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Compte-rendu de l’audition de SLU par le Comité de pilotage des Assises de l’ESR – 17 septembre 2012.
vendredi 21 septembre 2012, par
Le texte qui suit est le compte-rendu de l’échange qui s’est déroulé dans le cadre de l’audition de SLU. Les prises de parole sont résumées.
Nous sommes introduits dans la salle par Vincent Berger, rapporteur général, à 18h55. Nous en sortirons à 19h45.
Dès notre arrivée, Françoise Barré-Sinoussi nous donne la parole. Elle gèrera les débats tout au long de l’audition.
Christine Noille présente les 4 membres du CA de SLU présents (Étienne Boisserie, Hélène Conjeaud, Jean-Louis Fournel, Christine Noille), puis lit le propos liminaire.
Le propos suscite des réactions, en particulier lorsque sont évoqués « l’innovation en lieu et place de la recherche » , « la mystique des stages » et l’état de faillite des universités.
Puis viennent les questions, toujours posées de façon civile et sans esprit polémique évident.
Première question : Antoine Petit (Agrégé de mathématiques, professeur des universités, directeur adjoint de l’INRIA). « Vous dénoncez la précarité, mais qu’est-ce que vous appelez un « précaire » ? Où commence et où s’arrête la précarité ? Ou placez-vous la limite ? » [il est clair que de façon sous-jacente la question posée était celle de la nécessité du post-doctorat]
Jean-Louis Fournel : Comme d’ordinaire il convient de faire des distinctions : la précarité chez les personnels administratifs et techniques ne relève pas toujours des logiques qui prévalent dans le recours à la précarité chez les enseignants-chercheurs et les chercheurs. Quoi qu’il en soit, le problème principal tient au recrutement de personnels sur contrats transitoires pour répondre au RCE qui entraîne le recrutement de vacataires exploités pour l’encadrement des 1er cycles et pour les postes administratifs de niveau B et, surtout, C. Les postes d’ATER ou les post-doctorats ont évidemment de l’intérêt dans un parcours de recherche et ne relèvent pas stricto sensu de la « précarité » sauf quand on favorise des situations où l’on contraint de jeunes chercheurs à enchaîner 3, 4 voire 5 post-doctorats de suite faisant de ce statut le seul avenir qui leur soit offert entre 25/28 et 40 ans !
Etienne Boisserie : La précarité remet en cause la stabilité pédagogique et celle des équipes de recherche. Le passage aux RCE a entraîné le gel des postes dits « sous plafond » (masse salariale transférée par l’État) par les CA et le recours à des emplois « hors plafond », c’est à dire qui dépendent des budgets de fonctionnement et non de la masse salariale État. Depuis 1992, ces emplois ont considérablement augmenté, avec une accélération depuis 2008. La possibilité d’embauche sur tout type de contrat, sur budgets de fonctionnement (« hors-plafond ») est un verrou qui a sauté en 2010, ce dont il faut s’inquiéter car ces choix sont porteurs d’une précarisation accélérée du personnel, préjudiciable à la continuité des structures d’enseignement et de recherche.
Jean-Louis Fournel : Pour dire les choses clairement et sortir des faux-semblants, il n’y a que deux modèles. D’un côté il y a le modèle qui était dominant en France depuis 1945 et jusqu’aux dernières réformes : il composait chez les chercheurs et les enseignants-chercheurs un recrutement assez jeune sur poste stable, accompagné de rémunérations assez faibles par rapport à d’autres pays, mais compensée par la stabilité et la liberté d’action dans l’emploi de fonctionnaire obtenu. De l’autre, il y a le modèle privilégié dans d’autres pays qui est fondé sur une précarité de longue durée des jeunes chercheurs qui enchaînent les « contrats » avant qu’une partie d’entre eux obtienne tardivement une forme de stabilisation. Dans cette situation, il faut être clair et dire ce que l’on veut car ces deux modèles sont antinomiques. Il s’agit là d’un choix politique et l’on ne fera pas passer le deuxième modèle en disant qu’on continue à soutenir le premier.
Remarque de V. Berger : Le coût d’un vacataire est de 50 euros de l’heure, celui d’un statutaire est de 500 euros !!!
