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Formation des enseignants : les mystères de la mastérisation (8) « Agir en fonctionnaire de l’Etat… » - Luc Cedelle, Interro écrite, blog le Monde, 31 mars 2010

jeudi 1er avril 2010

Le gouvernement a réussi à imposer sa réforme de la formation des enseignants à un ensemble de professionnels qui n’en voulaient pas et n’ont cessé de le faire savoir. Mais paradoxalement, le fait de vouloir, au nom de la prééminence des savoirs académiques, supprimer l’aspect spécifiquement professionnel de la formation des enseignants, a apporté la preuve par l’absurde que cet aspect était impossible à occulter.

Cet aspect est d’autant plus résistant au grand décapage voulu par cette réforme que l’on peut déjà constater son retour par une sorte de capillarité. Chaque fois que le ministère de l’éducation, par des dispositions précises, veut à la fois mettre en œuvre la réforme et compenser ses conséquences, certaines exigences sont réhabilitées en chemin. Une au hasard, tirée de la « circulaire » de cadrage du 25 février : « améliorer la pratique d’enseignement à partir d’une analyse des situations vécues en classe »…

Ce travail très particulier de mise en œuvre/compensation est typique de cette réforme. Il est à la fois indispensable pour limiter ses conséquences négatives et structurellement voué à l’échec faute de pouvoir vraiment remettre en cause ses deux fondements : les suppressions de postes et la mise au ban de l’ensemble, diabolisé, des IUFM, pédagogues, didacticiens, sciences de l’éducation…

Limiter la casse

Cette volonté de limiter la casse mène au retour d’un référentiel qui n’est pas bondissant : celui des « compétences professionnelles des maîtres », issu en 2006 des travaux du Haut conseil de l’éducation (HCE). Ce retour s’effectue toutefois au prix de nouveaux désaccords. Il amène en effet une partie des universitaires à s’alarmer et à protester, sur un sujet qui, en lui-même, n’avait au départ rien de conflictuel.

Première étape : dans une note adressée aux syndicats le 20 novembre 2009, les directeurs de cabinet des ministères de l’éducation et de l’enseignement supérieur rappellent que ce référentiel, figurant en annexe de l’arrêté du 19 décembre 2006 sur le cahier des charges de la formation des maîtres, est « le cadre général dans lequel doivent s’inscrire » toutes les dispositions prises. Voilà une affirmation qui revient de loin. Elle ne correspond pas aux intentions initiales de la réforme et précisément pas à son aspect le plus idéologique.

En juin 2008, un conseiller de l’Elysée à qui je demandais ce qu’il allait advenir de ce référentiel, issu des travaux de la principale instance consultative mise en place par la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école (loi Fillon) d’avril 2005, avait répondu sur un ton légèrement apitoyé : « Mais ça, c’était avant les élections… » Ce référentiel qui, défaut rédhibitoire, datait d’avant les présidentielles, comporte dix compétences, le détail de chacune étant développé dans le texte de l’arrêté.

En voici la liste :

«  Agir en fonctionnaire de l’Etat de manière éthique et responsable ; Maîtriser la langue française pour enseigner et communiquer ; Maîtriser les disciplines et avoir une bonne culture générale ; Concevoir et mettre en œuvre son enseignement ; Organiser le travail de la classe ; Prendre en compte la diversité des élèves ; Evaluer les élèves ; Maîtriser les technologies de l’information et de la communication ; Travailler en équipe et coopérer avec les parents et les partenaires de l’école ».

Une nouvelle épreuve

«  En outre, annonçaient les directeurs de cabinet le 20 novembre 2009, la compétence « agir en fonctionnaire de l’Etat de façon éthique et responsable » sera évaluée lors de l’admission ». Ce n’est pas le cas jusqu’à présent, même s’il existe (jusqu’en juin 2010) dans les concours de professeur des écoles l’épreuve dite d’« entretien professionnel ». Celle-ci vise à vérifier l’adéquation du candidat à un poste d’enseignant mais ne porte pas spécifiquement ni explicitement sur cette compétence « Agir en fonctionnaire de l’Etat… »

Cette évaluation pèserait 4 points sur 20 dans l’oral de l’agrégation et 6 points sur 20 celui du Capes. Certains universitaires, outre qu’ils contestent les aspects pratiques de cette « épreuve dans l’épreuve » jugent « très grave » son introduction dans les prochains concours. Voguant sur un océan de défiance envers le pouvoir de Nicolas Sarkozy, ils y voient se profiler l’asservissement des fonctionnaires au pouvoir politique, voire à l’ordre moral.

