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En Corée, les examens tuent, Le Point, 10 décembre 2011

mardi 13 décembre 2011

Un fait divers tragique a rouvert le débat sur l’intolérable pression scolaire qui règne au pays du Matin calme.

Pendant huit mois, Ji a camouflé le cadavre en putréfaction de sa mère. Jusqu’à ce que la police débarque chez cet élève bien sous tous rapports, dans son appartement de l’est de Séoul, le 24 novembre. Le jeune homme de 18 ans a admis avoir frappé à mort sa mère car il ne supportait plus la pression qu’elle lui imposait en vue de son classement au baccalauréat. La veille du drame, le 13 mars dernier, cette femme de 51 ans avait puni son fils à coups de batte de baseball et de club de golf, estimant insuffisant son classement de 62e meilleur étudiant du pays. En réalité Ji avait menti pour la satisfaire, il ne pointait qu’à la 4 000e place nationale, ce qui le plaçait pourtant déjà parmi les étudiants les plus talentueux de Corée du Sud, qui compte 50 millions d’habitants.

Ce fait divers tragique et isolé est révélateur de la pression implacable imposée par la société et les parents sud-coréens sur leurs chères têtes brunes. Au pays du matin calme, 87,9 % des lycéens se disent angoissés, dont 72,6 % à cause des études, révèle un récent sondage. Bien plus que leurs petits camarades américains (54 %) ou même japonais (44,7 %) et chinois (59,2 %). Autre indicateur, la forte poussée du suicide chez les adolescents, qui a progressé de 50 % entre 2008 et 2009, alors que la Corée du Sud détient déjà le triste record du taux le plus élevé au sein de l’OCDE.

Dès le jardin d’enfants

Dans le pays le plus confucéen du monde, la réussite sociale passe par l’éducation et les parents rêvent tous de voir leur rejeton passer le portail d’une des trois plus grandes universités du pays (Seoul National, Korea University, Yonsei). Ce trio magique, au surnom évocateur de "SKY", est le sésame ouvrant la porte aux plus grandes carrières dans la haute administration et chez les puissants Chaebols, Samsung ou Hyundai, voire parfois aux plus "beaux" mariages. "Lorsque j’ai échoué à rejoindre SKY, mon père a pleuré", se souvient Jiyoun, qui a pourtant été prise à l’université Sookmyung, l’une des plus respectables du pays.

"Notre société est obsédée par la compétition. La pression commence dès le jardin d’enfants et beaucoup d’élèves se sentent coupables s’ils n’ont pas les meilleures notes", explique Hong Jang-hak, principal adjoint du lycée Dongsung, à Séoul. Car la Corée du Sud est le pays au monde où les parents dépensent le plus pour l’éducation, en payant des cours privés onéreux où les élèves bachotent jusque tard le soir. "J’arrive à l’école à 7 h 30 et je rentre chez moi vers 11 h. Je ne fais rien d’autre qu’étudier, même le week-end", explique Kwon Bomi, qui vient de passer le bac. Un système stakhanoviste qui permet à la Corée du Sud de pointer aux premières places du classement Pisa de l’OCDE, qui mesure les compétences scolaires, loin devant la France ou les États-Unis. Mais ce modèle suscite la controverse chez les jeunes générations, dont beaucoup jurent vouloir éduquer leurs enfants différemment. "À la veille des examens, j’ai eu des disputes avec mes parents à cause du stress, mais je ne suis jamais allée jusqu’à la violence. J’avais plutôt des envies de suicide", résume Bomi.