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La sélection dans l’enseignement supérieur : le grand mensonge - par Christine Noille-Clauzade (Pr., université Stendhal), pour SLU (1er février 2010)

mercredi 3 février 2010

Ce texte est téléchargeable en pdf au bas de la page et ici : les tableaux y sont plus lisibles que ci-dessous et quelques camemberts suggestifs y figurent, que le site a avalés.

Sélection, sélection : si l’on en croit les uns et les autres, ce serait là le secret des classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) ou des sections de techniciens supérieurs (STS), et ce serait le sésame pour une refondation de l’université. Tant et si bien que l’enseignement supérieur est désormais présenté par le ministère du même nom comme divisé en deux, filières sélectives contre filières non sélectives, entendez la fac.
Or, les choses sont un peu plus compliquées : non seulement le terme de sélection recouvre des choses qui n’ont à rien à voir, mais il est mensonger de présenter l’enseignement supérieur comme divisé en filières sélectives et filières non sélectives (1) ; et surtout, les chiffres et les données montreront la réalité de l’orientation des bacheliers et les leçons de ce constat (2). Celles-ci permettront de remettre à l’endroit la question de la sélection et d’en tirer des orientations politiques (3).

1. Hétérogénéité des sélections et division de l’enseignement supérieur

• L’hétérogénéité des sélections

On peut distinguer trois grands types de sélection dans l’enseignement supérieur :

- la sélection par l’échec : 52% des bacheliers inscrits en L1 universitaire échouent ; 48 % se retrouvent ainsi subrepticement sélectionnés pour le passage en L2.

- la sélection par obligation structurelle : ajustement à une structure dont la capacité d’accueil est réduite (absence de financement pour étendre la structure) : cas des STS, des CPGE, mais aussi de cursus universitaires multiples, de véritables « niches » où l’on entre sur dossiers (métiers des médias, arts du spectacle…). Du strict point de vue scientifique, la structure pourrait de droit accueillir d’autres étudiants dont les dossiers laissent à penser qu’ils y auraient toute leur place. La motivation joue souvent autant que le niveau dans les critères de sélection.

- la sélection par élitisme : évaluation des meilleurs par rapport à un pré requis sur le niveau scientifique (élitisme).

• La division de l’enseignement supérieur

Elle est fonction de trois séries de critères :

- Division de l’enseignement supérieur selon les projets d’étude : Un enseignement supérieur court et professionnalisant s’oppose à un enseignement supérieur long et disciplinaire. C’est là l’alternative fondamentale pour les bacheliers. Cette division associe de façon naturelle d’un côté CPGE et Université, et de l’autre IUT et STS.

- Division selon le critère sélectif / non sélectif : C’est là un classement purement idéologique, mis en avant par le MESR pour stigmatiser et séparer l’enseignement universitaire généraliste, en l’opposant à tout le reste. Classement non pertinent dans la mesure où des filières sélectives existent dans le sein de l’université et où les filières rassemblées par le ministère sous l’étiquette de « sélectives » n’ont pas grand-chose à voir entre elles. Classement intelligent, dans la mesure où il permet de contourner la véritable division que la politique gouvernementale a instaurée.

- Division par le taux de financement des différentes filières : C’est la division la plus insidieuse, qui rassemble dans un domaine réservé car bien financé les STS et les CPGE (l’Etat dépense annuellement pour un étudiant en STS 13 360 euros et pour un étudiant en CPGE 13 880 euros) ; et de l’autre un secteur sous-financé, l’Université et l’IUT (8 970 euros pour un étudiant à l’université, et 9 020 euros pour un étudiant à l’IUT).

Tableau n° 1 : Dépenses moyennes théoriques de l’Etat pour quelques scolarités type en 2007 (Source : MEN, Note d’Information : Le coût de l’éducation en 2007)

Université (hors IUT, écoles d’ingénieurs, etc.) I.U.T. S.T.S C.P.G.E

8 970 euros 9 020 euros 13 360 euros 13 880 euros

Bilan : la première et véritable sélection qui s’impose ici, c’est celle de la politique budgétaire du gouvernement. Le ministère a sélectionné des filières correctement financées, mais très étroites (une à vocation disciplinaire longue, l’autre à vocation professionnelle courte), et abandonné les flux d’étudiants les plus importants à un espace en sous-financement chronique, « la fac-poubelle ».

Division par effectifs (chiffres de 2008).

Tableau n° 2 : Effectifs étudiants en 2008 (Source : MESR, Note d’information : les effectifs d’étudiants dans le supérieur en 2008)

• Université (hors IUT, IUFM, formations d’ingénieurs…) : 1,2 million d’étudiants.

