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Enseignants-chercheurs : le gouvernement joue avec le feu - par Nicolas Guillet, universitaire, Rue89, 18 mars 2009

mercredi 18 mars 2009, par Laurence

Après avoir fait croire que la communauté universitaire était satisfaite par le « nouveau » projet de statut des enseignants-chercheurs, après avoir joué la carte de l’expérimentation de la réforme de la formation des maîtres, le gouvernement manie désormais le bâton et cherche à mâter, par la sanction financière, le mouvement universitaire qui dure depuis plus de deux mois. Comment s’y prend-il ?

Il y a peu, il a envoyé une note aux présidents d’université pour faire appliquer des retenues sur le traitement des enseignants-chercheurs pour service non fait, au motif qu’ils n’avaient pas délivré leurs notes aux étudiants. Maintenant, il demande aux mêmes présidents d’appliquer la même règle, mais cette fois en raison des cours non assurés.

De prime abord, la demande semble légitime dans la mesure où le principe même de la grève implique un sacrifice pour celles et ceux qui la font.

En réalité, le gouvernement, ayant déjà corseté l’exercice du droit de grève dans les transports publics, puis essayé de faire échec aux grèves dans l’éducation nationale par l’organisation d’un service minimum d’accueil des élèves, cherche à désolidariser les Français de la lutte universitaire : il prétexte implicitement que l’absence de retenue sur le traitement en cas de non-respect des obligations de service serait non seulement juridiquement inacceptable mais surtout moralement inadmissible.

Le gouvernement feint d’ignorer le sens des responsabilités des chercheurs

Il révèle par là-même ce qui le gêne profondément : la tradition pluriséculaire sur laquelle s’appuient les universitaires, la liberté dont ils jouissent, leur caractère incontrôlable (à la fois statutairement et idéologiquement), l’obstacle qu’ils forment à une extension de la marchandisation de la société. En ce sens, le mouvement universitaire actuel constitue un enjeu de société crucial.

Toutefois, cette tentative, tout comme les précédentes, échouera. En effet, le gouvernement oublie que les enseignants-chercheurs sont annualisés et que le décompte de leurs heures de service assurées ou non ne peut être effectué qu’à la fin de l’année universitaire. Les retenues sur le traitement ne pourraient être envisagées qu’à ce moment.

De même, il fait semblant d’ignorer que, dans bon nombre d’universités, les enseignants-chercheurs ont d’ores et déjà assuré l’intégralité de leur service puisque le sous-encadrement structurel les conduit à assumer des charges d’enseignement bien largement supérieures à leurs obligations statutaires. Par conséquent, si des retenues devaient être opérées, elles ne pourraient porter que sur les heures complémentaires.

Enfin, le gouvernement feint encore d’ignorer que le sens des responsabilités des enseignants-chercheurs à l’égard des usagers de l’université -les étudiants- les conduira très probablement à décaler le second semestre de l’année universitaire.

A mépriser les enseignants-chercheurs, on prend le risque d’un pourrissement

Ils pourraient donc rattraper bon nombre des enseignements non assurés, voire leur totalité, comme lorsque le gouvernement avait précipité les étudiants dans la rue avec ses projets du CPE (contrat première embauche) puis de la LRU (libertés et responsabilités des universités) et conduit au blocage de très nombreuses universités.

Ces tentatives du gouvernement révèlent une volonté non seulement de mise au pas des enseignants-chercheurs mais aussi de refus de discuter des postulats de ses projets.

Sauf qu’à mépriser les enseignants-chercheurs, il prend la lourde responsabilité d’un pourrissement irrémédiable de la situation. Il pousse à la radicalisation du mouvement universitaire dont les revendications ne cessent de s’élargir, la LRU elle-même étant désormais visée.

Il met également en danger le président de la République qui, malgré l’irritation que lui inspire ce mouvement et dont la presse s’est fait l’écho, n’a pas été suivi par les ministres en charge de l’enseignement. Non conscient de la défiance qui s’intensifie de jour en jour à son égard, le gouvernement cherche petitement à affaiblir un mouvement. Il n’a pas compris que le temps joue contre lui.