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Retour sur un rapport (celui du Comité de suivi de la loi LRU, en 2010)
jeudi 24 mars 2011
Au moment des grands tripatouillages entre ministère, jury international et universités pour la sélection des quelques projets qui surnageront dans le marigot des diverses initiatives d’excellence (voir ici), il peut être utile de revenir sur le rapport 2010 du Comité de suivi de la loi LRU, diffusé en janvier et qui souligne les liens entre mise en œuvre de la loi LRU et Grand Emprunt (revoir là).
Ce rapport annuel est produit par 12 « personnalités qualifiées » - Marie-France Ponsot, chargée de mission à l’IGAENR en est rapporteur - et 4 parlementaires : les sénateurs Philippe Adnot et Jean-Léonce Dupont (voir ici et là) et les députés Françoise Guegot et Jean-Pierre Soisson. Il est transmis au Parlement et au CNESER. Quoique les auteurs annoncent avoir auditionné « plusieurs acteurs de la mise en œuvre de la loi ainsi que la plupart des organisations et syndicats représentés au CNESER », ni le SNESup ni l’UNEF – syndicats les plus importants pour l’enseignement supérieur et les étudiants - n’ont été auditionnés.
De fait, le rapport ne se limite pas à un bilan de la mise en place de la loi LRU, il s’intéresse aussi aux bouleversements générés par le Grand Emprunt ainsi qu’à « divers champs nouveaux liés plus directement aux missions de l’université, comme par exemple l’insertion professionnelle ou encore l’évolution des pratiques d’évaluation, corollaire de l’autonomie ». Ce rapport, structuré en quatre grande parties, fait en effet ressortir quelques lignes de force d’évolutions à moyen et long terme, qui sans être totalement nouvelles, brossent un tableau de l’avenir proche des universités, pataugeant désormais dans les marais très embrumés de « l’après RCE », et que l’on peut ainsi résumer, dans un premier décryptage. (Les remarques allant au-delà du résumé sont en italique).
I) La montée en charge rapide des responsabilités et compétences élargies
Un bilan de la loi LRU au 1er janvier 2011 fait état de 86 établissements, dont 73 universités, passés aux responsabilités et compétences élargies (RCE). Ceci implique que les personnels d’encadrement et des différents conseils, notamment des CA prennent des décisions d’une nature nouvelle ce qui nécessite, selon le comité, une formation spécifique.
« L’après RCE » revient en effet comme un leitmotiv dans ce rapport. Les nouvelles nécessités de gestion de la masse salariale par exemple sont pointées à plusieurs reprises, avec les risques financiers qui les accompagnent. Ainsi, « les principes et mécanismes d’actualisation de la masse salariale restent à définir » (p. 5). Le passage aux RCE est par ailleurs présenté comme défavorable aux « petits établissements » et même peu souhaitable.
Les auteurs du rapport manifestent aussi une inquiétude plus globale quant à l’absence de cap clairement fixé : il reste difficile « d’identifier et de mesurer la démarche engagée par le ministère pour anticiper et préparer les conséquences à moyen et long terme de ce passage aux RCE ». (p. 6)
II) Le développement de stratégies internes aux universités
1. Vers un renouvellement du pilotage et de l’administration des établissements
Favorable à la participation des personnalités extérieures à l’élection des présidents d’université, le comité souligne qu’il faut « renforcer le dialogue social, la transparence des procédures et des décisions afin d’éviter que le niveau décisionnel soit perçu comme étant trop éloigné des acteurs sur le terrain » (p. 7) … Diagnostic à peine dissimulé de la tendance actuelle maintes fois dénoncée à la présidentialisation, à l’autoritarisme et à l’opacité ?
Le rapport plaide pour un recentrage des conseils d’administration « plus ouverts sur le monde socio-économique » sur « les aspects stratégiques et politiques ». Quant aux composantes des universités, il serait « pertinent de réfléchir à une nouvelle organisation et de s’interroger notamment sur un morcellement trop marqué des UFR » (p. 10). L’heure est au renforcement du rôle des acteurs économiques dans la gouvernance des universités, au niveau des CA, et au regroupement et à la simplification des structures internes des universités.
2. Le recrutement des enseignants-chercheurs : une procédure en voie de stabilisation
Malgré ce titre irénique et le rappel que le Conseil constitutionnel a confirmé la conformité à la constitution de l’article du code de l’Education traitant des comités de sélection, le comité mentionne lui-même que celui-ci a aussi émis une réserve d’interprétation importante qu’impose le principe d’indépendance des enseignants-chercheurs qui « s’oppose à ce que le président de l’université fonde son appréciation sur des motifs étrangers à l’administration de l’université et, en particulier, sur la qualification scientifique des candidats retenus à l’issue de la procédure de sélection » (p. 10).