• IUT : 118 000 étudiants

• STS : 234 000 étudiants

• CPGE : 84 000 étudiants

Pour 10 étudiants à la fac, il y a 1 étudiant à l’IUT, 2 étudiants en STS et 0,7 étudiant en CPGE (ce dernier chiffre n’étant pas sans poser problème…).

Ce qu’on perçoit ici, c’est un système clivé entre une voie généraliste (au sens matériel où elle a vocation à recevoir l’écrasante majorité des étudiants) et des secteurs de niches.

2. L’orientation des bacheliers : sous le signe du manque de places

- Contexte étroit, contexte large :

Quand on suit l’argumentation de certains, le bien fondé de la sélection par évaluation élitiste à l’entrée de l’université se légitimerait par le fait qu’il y a trop d’étudiants qui à la fois étranglent ses structures et sont étranglées par elles.

Or, l’analyse concrète de la sélection aboutit à la conclusion : il n’y a pas trop d’étudiants ; il y a un manque de places ; ou plutôt rien n’a été fait pour penser une réforme de l’enseignement du supérieur qui le mette en continuité avec la réforme du secondaire initiée en 1985, laquelle amène aujourd’hui plus de 80 % des élèves de terminale à avoir le baccalauréat (83,5 % en 2008), ce qui correspond à 54 % d’une classe d’âge.
Rien a été fait alors même que les politiques se sont emparés de la question des flux, à des fins de communication, dès 1990, avec l’opération « Université 2000 », orchestrée par Claude Allègre, alors conseiller spécial de Lionel Jospin, en charge des deux ministères. Les universitaires comme les politiques sont aujourd’hui les héritiers de 25 ans d’inertie.

Pour mesurer ce manque de place dans l’enseignement supérieur, nous disposons aujourd’hui d’un outil formidable, le plan d’inscription post-bac par Internet, dit « orientation active ».

De quoi s’agit-il ? Les futurs bacheliers inscrivent un certain nombre de vœux selon un ordre de préférence (en moyenne 5 vœux) puis après plusieurs étapes, ils reçoivent le résultat de leurs vœux. Ce que ce plan nous permet alors de mesurer, c’est très précisément le nombre de premiers vœux satisfaits selon les séries du baccalauréat, la nature des choix portés par les premiers vœux, et par conséquent les lacunes et les dysfonctionnements des structures de l’Enseignement supérieur en France.
En effet, les vœux suivants correspondent dans la plupart des cas à des choix faute de mieux et par défaut, comme le système des vœux pour l’admission au lycée l’a amplement démontré. Vœux par défauts que les vœux non placés en premier de même que, n’en doutons, une partie même des premiers vœux, en particulier ceux qui portent sur le premier cycle universitaire et qui sont émis par des jeunes en complète désorientation (par ailleurs, nous laissons ici le cas complètement asymptomatique du bachelier qui hésite entre CPGE, double cursus à la fac. et Sciences Po… !!!).

Relèvent en revanche d’une motivation positive forte adossée à un véritable projet d’études, les vœux vers les IUT, STS et CPGE. C’est au demeurant sur eux que nous nous proposons de réfléchir, et c’est bien à travers eux que l’on peut mesurer les dysfonctionnements de l’enseignement supérieur. Pour les besoins de cette analyse, nous utiliserons les dernières données disponibles, qui concernent le baccalauréat 2008 (Source : MEN, Note d’information : Résultats définitifs de la session 2008 du baccalauréat) :

a/ Quelles sont les données chiffrées ?

Les chiffres de référence sont les suivants :

- Bac général : 279 698

- Bac technologique : 135 698

- Bac professionnel (qui ouvre à une employabilité immédiate) : 103 311

Soit un total de 518 895 bacheliers, qui représente 83,5 % des élèves de terminale et 54 % d’une classe d’âge. À la rentrée suivante, environ 73,3 % (chiffre consolidé) des bacheliers s’inscrivent dans une filière de l’enseignement supérieur après le bac : soit 380 000 bacheliers.

Quels ont été les choix classés en premier de tous ces bacheliers voulant continuer dans l’enseignement supérieur ? Dans quelle proportion ont-ils été respectés ?

Le bilan ministériel 2008 repose sur 12 académies, pour un total de 192 383 demandes et de 156 535 réponses OUI définitives (à distinguer elles-mêmes des inscriptions fermes enregistrées dans le premier trimestre universitaire).

