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Sciences-Po : un « new management » version « management de la peur » - Jade Lindgaard, Mediapart, 15 octobre 2009

jeudi 15 octobre 2009, par Laurence

Pour lire :
- la première partie de l’enquete
- la seconde
- la quatrième

Septembre 2009. La fameuse bibliothèque de Sciences-Po, au 27 de la rue Saint-Guillaume, est fermée pour travaux. Dans un an, les rayonnages devraient courir sur cinq étages, ouverts au Wifi et égayés d’un plancher de verre. Ce n’est pas le seul changement qui attend les documentalistes : une partie de leur rémunération devra prendre en compte la satisfaction des usagers.

« C’est une question plus importante qu’auparavant », explique François Cavalier, le directeur de la bibliothèque. Un accord sur l’intéressement des salariés tout juste bouclé comprend un barème à plusieurs variables, parmi lesquelles le niveau de contentement des lecteurs par rapport aux autres bibliothèques qu’ils fréquentent. Ce n’est qu’un indicateur parmi plusieurs dizaines, il est collectif et solidaire. Chacun recevra le même intéressement à la satisfaction. Chaque année, une enquête sera menée pour suivre ces indicateurs. A terme, tous les salariés de Sciences-Po en contact avec le public bénéficieront du même type d’accord.

Pour Richard Descoings, ce lien entre évaluation et rémunération doit garantir la qualité des services fournis par Sciences-Po à ses étudiants :

Sciences-Po s’est rendu compte que les étudiants anglo-saxons étaient les plus insatisfaits de la bibliothèque, pourtant l’une des plus belles collections de sciences humaines et sociales européennes. L’école accueille désormais 42% d’étudiants étrangers. Manque de places en salles de lecture, horaires d’ouverture insuffisants... En poste depuis un an et demi, François Cavalier a fait appel au cabinet de conseil ASC conseil formation, spécialisé en « assistance à la conduite du changement ». En 18 mois, une dizaine de séminaires ont eu lieu.

Autour des 650.000 livres entreposés rue Saint-Guillaume, fleurit un vocabulaire du management qui consacre un changement d’époque : « préconisations », «  prioriser », «  catégoriser », «  impacter »... « On perd un temps fou avec cet audit externe ! », soupire une documentaliste, qui craint que l’accent mis sur l’accès des lecteurs aux ressources ne se fasse au détriment de l’intérêt de son travail : « Les gens sont découragés, nous ne serons plus que des intermédiaires. » L’ouverture 24 heures sur 24 de la bibliothèque est à l’étude, grâce à des automates de prêts.

Sciences-Po à l’heure du « new management » ? La querelle de l’évaluation des profs et des chercheurs qui a secoué l’université française toute l’année 2009 prend à l’Institut d’études politiques de Paris (IEP) un tour particulier, focalisé sur la satisfaction des étudiants-usagers. Logique, quand les droits d’inscription peuvent désormais atteindre 5.450 euros l’année en première cycle (pour les plus hauts revenus), et 12.000 euros en master. Avec de tels tarifs, « les étudiants sont désormais des clients, des consommateurs », décrit une cadre de l’administration. Et Sciences-Po, de plus en plus, une entreprise comme une autre.

Pour évaluer ses cours de langue, l’IEP a commandé une étude à une société de sondage extérieure, la TNS-Sofres, auprès des étudiants, des enseignants et des « principaux recruteurs ». Le questionnaire a été posté sur internet. « Une révolution culturelle ! », proteste une universitaire en poste à Sciences-Po. Pour Hervé Crès, le nouveau directeur des études et de la scolarité, ancien directeur délégué d’HEC, « c’était une bonne idée, assez utile ». C’est au contraire « de l’argent jeté par les fenêtres, le sondage a montré ce que tout le monde sait », dit Alexandre Fleuret, vice-président de l’Unef Sciences-Po.

L’indice de satisfaction des étudiants a pris une telle importance que le remplissage des formulaires d’évaluation par les étudiants est devenu obligatoire. Sous peine de ne pouvoir s’inscrire au semestre suivant, de ne pas connaître ses notes ni même recevoir son diplôme. Un prof, l’un des pontes de la maison, confesse : « Je ne suis jamais allé voir mes indices de satisfaction. C’est à côté de la plaque, ça ne veut rien dire. »

Bruno Latour, directeur scientifique de Sciences-Po depuis deux ans, livre cette anecdote : « J’ai demandé que les profs présentent des CV. Mais le CV de l’un d’entre eux tenait sur une page, avec juste ses décorations. On m’a dit : "Nous savons qui est qui !" ». Le sociologue en conclut que «  ceux qui se plaignent de ce système de gouvernance sont dans l’Ancien Régime, où l’on se choisit par politesse et par connaissance ».