Déjà, le seul mot « compétences » suscite la réticence de ceux, nombreux, convaincus de l’opposition « savoirs contre compétences ». Et «  référentiel de compétences » a pour eux des accents technocratiques et utilitaires de nature à renforcer leur hostilité. Pourtant, chaque métier ou presque fait banalement l’objet d’une définition à travers un « référentiel des compétences » et cette notion ne concerne pas que les métiers industriels ou commerciaux.

L’idée de bâtir un référentiel des compétences des enseignants n’a donc a priori rien de négatif pour les intéressés. Et le fait d’y placer au premier rang la compétence « Agir en fonctionnaire de l’Etat de manière éthique et responsable », juste avant la maîtrise de la langue française et la maîtrise des disciplines ne reflète ni une dérive utilitaire ni une tentation autoritaire, mais la nécessité de bien distinguer les spécificités de l’enseignement

C’est une façon d’insister sur le fait que l’Education nationale est une institution de la République, que la tâche des professeurs est une mission de service public et qu’elle ne saurait donc se réduire, comme le veulent les libéraux, à la délivrance de prestations d’enseignement dans le cadre d’une industrie de services. C’est aussi une façon de souligner qu’un professeur n’exerce pas dans un cadre individuel privé mais dans le respect des règles de l’institution.

Tout cela est d’ailleurs clairement explicité dans le texte du référentiel.

« Contrôle de moralité »

Quoi qu’il en soit, il y a donc deux niveaux d’opposition possibles à cette exigence d’« agir en fonctionnaire de l’Etat de manière éthique et responsable » : soit un refus sur le fond - et alors il faudrait que les opposants expliquent en quoi un enseignant n’est pas censé agir en fonctionnaire de l’Etat -, soit un refus plus ciblé et plus « technique » portant sur la présence dans les concours d’une épreuve destinée à apprécier cette « compétence ».

Il semble néanmoins que les opposants n’aient pas, jusqu’à présent, opéré cette distinction et que le refus « technique » soit dynamisé par un refus de principe. Alliant les deux angles d’attaque, une pétition est actuellement en circulation sur le thème : « Non au contrôle de moralité des futurs enseignants ». Des mots qui, insensiblement, affublent d’une touche néo-pétainiste une exigence posée par le Haut conseil de l’éducation.

Cette épreuve, « n’a pas lieu d’être », estime pour sa part l’association Qualité de la science française (QSF), alliant elle aussi les deux angles d’attaque : « la morale du fonctionnaire ne doit pas faire l’objet d’un examen sélectif dans le cadre d’un concours public, surtout aux dépens d’examens portant sur les connaissances à transmettre aux élèves ».

Il faut néanmoins noter que l’actuel président de QSF, Antoine Compagnon, est l’un des 9 membres du Haut conseil de l’éducation (HCE) et, à ce titre, cosignataire du référentiel de compétences de 2006. Or, personne n’imagine que cet universitaire éminent aurait pu engager sa signature sur un document recélant la moindre volonté d’assujettissement des enseignants au pouvoir politique.

Le HCE est par ailleurs une instance qui se livre à un véritable travail pluraliste de réflexion et de proposition. On peut toujours critiquer son manque de punch et son côté « club de notables » (son président, Bruno Racine, est président de la Bibliothèque nationale de France). Mais ses avis, adoptés à l’unanimité « après débat et confrontation sérieuse des sources », ont de ce fait un plus grand poids moral que celui d’un rapporteur isolé.

Mesurer la sincérité ?

L’opposition que j’appelle « technique » à l’épreuve « agir en fonctionnaire… » s’appuie sur deux types d’arguments. D’une part, il serait psychologiquement insoutenable, voire «  impossible » pour un candidat d’aborder deux domaines et deux sujets différents au cours d’une même épreuve. Aucun concours n’étant spécialement conçu pour le bien-être du candidat, il est néanmoins permis de se demander si une angoisse de plus ou de moins ferait une si grande différence.

La seconde objection porte sur l’impossibilité qu’il y aurait à juger à travers une épreuve de concours si le candidat a bien intégré des notions de « bonne moralité ». Encore une fois, l’emploi de telles formulations me semble sujet à caution : la « moralité » dont il est question ne consiste pas à s’afficher à la messe le dimanche ou à exclure toute extravagance vestimentaire. Il s’agit d’une éthique professionnelle.