Des VŒUX n° 1 aux OUI définitifs : statistiques sur une cohorte de bacheliers 2008 issus de 12 académies (Source : MESR, Premiers bilans de l’orientation active en 2008)

- Baccalauréats généraux :

Filières + VŒUX n° 1 (en chiffres et en % des vœux exprimés) + OUI définitifs (en chiffres et en % des réponses positives) + % DE VŒUX N°1 SATISFAITS

* L1 en Univ. 48 862 = 41 % 64 764 = 59,8 % 130 %

* IUT 30 936 = 26 % 15 768 = 14,6 % 51 %

* STS 19 519 = 16,4 % 11 546 = 10,7 % 61 %

* CPGE 16 042 = 13,5 % 13 081 = 12,1 % 82 %

* Autres 3 660 = 3,1 % 3 117 = 2,9 % 12,1 %

- Baccalauréats technologiques :

Filières + VŒUX n° 1 (en chiffres et en % des vœux exprimés) + OUI définitifs (en chiffres et en % des réponses positives) + % DE VŒUX N°1 SATISFAITS

* L1 en Univ. 5 919 = 10,5 % 11 473 = 29 % 193 %

* IUT 11 219 = 19,9 % 5 502 = 13,9 % 49 %

* STS 36 680 = 65,2% 21 343 = 53,9 % 58 %

* CPGE 1067 = 1,9 % 698 = 1,7 % 66 %

* Autres 1389 597 = 1,6 % 43 %

- Baccalauréats professionnels :

Filières + VŒUX n° 1 (en chiffres et en % des vœux exprimés) + OUI définitifs (en chiffres et en % des réponses positives) + % DE VŒUX N°1 SATISFAITS

* L1 en Univ. 940 = 5,5 % 1 986 = 23 % 210 %

* IUT 874= 5,1 % 278 = 3,2 % 32 %

* STS 14 893 = 87,1 % 6 341 = 73,3 % 42 %

* Autres 383 = 2,2 % 41 = 0,5 % 11 %

- Tableau général pour toutes les filières baccalauréat, concernant l’inscription dans les quatre structures dominantes de l’enseignement supérieur (L1 à l’université, IUT, STS, CPGE) :


VŒUX n° 1 (en % des vœux exprimés) + OUI définitifs (en % des réponses positives accordées) + % DE VŒUX N°1 SATISFAITS

* L1 en Univ. 29 % 50 % 140 %

* IUT 22 % 14 % 50 %

* STS 37 % 25 % 55 %

* CPGE 9 % 8,5 % 81 %

b/ Quels constats ?


-  Les baccalauréats professionnels

Sur 192 383 demandes formulées, 119 019 émanent de bacheliers généraux (soit 62 % des demandes d’accès à l’enseignement supérieur), 56 274 de bacheliers technologiques (soit 29 %), et 17 090 des bacheliers professionnels.

Pour la filière des baccalauréats professionnels, il y a donc, première surprise, une réelle demande d’accès à un lieu propre dans l’enseignement supérieur (= 9 % des demandes d’accès) : 1 demande sur 10 pour accéder à l’enseignement supérieur émane des baccalauréats professionnels, alors que le dogme officiel est qu’ils ont « vocation » à ne pas s’orienter sur l’enseignement supérieur, mais qu’ils ouvrent directement au marché du travail. Conformément à ce dogme, les « bacs pro » n’ont pas de lieu d’accueil dans l’enseignement supérieur : les filières professionnelles courtes (IUT, STS) ne répondent favorablement qu’à 40 % des demandes. Sur douze académies, 9 000 demandes ne sont pas satisfaites, et si l’on compte un millier de demandeurs réorientés vers la fac, ce sont donc au bout du compte la moitié des « bacs pro » demandeurs qui se soient fermer l’accès à l’enseignement supérieur (47 % pour être précis).

- Les filières de l’enseignement supérieur professionnel court

Les premiers vœux en faveur des IUT et des STS sont largement majoritaires et encore plus largement sous-satisfaits. On le savait de façon abstraite et générale, mais ici, on le mesure précisément et le déficit apparaît bien plus important que supposé.

Si l’on totalise en effet les effectifs souhaitant s’orienter vers l’enseignement professionnel court (IUT + STS), on obtient 59 % des demandes, sur un total de 192 383 bacheliers pour les 12 académies testées.

En réponse, on comptabilise 60 777 places accordées (car disponibles !), soit 39% des 156 535 inscriptions accordées. Ce qui revient à dire qu’il y a un déficit de plus de 53 000 places pour 12 académies.