Un jeune chercheur de l’IEP, qui pilote un ambitieux projet pédagogique, se réjouit de la montée en puissance de l’évaluation : « Avant les enseignements étaient hérités pendant 25 ans. Maintenant il y a des outils d’évaluation. » Oui, mais il faudrait que «  les conséquences de l’évaluation soient évaluées. A l’université, elles sont adressées directement aux enseignants et ne concernent qu’eux », signale un enseignant. A Sciences-Po, elles sont accessibles à l’administration. Avec quelles conséquences ?


« Avant on avait des casiers, maintenant on télécharge »

« Cette année, un jeune chargé de mission a envoyé une lettre sanglante à des enseignants au vu des évaluations par les étudiants. Ce fut fait brutalement », raconte un directeur de master. « Il y a des cours plus faciles que d’autres, analyse Hervé Crès, les petites classes sont en général mieux évaluées. Il y a quelques accidents, c’est rare. » D’autres critères jouent un rôle décisif dans l’attribution d’un enseignement. Comme le fait d’avoir récemment occupé un poste gouvernemental. Ou d’être susceptible de le faire à nouveau. L’ancien secrétaire d’Etat aux affaires européennes, Jean-Pierre Jouyet, y officie. Hubert Védrine y a longtemps enseigné. Dominique Strauss-Kahn aussi.

Avant chaque conférence, l’enseignant doit se connecter à l’intranet de Sciences-Po, qui lui indique dans quelle salle se rendre. Une fois sur place, il doit faire l’appel et enregistrer les absents dans le système informatique. Au bout de trois absences, l’étudiant est automatiquement exclu du cours. « C’est de la centralisation informatique, une mécanique infernale ! » proteste un prof. L’explosion du nombre d’étudiants accélère l’automatisation du système administratif. « Les métiers évoluent, l’installation de logiciels pour gérer les étudiants transforme les assistants en opératrices de saisie », regrette une cadre.

Informatisation, hyper-rationalisation de la pédagogie. Certains cours ne sont plus physiquement professés en amphi mais enregistrés et mis en ligne sur internet. Comme le cours de Dominique Reynié, le très médiatique spécialiste électoral du Cevipof. Ou l’introduction au droit constitutionnel d’Olivier Duhamel en première année, pourtant l’un des enseignements phares de Sciences-Po. C’est l’e-learning. Le médiatique spécialiste de droit constitutionnel a gardé un cours « en présentiel » qui prend la forme d’un débat avec un invité.

«  Un jour, on m’a dit : si vous voulez, vous n’allez plus en amphi », s’étonne encore un prof qui ne compte plus les années d’ancienneté à Sciences-Po. « On m’a proposé d’enregistrer tous mes cours pendant une semaine dans un studio. Ensuite, ce ne serait plus la peine de venir. » L’enseignant explique que ses heures de cours d’amphi sont l’occasion d’un dialogue avec ses étudiants. Réponse de l’administration : Boutmy, le grand amphi emblématique de la rue Saint-Guillaume, est « surbooké ».

Des «  e-conférences », l’équivalent de séances de TD sur internet, sont expérimentées. Les étudiants peuvent poser leurs questions sur un forum de discussion. Un exposé sur deux se fait par webcam. La réforme de l’anglais si contestée par ses enseignants passe aussi par une part croissante de travail en ligne : dictionnaire de prononciation, exercices de grammaire et de vocabulaire, logiciel d’enseignement à distance spécialisé en « business english ». Cette déshumanisation inquiète une prof de langue, en poste depuis 22 ans à Sciences-Po : « Autrefois, on avait une salle des profs. Elle n’existe plus. On n’a plus de casier. On télécharge. Il n’y a pas d’esprit de département. Tout est remplacé par l’électronique. A l’horizon on voit poindre le remplacement des profs par les machines. »

