € par an prélevés sur notre salaire socialisé. Pour la période 2021-2030 couverte par la LPPR, l’article 18 conduira en cumulé à 21,8 milliards € de prélèvement dans nos cotisations de retraite [1] . Il convient donc de comparer les annonces de “revalorisation” du salaire des jeunes chercheurs et d’augmentation du budget de l’ANR (120 millions € par an) à ces sommes.

IV Quelles sont les sommes envisagées pour la LPPR ?

En préambule, notons que des annonces budgétaires qui n’ont pas été tenues en temps normal, de l’aveu même de Frédérique Vidal (“Il y a de la défiance car de nombreuses promesses n’ont pas été tenues par le passé.”) ont des chances infimes d’être tenues pendant une crise économique. De fait, la crise de 2007-2008 nous a montré que les budgets des services publics servaient de variable d’ajustement pour sauvegarder la “confiance des marchés”.

La LPPR portera exclusivement sur le programme 172 (Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires) auquel est rattaché le Crédit d’Impôt Recherche. Cela signifie que l’Université (programmes 150 et 231) sera sacrifiée dans l’opération de réinvestissement des prélèvements sur nos cotisations de retraite. Il n’est d’ailleurs pas prévu de créer de postes pérennes, mais de poursuivre la précarisation, comme l’attestent les articles 4 à 6 de la LPPR dont le sommaire est donné au bas de ce texte. C’est là tout le volet “Ressources Humaines” de la loi, que les “représentants des sociétés savantes” ont appelé à “tenir” lors d’un entretien avec le conseiller ESR du Premier Ministre le 25 février dernier — extrait du compte rendu : il faut "tenir deux principaux objectifs dans la LPPR : le volet financier et le volet RH de la loi. Il ne faudra pas sacrifier l’un pour l’autre si les contraintes budgétaires se font trop forte." S’agissant du caractère purement idéologique de ce refus de créer des postes pérennes, on rappellera ici la fin de non-recevoir opposée en 2018 à la demande de maintien de 50 postes CNRS formulée à l’Elysée par le collectif RogueESR, pour un montant dérisoire à l’échelle des budgets en jeu ici : 3 millions d’euros.

Selon le communiqué de presse [2], la loi recommanderait d’augmenter les crédits du programme 172 par paliers de 400 millions € pendant le fin du quinquennat, puis plus vite pour atteindre 5 milliards € de plus par an en 2030. Rien n’oblige le parlement à suivre cette recommandation lors des votes annuels des budgets. Cette augmentation de 400 millions € chaque année doit être comparée à celle réalisée pendant les premières années du quinquennat : +200 millions € par an, ce qui correspond à la croissance moyenne des dépenses fiscales en Crédit d’Impôts Recherche sur les cinq dernières années. Par ailleurs, la simple compensation de l’inflation (évaluée sur les trois dernières années) correspond à -150 millions € par an.

Résumons nous. Sur dix ans, une fois l’inflation soustraite, l’effort consenti par Bercy dans le programme 172 (CIR, ANR, grands organismes) est de 14,9 milliards € de 2020, à comparer au 17,63 milliards € de 2020 prélevés sur nos cotisations de retraite. Selon le dossier de presse, jusqu’en 2027, un (petit) tiers de cet effort sera consacré à l’ANR [3], et donc au développement de l’emploi contractuel et au contrôle bureaucratique de la recherche. Le reste devrait donc être destiné à augmenter l’aide directe aux entreprises par la niche fiscale du Crédit d’Impôt Recherche.

V Qui soutient ce train de réformes de l’Université et de la recherche ?

Alors que la communauté académique s’alarme du contenu des rapports préparatoires à la “grande loi darwinienne” pour la recherche et l’Université, les initiateurs et rapporteurs de la LPPR (Gilles Bloch, Jean Chambaz, Christine Clerici, Michel Deneken, Alain Fuchs, Philippe Mauguin, Antoine Petit, Cédric Villani et Manuel Tunon de Lara) ont fait paraître une pétition dans le Monde daté du 20 février 2020.

Se sont associés à leur texte une centaine de chercheurs retraités qui ont tous bénéficié au cours de leur carrière des conditions (postes pérennes, liberté de recherche et moyens récurrents) dont les réformes à venir vont achever de priver les jeunes générations de chercheurs [3] . Les plus connus d’entre eux avaient déjà signé une tribune à la veille du premier tour de la présidentielle pour faire connaître leur attachement au mille-feuille d’institutions bureaucratiques créées depuis quinze ans (ANR, HCERES, etc).

Est-ce dû à leurs convictions d’un autre temps les conduisant à prétendre parler au nom de “la communauté scientifique” — c’est le nom d’administration de la pétition — communauté à laquelle ils n’appartiennent de facto plus ? Leur pétition de soutien à la LPPR a rassemblé deux cents signatures en quatre jours.

VI Qui est à l’origine de ce train de réformes de l’Université et de la recherche ?