Mais, ajoutent les contradicteurs, on ne peut pas mesurer la sincérité de l’adhésion à une éthique professionnelle ! Non, aucune épreuve d’examen ni de concours ne peut mesurer la sincérité et après tout tant mieux. En revanche, il reste tout à fait possible de vérifier si un candidat possède ou non des connaissances sur le cadre juridique, les valeurs, les enjeux et les problématiques de la profession à laquelle il se destine. Rien ne prouve qu’il ne bafouera pas tout cela par la suite, mais c’est une autre histoire, individuelle.

Cela étant, le gouvernement récolte une fois de plus dans cette affaire la monnaie de sa pièce, c’est-à-dire d’un projet dont il n’avait pas anticipé les innombrables conséquences en cascades. Le référentiel de 2006, désormais reconduit à l’identique en 2010, est en effet un tout, dont chaque partie équilibre les autres. Quel sens y a-t-il à vouloir que seul un « morceau » de référentiel figure dans les épreuves d’admission (les épreuves orales) des concours ? Et pourquoi celui-là précisément ?

Pourquoi ? Peut-être pour suivre une fois de plus, comme sur d’autres sujets, le chemin qui va de la suppression totale d’un élément à sa réintroduction partielle. Il était logique, dans le cadre d’une institution de l’Etat, que la formation des enseignants se fasse dans des instituts spécialisés et qu’elle soit « cadrée » au niveau national. La réforme actuelle fait justement éclater ce cadre en plaçant chaque rectorat et chaque université dans l’obligation d’inventer ses propres solutions. Un défaut que le gouvernement cherche donc à atténuer… en remettant dans les épreuves un zeste de cadrage.

Aucune mention des IUFM

Le projet de nouvel arrêté, qui a été remis le 16 mars aux syndicats lors d’une réunion au ministère de l’éducation, a déclenché un nouveau tollé et confirmé s’il en était besoin que la réforme n’a pas fini de faire des vagues. Mais l’essentiel des protestations syndicales ne porte pas sur le référentiel de compétences, qui reste strictement identique à celui de 2006. Seul le Snalc, qui avait déjà qualifié ce document de « pédagogiste » en 2006 et n’a pas changé d’avis depuis, y est défavorable. Elles portent sur les aspects plus généraux du texte.

L’arrêté de 2006 sur le cahier des charges de la formation des enseignants ne pouvait en effet rester en l’état car il ne comprend pas que le référentiel : celui-ci n’y figure qu’en annexe. Il contient une série de dispositions générales désormais incompatibles, ou difficilement, avec le nouveau cadre mis en place par la réforme. Par exemple, il insiste fortement sur le caractère de formation « en alternance » de la formation initiale des enseignants et place celle-ci sous la responsabilité des IUFM intégrés à l’université.

Le projet de nouveau cahier des charges transmis aux syndicats reprend les principes de la circulaire du 25 février (qui précisait les modalités de la première année d’exercice des lauréats des concours) mais cette fois pour n’importe quelle année et non seulement pour 2010-2011. En outre il prend en compte le «  socle commun de connaissances et de compétences » que n’intégrait pas encore l’arrêté de 2006, et ne comporte plus aucune mention des IUFM.

Les critiques des syndicats se focalisent sur le tiers du temps de service théoriquement consacré à la formation des débutants. Ce tiers temps « n’est écrit nulle part dans le projet d’arrêté », s’alarme le SE-UNSA. Le Snalc s’indigne du fait qu’il « n’y a aucun cadrage national » et que « la mise en œuvre va dépendre des moyens locaux ». Les syndicats de la FSU, dans un communiqué commun, notent que ce projet de cahier des charges « exclut tout cadrage concernant les volumes horaires d’enseignement, (…) supprime toute référence à un cadre national de plan de formation (…) et ne préconise aucune coopération d’universités au niveau d’une académie ».

S’agissant de la formation post-concours, les syndicats de la FSU relèvent aussi qu’elle est placée « uniquement sous la responsabilité du rectorat ». « Enfin, le projet « rajoute » de la formation « hors-temps de service », ce qui « procurerait aux stagiaires une charge de travail insupportable et empêcherait toute alternance et articulation entre théorie et pratique ».

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