Question 2 : Véronique Chankowski (Professeure des universités en histoire grecque, membre de l’IUF – Université de Lille). « Vous faites un constat assez négatif des réformes notamment pour ce qui est des premiers cycles universitaires. Vous oubliez l’évolution des étudiants et l’évolution des techniques d’enseignement comme le numérique. Quelles propositions faites-vous ? Que pensez-vous des expérimentations réalisées dans les différentes universités (tutorat, numérique, …) ? »
Etienne Boisserie : Le problème principal est lié au taux d’encadrement. L’OCDE pointe un sous encadrement massif tant au niveau des enseignants que des administratifs. Ce sous-encadrement est cumulatif (EC et iatos), ce qui renforce les difficultés. Cela entraîne un manque de disponibilité des enseignants pris par des tâches administratives. Il y a quelques initiatives heureuses dans le plan réussite en licence mais le public visé n’a pas été atteint (l’ensemble des rapports sur le sujet a fini par en faire le constat). Ce qui importe c’est la proximité avec les étudiants fragiles. Les problèmes de disponibilité de locaux, de disponibilité des EC sont cruciaux et non résolus par le recours à des vacations.
Jean-Louis Fournel : Il faut aussi revenir sur les illusions nées des technologies de l’information et de la communication. Toutes les personnes qui s’intéressent à l’enseignement à distance savent qu’il faut pour que cela marche un encadrement de cet enseignement par des moments d’enseignement en présentiel. Par ailleurs, notamment dans les universités chargées d’accueillir des étudiants qui ont des difficultés d’intégration dans l’ESR, il est évident (comme cela est vrai dans le secondaire) que la présence humaine en présentiel est tout à fait fondamentale : à cet égard, ce n’est pas la même chose d’enseigner à Paris 4 et dans université située en banlieue et les moyens humains doivent être à la hauteur de cette différence.
Question 3 : Pierre Tambourin (Polytechnicien, directeur de recherche à l’INSERM, directeur général de Genopole). « Vous parlez de sous-encadrement, celui-ci est-il homogène ou existe-t-il des universités mieux, voire bien, dotées ? »
Jean-Louis Fournel : Ce n’est pas une question d’universités mais plutôt de disciplines. Dans la même université certaines sont systématiquement sous encadrées alors que d’autres, concernant en général un nombre limité d’étudiants, ne le sont pas. Le problème posé ici est celui des conditions réelles d’exercice de notre métier. Il faut dans cette perspective éviter les miroirs aux alouettes comme celui de notion de « numérique ». Il n’est pas question de refuser ces apports mais de constater que sans enseignement présentiel le numérique n’apporte rien.
Christine Noille : Le problème de l’échec à l’université n’est pas de la responsabilité de la seule université, des enseignants de l’université. Il est en amont, dans la conjonction entre le secondaire et le supérieur, dans l’orientation contrainte des étudiants. Il y a un problème majeur de cohérence entre les offres de formation du secondaire (filières pro et techno) et les offres du supérieur. Une partie de l’échec universitaire des secteurs disciplinaires est liée aux étudiants qui ne trouvent pas de place dans les filières qu’ils souhaiteraient et qui s’inscrivent par défaut ailleurs.
Etienne Boisserie : L’université n’est qu’un des éléments d’un système complexe à revoir. C’est au niveau plus global de l’ensemble des offres d’enseignement supérieur que le sujet doit être traité. L’université n’en est qu’un des aspects.
Question 4 : Catherine Colliot-Thelene (Professeure des universités, membre de l’IUF – Université de Rennes 1). « Vous faites un bilan très négatif de la pluridisciplinarité. Quelles propositions faites-vous face à la demande étudiante ? Que pensez-vous des étapes concours/masters et des concours d’agrégation ? »
Jean-Louis Fournel : Nous sommes favorables sans hésitation à la suppression de l’agrégation du supérieur qui n’apporte rien à la recherche, tout au contraire. En ce qui concerne l’agrégation du secondaire notre position est plus complexe. La préparation de l’agrégation du secondaire présente d’indéniables avantages en termes de formation à la recherche en particulier en SHS (une bonne part des thésards viennent de la préparation de l’agrégation). Cependant, dans la vision qui semble malheureusement s’imposer aujourd’hui d’un bloc de bac -3 à bac + 3, cette même agrégation risque fort de servir d’abord à former et recruter pour les premiers cycles du supérieur des enseignants qui ne feront plus de recherche et feront un horaire multiplié par deux, ce qui servira à combler partiellement les trous des budgets universitaires laminés par le passage aux RCE ! Il n’est pas absurde de considérer que ce qui est ici en jeu est la pérennité du corps des maîtres de conférences : on nous dira qu’il y a là un procès d’intention aux gouvernants mais on nous a tellement sorti cet argument dans les années passées (notamment sur la mastérisation de la formation des enseignants) pour des sujets où il s’est avéré que nos prévisions étaient justifiées qu’on nous permettra de persévérer !
Christine Noille : En ce qui concerne la pluridisciplinarité, ce que nous refusons c’est une pluridisciplinarité au rabais ; en classe prépas, il s’agit de 6h/semaine de chaque discipline, dans les maquettes des universités, il s’agit de 1h30, 2h dans le meilleur des cas, par semaine ! La véritable pluridisciplinarité a une temporalité différente, elle ne peut se construire qu’après l’approfondissement dans une ou plusieurs disciplines.