Le rapport constate que les recrutements au fil de l’eau tendent à augmenter (19,13 % en 2010 contre 13,35 % en 2009) et l’endorecrutement à diminuer : pour les maîtres de conférences, en 2008, 24,4 % des candidats recrutés avaient obtenu leur doctorat dans le même établissement, pourcentage ramené à 18,8 % en 2010 ; en revanche pour les professeurs, les proportions sont de 45,3 % en 2010 contre 48,2 % en 2008 (p. 11). Dans la plupart des cas, les CA ont suivi l’avis des comités de sélection : en 2009, une trentaine de cas de divergence a été recensée sur 3 000 recrutements environ.
3. De nouvelles pratiques d’évaluation : le corollaire de l’autonomie
La logique de « gestion par la performance avec une vision pluriannuelle et des objectifs assortis d’indicateurs » implique que l’évaluation ne se limite pas à la gestion administrative et financière mais « tienne compte du bon fonctionnement académique ». Recourir aux évaluations de l’AERES en externe et développer aussi l’évaluation en interne, comme le préconise le rapport, signifie l’individualisation des carrières, nonobstant toute référence à un statut commun. Ceci conduit à la modulation des services ainsi qu’à l’attribution de primes d’excellence scientifique à une poignée.
Pour cette évaluation, sont considérés comme décisifs par le rapport non seulement « l’intensité de l’effort de recherche » mais aussi « la qualité et l’impact des résultats obtenus ». Sans surprise, le divorce est toujours patent entre les attendus d’une recherche appliquée à courte vue et directement « utile » et les principes mêmes d’une recherche « fondamentale » ou indépendante (p. 13).
4. La représentation étudiante : un enjeu insuffisamment pris en compte
Si la clarification des missions et le besoin de formation des élus sont soulignés, le comité recommande aussi « que ces formations puissent être valorisées en termes de compétences en étant, par exemple, prises en compte dans une unité d’enseignement ou bien figurer comme supplément au diplôme » (p. 14).
5. L’insertion professionnelle : une mission valorisée par la loi
En effet, la loi LRU ne se limite pas seulement à réorganiser l’administration et la gestion des universités. Le rapport souligne qu’elle contribue à renforcer et accélérer les relations entre le monde économique et le monde universitaire (p. 16), comme en témoigne la signature d’une convention-cadre entre la CPU et le MEDEF le 23 novembre 2010. Le comité formule quelques suggestions (autonomie des universités oblige) pour aller plus loin dans cette direction :
développement des relations entre universités et entreprises, notamment du bassin d’emploi ; l’enjeu est « l’accueil des stagiaires et l’insertion des diplômés mais aussi [de] mieux appréhender les attentes des entreprises vis-à-vis de tel ou tel secteur disciplinaire ».
« Une plus large participation des professionnels dans les CEVU »
« l’intégration de professionnels au sein des équipes pédagogiques ou des conseils de perfectionnement doit privilégier les profils correspondant aux principaux métiers de l’entreprise ».
La suite est logique : il ne reste qu’à décliner les « diplômes, non seulement en termes de contenus pédagogiques mais aussi de compétences à acquérir, avec une logique de certification » (p. 16).
On ne peut être plus clair, la finalité de l’université serait ainsi de se mettre au service et de répondre aux besoins locaux et conjoncturels de l’environnement économique. A ce compte, que reste-t-il de la fonction intellectuelle et sociale de l’université ?
III) De nouvelles relations avec l’État
1) Autonomie, régulation et accompagnement : quelle évolution à moyen terme ?
A l’échelle académique, est rappelé le « changement de paradigme pour les services rectoraux dans leurs relations vis-à-vis des universités » instauré par l’article 34 de la loi LRU, instaurant un contrôle technique et de légalité. Quant à l’Etat, c’est son rôle de « stratège » qui est souligné, impliquant une nouvelle approche de la démarche contractuelle et une « place prépondérante accordée au suivi de la performance et à l’évaluation dans les mécanismes de pilotage » (p. 18).
L’université se trouve ainsi prise dans une double tutelle. C’est exposer, s’il en était encore besoin, la fonction d’affichage du terme « autonomie ».