Quelle culture du savoir se met en place à Sciences-Po ? Pour quel résultat ? « Attention, Sciences-Po est un champ de mines ! C’est compliqué d’y voir clair », met en garde un chercheur à la tête d’un master, et très impliqué dans les réformes pédagogiques en cours à l’IEP. Car comme dans le reste de l’université, les outils d’évaluation, brutalement quantitatifs par bien des aspects, servent aussi, à Sciences-Po, une professionnalisation de la recherche en sciences humaines et sociales. C’est ce que Bruno Latour appelle « refondamentaliser » les enseignements. Ils s’éloignent ainsi d’une certaine tradition maison concevant les sciences sociales comme de la culture générale un peu améliorée : c’était le côté « sciences pipo » de la rue Saint-Guillaume, bien connu de ses anciens étudiants. Où des profs dissertaient plus ou moins brillamment sans toujours préparer leurs cours. Où seule comptait la filière de formation à l’ENA et son expertise technocratique.

« Contribuer au projet de civilisation »

Cette forme de querelle des Anciens et des Modernes a fait exploser l’année dernière l’un des plus célèbres centres de recherche de Sciences-Po, le Cevipof. Mais le conflit est à la fois plus étendu et plus latent. Aujourd’hui, on trouve rue Saint-Guillaume une nouvelle génération de chercheurs de pointe, adeptes de vérifications empiriques, d’études de terrain rigoureuses. « Les universitaires y jouent un rôle plus intéressant qu’il y a deux, trois ans », considère un chercheur, qui se réjouit de la présence d’académiques dans la direction de l’école : Bruno Latour, scientifique de renom international, mais aussi Hervé Crès, le directeur des études et de la scolarité, mathématicien et économiste, Philippe Weil, le directeur de l’école doctorale, économiste...

« Qu’est-ce que l’internationalisation ? En combien de temps former les doctorants ? Faut-il publier dans une autre langue que l’anglais ? Aujourd’hui, toutes les universités connaissent ces conflits, explique un sociologue et politiste de l’IEP. On ne sait plus ce que sont les critères d’excellence. Le marché et la concurrence provoquent des pressions parfois positives. »

Entre grande école, business school, université internationale, Sciences-Po se cherche. « On va essayer de contribuer au projet de civilisation, lance carrément Hervé Crès, la France a un message à faire passer à l’ensemble du monde, c’est très important d’amener en France des jeunes qui ne la connaissent pas du tout. » Naissance d’un patriotisme académique ? Le jeune directeur adjoint assume presque : «  Si on ne s’étourdit pas parfois de grands mots, la vie est bien triste. »

Désormais, tout le cursus d’études à Sciences-Po est pensé en miroir de l’université anglo-saxonne : le premier cycle est rebaptisé « collège universitaire » en référence au «  college » américain, et délivre un diplôme d’établissement, « le bachelor de Sciences-Po ». Les thèses soutenues à l’école doctorale sont assimilées à des «  Phd ». La constellation de bâtiments abritant en bordure du boulevard Saint-Germain les salles de cours, les bureaux, et les services administratifs, s’appelle «  le campus ». « On assiste à une américanisation forcenée du vocabulaire », décrit le responsable d’un master de recherche. L’anglais n’est plus un cours obligatoire car l’IEP est désormais considéré tout entier comme une maison anglophone.

Au risque de perdre son originalité, en se calant sur des critères internationaux artificiels ? «  Sciences-Po devient une entreprise de services d’éducation, les masters sont entrés dans une phase de normalisation », analyse le responsable d’un master. « Nous préférons parler d’intelligence plutôt que d’excellence », rassure Hervé Crès. Mais « les pressions sont très fortes pour récupérer des places dans le classement français, décrit le même responsable de master. Il y a des réunions tous les six mois avec la direction des études et de la scolarité pour créer un esprit combatif, bousculer les départements et les labos de recherche, et publier dans des revues de rang A. Les masters sont mis en concurrence les uns avec les autres. Il y a 3 ans, on ne nous demandait pas ça. »

Au printemps, le directeur de l’école doctorale, Philippe Weil, écrit aux directeurs de thèse pour qu’ils mettent sous pression leurs doctorants, qualifiés de « stock d’étudiants en difficulté » s’ils bûchent toujours sur leur œuvre au bout de trois ans. Tollé. En pleine grève universitaire contre la LRU, la réduction du nombre d’années de thèse acceptées par Sciences-Po sonne comme une provocation.