Question 5 : Rémy Mosseri (Directeur de recherche, laboratoire de physique théorique de la matière condensée – CNRS/UPMC). « A propos des questions de précarité, il faut que vous fassiez remonter cette question dans les assises territoriales ! Par ailleurs que pensez vous de l’évaluation dont vous n’avez pas parlé dans votre exposé (je subdiviserai cette en trois autres questions : le principe, les modalités et les conséquences de cette évaluation) ? Et ne me donnez pas comme réponse, s’il vous plaît, que les enseignants-chercheurs sont toujours évalués… »
Remarque de Christine Noille : Nous étions tellement certains que la question nous serait posée que nous n’avons pas perdu de temps à en parler dans notre propos introductif !
Jean-Louis Fournel : Ce n’est pas ce que nous ferons, même si la chose est loin d’être fausse. La manière dont est posée la question est piégée dans l’enchaînement tripartite qui nous est proposé donc, si vous le voulez bien, nous suivrons un autre cheminement pour vous répondre. L’idée d’évaluation, vite devenue une injonction d’évaluation, s’est imposée de manière factice avec un contenu vague et distinct selon les individus qui faisaient usage de cette notion, et ce depuis plusieurs années. Pour nous, la question n’est pas la seule question de l’évaluation des individus. La question de l’évaluation comporte 3 volets : celle des établissements, celle des équipes et celles des individus.
Concernant les établissements, ceux-ci passent régulièrement des contrats d’établissement avec l’Etat et ces moments sont les moments de faire des bilans, d’envisager des perspectives, d’adapter les moyens aux objectifs, bref de faire tout ce que l’on entoure aujourd’hui du nom piégé d’« évaluation », dans une logique qui relève surtout de la suspicion sinon de la sanction. Ces évaluations d’établissement ne peuvent en aucun cas être confiées à une agence de type AERES.
Concernant les équipes. Il faut distinguer le cas des UMR de celui des équipes d’accueil. Nous nous sommes opposés à la politique de « désUMRisation » qui avait, il y a encore quelques années, la faveur du ministère, et souhaitons même une « réUMRisation ». Et, dans ce cas, les évaluations des UMRs ont un cadre évident et fonctionnel qui est celui du CoCNRS. Pour les équipes d’accueil des universités, il faut inventer un lieu d’évaluation qui respecte le principe d’une représentation paritaire qui ne soit pas fondée seulement sur la nomination/cooptation ministérielle et qui soit associée à l’existence de procédures d’appels.
Mosseri : « … et le CNU ? »
Jean-Louis Fournel : La question mérite réflexion et nous n’avons pas pour l’instant de réponse assurée sur ce point. Concernant pour finir « l’évaluation » des individus, la position de SLU est que celle-ci doit être faite uniquement à la demande de l’intéressé, par une commission paritaire et qu’elle doit être associée aussi à des procédures d’appel. Il n’est pas question pour SLU d’envisager des évaluations sanctions ni même d’accompagnement car ce terme n’a pas de sens assez clair et univoque.
Question 6 : V. Berger (rapporteur général et président de l’université Paris 7 depuis 2009) : « Merci pour vos interventions très dynamiques et très instructives. Personnellement j’ai trois questions à vous poser. Vous condamnez l’interdisciplinarité mais les organisations étudiantes se plaignent sans cesse du cloisonnement des études. Par ailleurs, que pensez vous des PRAG, faut-il réglementer la proportion de PRAG/EC ? Enfin que pensez vous du fait que les EC ne soient, de fait, évalués que sur la recherche ? »
Etienne Boisserie : Il n’y a pas de critère objectivable de qualité de l’enseignement. Sur des sujets qui font intervenir l’humain, il faut aussi accepter que tout ne rentre pas dans des critères simples ! Il faut aussi faire confiance !
Jean-Louis Fournel : Le corps des EC n’est pas parfait, pourquoi ne pas accepter qu’il y ait, comme dans toutes les professions et tous les métiers, 2-3% de personnes qui ne fassent pas leur travail ! Concernant les syndicats étudiants, la question qu’il faut poser est de savoir si l’objectif de ces assises est de faire un traitement social de la loi LRU ou de penser l’université de demain. Soit l’objectif est politique soit il relève de la satisfaction de tel ou tel lobby mais alors cela devient assez peu intéressant…
Enfin, concernant les PRAGs, la question qui se pose est celle de l’articulation avec le lycée. Ce dont nous ne voulons pas c’est la destruction des universités comme universités de recherche et l’opposition entre des universités d’enseignement et d’autres de recherche.
Pour lire la contribution écrite de SLU aux Assises de l’ESR.