2) La contractualisation : une nouvelle démarche
Le contrat n’est plus désormais conçu comme un document programmatique, détaillé de manière thématique, mais comme « un contrat d’objectifs/moyens laissant à l’opérateur une plus grande liberté de mise en œuvre », en fonction d’indicateurs et de « dialogue de performance » - exquise novlangue.
Il n’en demeure pas moins que ces contrats concernent des champs précis relatifs à la politique des personnels, par exemple : pourcentage de recrutement exogène, conditions dans lesquelles les personnels titulaires et contractuels de l’établissement sont évalués, emplois mis à disposition de l’université par l’Etat pendant la durée du contrat, crédits limitatifs affectés à la masse salariale.
Le comité regrette cependant qu’il soit encore rendu obligatoire par la loi LRU « d’inscrire dans les contrats, la création, la suppression ou le regroupement de composantes » et préfèrerait que ceci relève de la seule décision des CA d’université – ce qui de fait accélèrerait encore les restructurations et concentrations internes dans les universités.
Ce rapport estime également que « la stratégie nationale de recherche et d’innovation énonce les grands axes thématiques prioritaires, mais [que] la lisibilité de la stratégie globale de l’Etat mériterait d’être améliorée », le principe de contractualisation étant présenté comme un « outil majeur pour faire évoluer le système d’enseignement supérieur et de recherche vers un modèle permettant de répondre aux grandes orientations fixées par l’Etat » - ou quand le politique impose ses désirs à un enseignement supérieur et à une recherche dont l’indépendance est toujours davantage rognée et ses conditions mêmes de bon fonctionnement mises en péril.
IV) Les universités dans leur environnement
Il s’agit ici en fait essentiellement de l’environnement économique des universités, les perspectives immédiates étant de développer des politiques de sites ainsi que des partenariats avec les acteurs économiques locaux et régionaux, à travers la politique même de restructuration de l’enseignement supérieur et de la recherche, notamment avec les PRES, les RTRA (réseaux thématiques de recherche avancée) ou les RTRS/CTRS (réseaux/centres thématiques de recherche de soins).
Relevant cependant la complexité croissante et dommageable des nouvelles structures, en particulier des PRES, le comité souligne combien le Grand Emprunt et la sélection de 5 à 10 pôles à travers les candidatures Idex « modifieront le paysage universitaire et de recherche, autour d’une gouvernance rénovée. » Le Grand Emprunt permettra de « faire émerger une politique commune à l’échelle d’un champ thématique et pourra transformer, de ce fait, les modalités et structures de portage des projets, dépassant le cadre actuel des composantes et laboratoires » - perspective renouvelée de centralisation et de simplification structurelles ? Le rapport propose ainsi la « mise en place d’un Sénat académique au niveau [d’un] site concerné plutôt qu’à celui de chacun des établissements le composant ».
Quant aux « universités ne pouvant bénéficier de la dynamique des Investissements d’avenir et dont le passage aux RCE n’apportera pas de réelles possibilités de marges de manœuvre […] le contrat conclu avec l’Etat prendra une dimension nouvelle et sera l’occasion de définir les engagements respectifs pour le développement des sites » - dispositions qui entérinent la mise en place d’un système universitaire à deux vitesses, reposant sur des contrats avec l’Etat désormais de nature différente.
Dans sa conclusion, le rapport souligne trois choses importantes pour l’avenir des universités :
la gouvernance forte établie au niveau des sites
le fait que, même non sélectionnés, les projets liés aux investissements d’avenir et notamment les mouvements de structuration qu’ils auront initié auront des effets.
enfin, outre la nouvelle importance accordée à la politique de sites, « il sera intéressant de suivre […] la place donnée aux universités, en particulier au sein des différentes fondations de coopérations scientifiques annoncées ». Faut-il comprendre que l’université perdra de fait de ses prérogatives au bénéfice, d’une part, de « sites » dotés de « Sénats » et, d’autre part, de « fondations de coopération » ?
Le rapport peut alors s’achever, de manière assez dramatisée, à la fois sur les « nombreuses interrogations sur la vision à long terme qu’a l’Etat de la structuration, sur le territoire, de l’enseignement supérieur et de la recherche », préparant ainsi la voie à la publication des résultats du Grand Emprunt, et sur « la contribution de la France à la construction de l’espace européen ». Il rappelle ainsi opportunément que la création de déserts français de l’enseignement supérieur et de la recherche en même temps que le gonflement de quelques pôles sur des thématiques ciblées par l’Etat s’inscrivent dans la mise en oeuvre de la stratégie de Lisbonne et du processus de Bologne.