A quel prix intégrer tous ces nouveaux critères de performance ? Avant l’arrivée de Richard Descoings, il n’y avait pas de comité d’entreprise à Sciences-Po. Et de l’avis général, pas de réelle gestion des ressources humaines. Aujourd’hui, un comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) est en place, doté d’une cellule sur la souffrance au travail. Depuis 1996, l’IEP s’est transformé. Ouverture aux lycéens de ZEP, internationalisation, masterisation (saut de trois à cinq ans d’étude), création de premiers cycles spécialisés en région (monde arabe à Menton, Allemagne à Nancy...), hausse des frais d’inscription et des bourses. Les salles de bibliothèque se sont étendues. Les pelouses du jardin séparant le bâtiment de la rue Saint-Guillaume, siège des amphis, des anciens locaux de l’ENA rue des Saint-Pères, ont été ouvertes aux élèves. Le gymnase glacial enfoncé sous le vaste amphi Boutmy est devenu un web café.

« Management de la terreur »

Cette modernisation est saluée par presque tous. Savamment relayée par une habile politique de communication, elle a consacré l’aura du directeur. Mais ce vent de réformes a fait peser une lourde charge sur les épaules des personnels, assaillis de tâches, pris par des cadences et des obligations de résultats redoutables. «  Depuis 10 ans, le rythme de travail a été trop élevé, déraisonnable », témoigne un élu syndical plutôt favorable à la direction.

Premières touchées : les secrétaires. «  Leurs conditions de travail sont épouvantables, témoigne un ancien élu syndical, toujours employé à Sciences-Po, la quantité de travail est astronomique. Les entretiens d’évaluation prennent la forme de règlements de comptes entre salarié et n+1, mais comme elles n’osent pas se plaindre, tout est étouffé. » Le service des admissions qui renseigne les candidats et les nouveaux élèves sur les procédures à suivre ressemble parfois «  à un centre d’appels », où les téléphones peuvent sonner sans interruption.

Une secrétaire toujours en poste raconte que « la direction de l’IEP favorise la mobilité. Du coup, les gens changent de poste sans arrêt, c’est catastrophique ». Un prof témoigne : « Ma collaboratrice a été mise au placard, elle ne sait pas quel service on va lui donner. Elle a peur. » Richard Descoings a théorisé une méthode de réforme selon laquelle mieux vaut changer un peu en permanence que de bouleverser les habitudes tous les cinq ans. « C’est le système des Galeries Lafayette, se gausse un prof chevronné, il faut qu’il se passe quelque chose tous les jours : un nouveau diplôme, un nouveau gadget. »

Ce mouvement perpétuel fait tanguer la rue Saint-Guillaume. Le bilan social de Sciences-Po n’est pas bon, explique une élue du personnel. Troubles de la thyroïde, maux d’estomac et du dos, dépression : des symptômes de souffrance au travail se manifestent à Sciences-Po. Le nombre d’arrêts maladie explose : environ 5.000 jours en 2006, 7.000 en 2007. «  C’est énorme pour 800 salariés », s’inquiète une représentante du personnel. « Il ne faut pas exagérer, Sciences-Po, ce n’est pas l’usine ! rétorque une autre élue syndicale, on travaille en plein VIIe arrondissement, les pièces sont claires. » Mais certains s’y entassent dans des bureaux exigus. Et les services les plus durs sont fuis par ceux qui le peuvent.

Plusieurs interlocuteurs de Mediapart comparent l’organisation du travail à Sciences-Po à un « management de la terreur ». Selon un ancien cadre dirigeant, «  c’est l’une des boîtes les plus dingues que j’aie vues ». Des responsables sont licenciés sans motif : « Mon contrat n’a pas été renouvelé, sans explication », raconte un ancien directeur de service. Une cadre dirigeante avec 18 ans d’ancienneté est virée en un quart d’heure – et obtiendra après une longue procédure deux ans de salaire. Il y a des « purges perpétuelles, confirme un autre : les gens à droite du père disparaissent du jour au lendemain ».

Ce « management de la peur » constitue « une politique manageuriale, voulue ou pas, analyse une cadre administrative. Ça fonctionne à l’affect : tout le monde se tutoie, se fait la bise. On a l’impression d’être ensemble... mais pas du tout ! Règne une agressivité permanente. On n’a jamais le temps de se poser pour penser. On nous dit qu’une mission est pour dans deux mois, en fait c’est pour demain ».

