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Note sur les dernières dispositions quant à l’administration du Campus Condorcet introduites dans le débat au Sénat sur la LPR (article 10 A) - Jean-Louis Fournel, 6 novembre 2020
samedi 7 novembre 2020, par
Durant la discussion de la LPR au Sénat le gouvernement a présenté un micro amende-ment sur l’administration du campus Condorcet qui n’a pas suscité de réaction forte, au milieu d’un bombardement d’autres amendements cruciaux gravissimes pour l’avenir de l’ESR (notamment les trois amendements sur « les valeurs républicaines », sur le possible évitement des procédures de qualifications par le CNU pour l’accès au statut de professeur des universités et, enfin, de la création du délit d’entrave à la liberté d’expression). Dans cet amendement il est stipulé que dorénavant le président ou la présidente du campus Condorcet sera nommé par décret ministériel, que le CA comprendra un certain nombre de personnalités qualifiées désignées par le ministère, et enfin qu’au même CA figurera un représentant du ministère : point n’est besoin d’une analyse idéologique très sophistiquée de la situation pour souligner que le nouvel article 10A du projet de loi LPR induit, de facto, un contrôle accru du ministère sur l’établissement public.
Reste encore à déterminer quelles en sont les raisons et à se demander donc quelles peu-vent en être les justifications pratiques.
D’aucuns pourraient se satisfaire de voir inscrit dans une loi l’existence d’un Campus Con-dorcet qui jusqu’à présent n’avait de réalité légale et administrative que dans des planifications fi-nancières, immobilières et locales (dans le cadre du Grand Paris) : on leur répondra d’une part que le prix payé est bien élevé pour ce faire et que la nécessité de cette confirmation législative n’était pas une priorité dans la mesure où la hauteur de l’investissement effectué par l’Etat dans ce campus rendrait difficile voire absurde la remise en cause de son développement.
D’autres pourraient arguer qu’on a là seulement une simplification bienvenue de la diversité des situations existantes entre les différentes composantes du Campus Condorcet, certaines choisissant leur président par élection(s) - pour les universités - d’autres relevant de nomination(s) gouvernementales - pour le CNRS et pour la plupart des grands établissements. Quelle preuve a-t-on que cette diversité serait dommageable au bon gouvernement, à la lisibilité des décisions ou au statut de la présidence du campus. ? Et pourquoi cette unification « simplifiante » se ferait-elle au détriment de la solution la plus ouverte et la moins jacobine alors même qu’on ne cesse de louer depuis 2007 l’« autonomie des universités » ? Pourquoi n’est-on pas capable de sortir d’une position binaire quelque peu schématique où aucun autre choix n’existerait entre la logique préfectorale de la nomination gouvernementale et l’élection au suffrage universel direct ?
D’autres encore pourraient penser, sans le dire ou en le disant, que l’assimilation du cas du Campus Condorcet à celui des grands établissements pourraient être considérée comme une sorte de reconnaissance de son rôle dans la production et la diffusion de la recherche en LSHS. Bref, on choisirait un modèle plus hiérarchique et plus centralisateur pour renforcer la planification de la re-cherche en LSHS… Outre qu’on peut s’interroger légitimement sur l’efficacité d’une telle stratégie, elle ne semble pas faire preuve d’une grande inventivité et, surtout, elle écarte sans débat le mo-dèle de direction propre aux universités. Doit-on y voir l’imposition d’un modèle - celui du CNRS ou des grands établissements - sur un autre - celui des universités - suivant un choix qui serait donc parfaitement contradictoire avec la politique claironnée depuis une quinzaine d’années consistant, nous a-t-on dit et répété, à placer les universités au centre de la stratégie de recherches ? Il n’est pas interdit de se poser la question.
Enfin, certains pourraient voir dans cette décision une étape dans la perspective d’une simplification de la carte des formations en LSHS dans l’Ile-de-France, le renforcement de la place d’un Condorcet grand établissement piloté en partie depuis le Ministère de tutelle permettant de passer d’une situation marquée par des formes (encore) variées de développement de la recherche en LSHS (dans les établissements, dans les COMUE, dans les grands établissements, dans les Idex et à Condorcet) à une réorganisation beaucoup plus pyramidale. L’interrogation que suscite une telle hypothèse est assez simple : cette simplification « régionale », mais d’envergure nationale, est-elle une bonne chose ?
Quoi qu’il en soit, il va sans dire que cette initiative prise en catimini n’a évidemment jamais été discutée en amont au sein des instances élues du campus Condorcet ni au sein des communautés universitaires, pourtant concernées au premier chef par les modalités de fonctionnement de ce dernier et par le rôle qu’il est appelé à tenir dans le développement de leur politique de recherche. A ce titre, elle illustre une pratique autoritaire et centralisée du pouvoir qui est parfaitement contraire au travail universitaire et à la nécessaire liberté de la recherche publique. Sur le strict plan des statuts du Campus Condorcet elle est aussi une atteinte nouvelle à une démocratie déjà fragilisée par le nombre très restreint de représentants des différentes universités et établissements d’enseignement supérieur au sein de son Conseil d’Administration. Une réponse utile à cette décision ministérielle unilatérale pourrait d’ailleurs être une décision des membres du campus et de son CA d’augmenter le nombre des membres élus par les différentes communautés universitaires afin de rétablir une forme d’équilibre.
Last but not least, si on remarque que ce qui vaudra pour Condorcet n’est pas mis en place de façon équivalente pour le campus de Saclay, ne peut-on considérer que s’exprime ici une volonté de contrôle renforcé sur les seules LSHS, suivant une position qui serait parfaitement homogène avec les dernières attaques subies par celles-ci de la part du Ministre de l’Education nationale, voire, en juin dernier, dans la bouche même du Président de la République ? On est fondé à ne pas écarter cette ultime considération.
Jean-Louis Fournel
Professeur à l’Université Paris 8