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"Université : « M. Sarkozy a donné aux réformes un éclairage inquiétant »" (Le Monde, 13 mars 2009)

vendredi 13 mars 2009

Jean-François Méla, vous êtes professeur émérite à l’université de Paris XIII, et auteur du blog JFM’s blog, consacré à l’université et à la recherche. Le fossé est- il en train de se creuser entre le sarkozysme et le "monde du savoir" ?

C’est une évidence. Le fameux discours de Nicolas Sarkozy du 22 janvier où la recherche publique a été mise en accusation, a été pour beaucoup dans l’explosion de la révolte, et surtout dans le fait que des scientifiques reconnus, jusque-là modérés dans leurs critiques, s’y soient associés.

Il s’est créé une situation extrêmement malsaine où les désaccords ont pris une tournure politique qui dépasse le contenu des réformes proprement dites, parce que le président leur a donné un éclairage inquiétant. Du coup, les réformes dont certaines avaient été souhaitées dans le passé ont tendance à être rejetées en bloc.

Le sarkozysme n’a pas de relais dans le "monde du savoir". La droite universitaire est traditionnellement plus réactionnaire que moderniste, et elle ne soutient pas la réforme, n’hésitant pas, de façon assez étonnante, à faire cause commune avec les "gauchistes".

Cette colère vous semble-t-elle réellement dirigée contre un pouvoir précis, ou exprime-t-elle un désaccord plus vaste ?

La composante proprement politique de la révolte est incontestable, et contribue à son caractère exacerbé. Il ne faut pas minimiser la protestation contre les suppressions d’emplois. Mais le conflit actuel est aussi l’expression des contradictions présentes dans les transformations en cours.

Il y a d’abord la volonté politique de piloter de façon trop directe la recherche vue comme un moteur de l’économie. Puis l’introduction de techniques managériales et d’indicateurs de performance, abusivement transposés du monde de l’entreprise à celui des laboratoires et des universités.

Mais il y a aussi une défiance vis-à-vis de l’autonomie des universités – pourtant essentielle – parce qu’elle met trop l’accent sur l’autorité managériale aux dépens de la communauté académique.

Il est incontestable que le "contrat" entre l’université et la société est en train de changer et que ceci est source de tensions.

Est-il légitime que la société demande des comptes à des universitaires ou des chercheurs ?

Posée de façon aussi générale, la réponse ne peut être que oui. Mais qu’entend-on par "demander des comptes" ? S’il s’agit de demander aux chercheurs des informations de plus en plus détaillées et de plus en plus quantifiées, il n’est pas sûr que cela améliore leur productivité scientifique ; cela peut favoriser des stratégies de conformisme qui se manifestent tout particulièrement lorsqu’il s’agit de programmes de recherche finalisés.

Il faut savoir ce qu’il est important d’évaluer et de contrôler. Dans un univers où la motivation intrinsèque est essentielle, et où l’autonomie dans le travail est une valeur positive, au-delà d’un certain niveau de contrôle on envoie à l’agent un message de défiance qui nuit à la performance.

Le principal contrôle devrait porter sur le processus de sélection et de formation des chercheurs et des enseignants-chercheurs. Le pouvoir politique peut légitimement fixer de grands objectifs, mais les dispositifs de contrôle doivent être mis en œuvre par la communauté scientifique, et les critères doivent être souples et évolutifs.

Propos recueillis par Catherine Rollot


Voir en ligne : http://www.lemonde.fr/societe/artic...