Voir la réponse vidéo de Richard Descoings sur le management à Sciences-Po. Richard Descoings, 8 octobre 2009 (entretien : Sophie Dufau et Jade Lindgaard)

Autour de la direction de l’école, gravite une nuée de chargés de mission, parfois tout juste sortis de Sciences-Po ou de l’ENA. Propulsés à des postes de décision (études et scolarité, international, relations avec les entreprises...), ils ont bénéficié de la politique volontariste de rajeunissement des cadres de l’école. Mais « ce n’est pas sérieux de mettre à la tête d’un service de 20 personnes un jeune de 27 ans qui sort d’école, critique un élu syndical, certains chargés de mission ont été un facteur de désorganisation ».

Peu expérimentés, exaltés par l’ambition des réformes et la brillance de Richard Descoings, ils « sont sous le choc de l’image de Sciences-Po », et du coup, très légitimistes, analyse une prof. Peu regardants sur la masse de travail exigée de leurs services, ils ont « généré des pathologies organisationnelles, des crises, des conflits », reproche un représentant du personnel. Ces « pingouins », jeunes silhouettes en costumes-cravate et tailleurs, se heurtent à un corps professoral goûtant peu les ordres. « Un vieux prof comme moi, à 60 ans passé, je me fais convoquer par un chargé de mission de trente ans qui me demande de faire un truc immédiatement... c’est une brutalité de fou », témoigne un enseignant.

« Les placards sont bien fournis à Sciences-Po »

Direction très particulière que celle de Sciences-Po. Peuplée de jeunes cadres, elle intègre aussi bon nombre de syndicalistes. Il y a les anciens élus étudiants. Laurent Bigorgne, ancien directeur des études et de la scolarité, fut un responsable de l’Unef-Id, ancien nom de l’Unef. Tout comme l’un de ses collaborateurs, Sébastien Linden. Xavier Brunschvicg, ex-directeur de la communication qui fit beaucoup pour la lune de miel entre son école et les journalistes, fut élu de... Sud. L’actuel directeur de cabinet de Richard Descoings, Jean-Baptiste Goulard – fils de François Goulard, ancien ministre de l’enseignement supérieur –, fut élu sur la liste d’InterZaide, autre syndicat étudiant. « On a l’impression que dans dix ans on sera à la direction !, témoigne un étudiant de deuxième année, membre de l’Unef, comme si manifester était un passage obligé avant de passer à autre chose. »

Au point de gommer leur force de contre-pouvoir ? Une vidéo filmée lors de la cérémonie 2009 de remise des diplômes donne une idée de la manière dont Richard Descoings traite les syndicalistes étudiants. Un schéma comparable à ce qui se passe pour les étudiants se retrouve pour les élus du personnel : des responsables syndicaux sont promus, parfois à un rythme spectaculaire. D’anciennes secrétaires deviennent chargées de mission. Des parcours professionnels qui ne font rien pour affûter le discours critique des personnes concernées.

Dans l’ensemble, l’information sur la souffrance au travail à Sciences-Po est difficile à obtenir. Doux euphémisme. L’audit psycho-social réclamé par les syndicats n’a jamais eu lieu. Les comptes-rendus des CHSCT ne sont pas affichés sur les panneaux légaux. Le médecin du travail qui proposait aux salariés des questionnaires sur le stress au travail n’est plus consulté par l’IEP. Le bilan social de l’entreprise n’est pas accessible à tous.

Voir la réponse de Richard Descoings sur l’étude du stress au travail à Sciences-Po. Video

Contre une vision trop sombre des conditions de travail à l’IEP, une élue syndicale tempère : « Il n’y a pas eu de plan social, personne n’est resté au bord de la route. » Mais «  les placards sont bien fournis à Sciences-Po », souffle une assistante privée des promotions qu’elle demande. L’expression revient à plusieurs reprises dans la bouche des interlocuteurs de Mediapart. Pourtant, presque pas de procédure contre Sciences-Po aux prud’hommes. Les rares personnes qui le tentent se voient offrir une transaction. Peu osent la refuser. Mediapart rencontre une secrétaire qui a hésité à poursuivre l’IEP aux prud’hommes. « Je demandais une promotion. Refusée. A partir de ce moment là, ils m’ont retiré des tâches pour invalider ma demande. » Pourquoi ne pas poursuivre ? Soupir. « Mais si Richard Descoings devient ministre, quelle indépendance aura la justice face à une petite employée ? »