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La réforme de la formation des enseignants, conte de fées de M. Chatel et Mme Pécresse - Jean-Louis Fournel pour SLU, "Le Monde", 26 novembre 2009

mercredi 25 novembre 2009, par Chabadabada

Deux erreurs de présentation de ce texte dans la version papier et la version web du "Monde" : ce texte n’est pas exactement "de Jean-Louis Fournel, président de SLU".
- Le président de SLU est Etienne Boisserie depuis samedi 21 novembre.
- ce texte est "de Jean-Louis Fournel, pour SLU", formule par laquelle nous indiquons que le texte proposé par un auteur a été l’objet d’un travail collectif, et d’une approbation également collective à SLU.

Nous avions indiqué tout cela au journal "Le Monde", qui a par ailleurs procédé à quelques coupes et légèrement modifié le titre proposé, initialement "Communication ou politique ? Sur un conte de fées de Luc Chatel et Valérie Pecresse".

Beaucoup a été dit sur la très barbare "mastérisation" de la formation des enseignants. Mais il est encore nécessaire de répéter comment cette réforme néfaste n’est liée qu’à un tour de passe-passe laissant croire que la simple suppression d’une année de formation rémunérée (soit 10 000 à 15 000 postes de fonctionnaires économisés chaque année pour le budget de l’Etat) équivaudrait à un prolongement et donc à un progrès qualitatif de la formation.

[Pour lire ce texte sur le site du Monde]

Il est également sain pour le débat démocratique de rappeler que la véritable raison de cette réforme relève de ce qu’une phrase brutale du projet de budget qualifie joliment de recherche d’"un gain de productivité" (faisant au passage un édifiant parallèle entre cette réforme et la suppression du service militaire...). Il n’est pas inutile non plus de faire remarquer que, avec une morgue qui ne se dément pas, les ministres concernés n’ont tenu aucun compte des propositions des groupes de travail qu’ils avaient eux-mêmes convoqués.

Et ce au grand dam d’institutions qui ne peuvent passer pour de farouches opposantes à la réforme, mais qui ont pourtant jugé, récemment, que les décrets promulgués cet été sont "la pire des solutions". Nous pensons notamment à la conférence des présidents d’université ou à la conférence des directeurs d’Instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM).

Pourtant ce n’est pas sur tout cela - qui relève de faits, non d’opinions - que l’on voudrait ici insister, mais plutôt sur l’effarement qui saisit le lecteur du récent article publié par les ministres en charge de ce dossier (Le Monde du 18 novembre). Certes, ce texte comporte des énoncés qui ne sont pas insupportables. Pour l’essentiel, les grands axes qui, à leurs yeux, justifient la réforme de la formation des enseignants pourraient être acceptés par la très grande majorité des citoyens : qui donc pourrait s’élever contre l’éloge de la place de l’éducation et des maîtres dans la communauté nationale, contre la reconnaissance du mérite et des difficultés des enseignants, contre la nécessité d’une formation pratique et professionnelle solide, contre l’affirmation du lien nécessaire entre la recherche et la formation dans les universités ?

Autosatisfaction

Mais c’est bien là que le bât blesse : la question tient moins à ce que dit cet article qu’au fossé entre la réalité et ce dont il prétend parler. La réforme en question anéantit la formation pratique en éliminant l’année de formation dans les classes : les futurs enseignants et leurs élèves sont ainsi sacrifiés sur l’autel des "gains de productivité". Elle transforme la cinquième et dernière année d’étude en un parcours du combattant : les candidats aux concours devront suivre des cours et séminaires, effectuer un ou deux stages, mener une recherche originale débouchant sur la rédaction d’un mémoire, enfin préparer et passer dans le même temps un, deux, trois, voire quatre concours !

De cela, ni la formation ni la recherche ne sortiront indemnes. Et que personne ne se leurre, la reconnaissance - notamment salariale - du mérite reconnu aux enseignants avec des sanglots étouffés dans les phrases attendra. Les ministres nous racontent ici des "histoires" : ils inventent un scénario de conte de fées où tout est bien qui finit bien après un an et demi de débats et de combats dont cet article ne nous dira rien ; une histoire où toute conflictualité est gommée (jusqu’à justifier paradoxalement la réforme par la glorification des "perdants" - celles et ceux qui échoueront aux concours).

Ils se mettent en scène avec une autosatisfaction qui illustre à quel point cette affaire relève moins pour eux de l’éducation nationale que de la construction d’une position tactique au service des injonctions de leur chef - et de leurs carrières. Dans cette perspective, la relation entre leurs propos et les faits est secondaire, tout comme la nature du débat que leurs décisions prétendent trancher. Ils n’ont que mépris pour les contingences "réalistes" ou pour les expressions différentes des leurs ; ils n’éprouvent pas de grand intérêt pour les choses qui sont là et pour les mots qui tentent de les penser et de les organiser, bref pour la politique. M. Chatel et Mme Pécresse ne font plus de politique, ils font de la communication. Ce dévoiement de la parole est-il une fatalité de la vie politique ? Nous espérons que non.

Sans doute les ministres pensent-ils faire ainsi illusion jusqu’à la prochaine élection, quel que soit le prix à payer pour les élèves, les étudiants et les enseignants de la maternelle à l’université. Curieuse façon de relever le "défi" qu’ils évoquent dans leur titre... Quelle malchance pour l’école, quel danger pour la nation !

Jean-Louis Fournel, professeur à l’université Paris VIII, pour SLU