La majorité des mesures de précarisation et de dérégulation qui accompagneront la loi de programmation budgétaire ont été conçues par la Coordination des Universités de Recherche Intensive Françaises (CURIF), association de présidents et d’anciens présidents d’universités qui travaillent depuis quinze ans à la suppression progressive des libertés académiques et à la dépossession des universitaires. La CURIF comprend dix-sept membres, dont huit, indiqués en gras, véritablement actifs : Philippe Augé, David Alis, Jean-Francois Balaudé, Yvon Berland, Jean-Christophe Camart, Jean Chambaz, Christine Clerici, Frédéric Dardel, Michel Deneken, Barthélémy Jobert, Frédéric Fleury, Alain Fuchs, Corinne Mascala, Sylvie Retailleau, Manuel Tunon De Lara, Fabrice Vallée, Frédérique Vidal, Jean-Pierre Vinel. La CURIF a déclaré son allégeance à la candidature de M. Macron lors d’une réunion avec Jean Pisani-Ferry, le 28 avril 2017. Le programme de la CURIF est simple : différencier les statuts et les financements des établissements, supprimer le CNRS, et accorder les pleins pouvoirs aux présidents d’université. Les apports de la CURIF au programme présidentiel de M. Macron figurent dans les deux documents suivants :
http://groupejeanpierrevernant.info/CURIF_EM.pdf
http://groupejeanpierrevernant.info/positions_CURIF_avril_2017.pdf
La place des courtisans de la techno-bureaucratie universitaire dans la structure en cercles concentriques d’En Marche est discutée dans ce billet.

Amélie de Montchalin revendique avoir obtenu la LPPR grâce à sa proximité avec Édouard Philippe. Elle ambitionne de devenir ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, et donc de porter elle-même cette loi devant le Parlement à l’issue du remaniement qui devrait suivre les élections municipales.

S’il importe de nommer les managers à l’origine de la loi, il ne faut pas ignorer ce qu’elle doit aux normes de “bonnes pratiques” gestionnaires rappelées par l’Inspection Générale des Finances dans son rapport récent sur le pilotage et la maîtrise de la masse salariale des établissements.

VII Le “Pacte productif” de Bercy empiète-t-il sur le pilotage et le budget de la recherche ?

Frédérique Vidal n’a emporté aucun arbitrage budgétaire depuis le début du quinquennat. Ni Bruno Le Maire ni les hauts fonctionnaires du ministère de l’Economie et des Finances n’ont été convaincus de la nécessité de financer l’Université et la recherche. Mieux, ils se chargent eux-mêmes du volet “innovation” du Pacte productif.

Ce financement par l’impôt du secteur privé est pris sur la même enveloppe globale que le budget de la recherche publique. Il est hélas probable qu’un programme pour “l’innovation” serve davantage les intérêts politiques de M. Macron que le financement de la recherche et de l’Université publiques, pourtant vitales pour répondre aux trois crises, climatique, démocratique et économique, qui minent nos sociétés.

Mais l’emprise de Bercy sur la politique de recherche ne s’arrête pas à la ponction de nos cotisations retraites pour financer des programmes d’“innovation” et la niche fiscale du Crédit d’Impôt Recherche (CIR) plutôt que de financer la recherche. Comme l’a précisé Bruno Le Maire, “la loi de programmation de la recherche devrait être l’occasion de réfléchir à une augmentation des moyens consacrés à des programmes de recherche publique en contrepartie de leur orientation vers un développement industriel précis.” [4] Tout est dit.

La LPPR est le volet de la réforme de la recherche porté par la CURIF, organisant la dérégulation des statuts et le contournement du recrutement par les pairs, en renforçant le pouvoir démesuré de la technostructure managériale des établissements. Le “pacte productif” apparaît comme le volet de cette même réforme portée par Bercy, instaurant des outils de pilotage qui lui permettent de contrôler cette même technostructure.

Pour lire la fin de ce billet


[1Le calcul affiné, séparant primes et salaires, conduit à -4,98 milliards € au lieu de -6 milliards € et à -17,63 milliards € pour la période 2021-2030, et non -21,8 milliards €. Nous avons gardé le calcul approximatif pour permettre à chacun de vérifier le calcul.
Sur cette somme, Mme Vidal a annoncé que la restitution de 118 millions € par an lors de ses vœux :
https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid148778/ceremonie-des-voeux-a-la-communaute-de-l-enseignement-superieur-de-la-recherche-et-de-l-innovation.html
92 millions € seront destinés à aligner la cotisation salariale et compenser la disparition de la retraite additionnelle de la fonction publique. 26 millions € seront consacrés à faire passer le salaire d’entrée moyen de 1,8 à 2 SMIC. Au delà de 2021, l’absence de visibilité budgétaire empêche toute estimation plus réaliste.

[2Communiqué de presse :
DP_5_milliards_d_euros_recherche_1269078.pdf

[3La sociologie de ce groupe, composé à 93% d’hommes, sans chercheur en SHS, et la hiérarchie des statuts qu’ils affichent, témoignent du fait que le temps où ils ont été pleinement productifs (la moyenne d’âge est de 72 ans et demi) ne saurait être considéré comme un âge d’or de la recherche.

[4Le pacte productif. Discours de Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances à Bercy, le mardi 15 octobre 2019.