Alors que les demandes pour l’enseignement supérieur professionnel court concernent 6 inscriptions sur 10, 1 demande sur 2 ne sera pas satisfaite.

En entrant dans le détail des filières, on constate sans surprise que les bacs technologiques sont majoritairement tournés vers l’enseignement supérieur court et professionnel (IUT + STS = 85,1 % des vœux n° 1), et encore plus les bacs professionnels (IUT + STS = 92,2 % des vœux n° 1).

Mais la demande d’un enseignement supérieur court et professionnel est aussi importante parmi les bacheliers des séries générales, qui aspirent dès l’entrée dans le supérieur à un diplôme professionnel (IUT + STS = 42,4 %).

Inutile d’ajouter combien est problématique ce qui leur est parfois proposé en contrepartie, à savoir une inscription à l’université, puisque le L1 correspond par définition à un tout autre projet, disciplinaire et long. Pour rendre une telle réorientation opérante, il ne faut pas l’imposer deux mois avant l’inscription, il faut y travailler, en amont, depuis les classes de seconde, de façon à permettre à tous les élèves d’élargir leurs projets de formation dans l’enseignement supérieur et de comprendre la pertinence et l’ambition de chacun d’eux : nous y reviendrons plus bas.


- L’enseignement supérieur disciplinaire long

L’enseignement disciplinaire long (CPGE et L1) est quant à lui choisi en vœu n° 1 par 72 830 bacheliers, soit 38 % des demandes (29 % pour le L1, et 9 % pour les CPGE).

Un constat désarmant s’impose : 4 demandes sur 10 pour l’enseignement supérieur long, c’est bien peu, c’est même trop peu. Avec un vivier aussi étranglé dès le départ, il ne faut pas s’attendre à pouvoir renforcer les taux de masters et de doctorats. Là encore, est en jeu l’impossibilité dans l’orientation actuelle en amont de comprendre la pertinence et l’ambition d’un projet de formation disciplinaire long : et là encore, nous y reviendrons plus bas !

En revanche, si l’on se reporte du côté des réponses favorables accordées au passage en premier cycle universitaire, on mesure alors précisément les effets d’une orientation forcée vers le seul L1 (hors CPGE) : alors que 29 % des premiers vœux concernent une inscription en L1, le L1 est censé recevoir 50 % des inscriptions accordées pour l’enseignement supérieur. Trois étudiants sur dix s’orientent vers le premier cycle universitaire, mais cinq étudiants sur dix s’y retrouvent orientés.

La demande de classes préparatoires est quant à elle globalement satisfaite pour les bacheliers généraux (à 82 % !), mais elle est d’emblée fermée aux autres séries (les bacheliers technologiques ne sont que 1,9 % à les obtenir).

c/ Qu’apprend-on ?

- L’échec en première année de licence à l’université : aux racines du mal

Le problème de l’échec à l’université (1 étudiant sur 2 échoue à la fin du L1) ne peut pas être uniquement résolu par une opération d’accompagnement au niveau du L (le fameux « plan licence »).

Les chiffres sont clairs : sur 5 étudiants en premier cycle, 2 ne l’ont pas souhaité, soit 40 % des effectifs. Il n’est pas normal que l’inscription en première année d’un cycle universitaire corresponde à 29 % des premiers vœux et à 50 % des réponses définitives. En termes d’effectifs, sur les 12 académies de référence, ce sont 22 000 étudiants qui arrivent ainsi à l’université sans l’avoir mis en vœux n° 1. Sur les 52 % de taux d’échec en première année à l’université, gageons qu’une bonne part est imputable à ces étudiants littéralement dés-orientés : il faut se souvenir que si 5 étudiants sur 10 échouent la première année à la fac, 4 étudiants sur 10 n’avaient pas souhaité y être…

Le problème de l’échec en première année à l’université ne peut être résolu pour une grande part qu’en mettant les bacheliers là où ils le souhaitent, c’est-à-dire en dehors des cursus longs et disciplinaires, dans des structures courtes et professionnelles ; et pour une autre part, en revalorisant en amont les projets de formations disciplinaires longues.

- Le coût financier et politique d’un enseignement supérieur professionnel court adapté

A quel coût comblerait-on le déficit dans les IUT et STS ? Ici on ne peut qu’extrapoler sur les premières années d’IUT et STS, à partir du rapport entre les demandes formulées sur 12 académies (au nombre de 192 383) et les 26 académies de la France métropolitaine.

Comment ces académies se particularisent-elles au niveau national ? Si l’on en croit les perspectives d’effectifs calculées par le MESR (Source MESR, Note d’information : Prévisions des effectifs dans l’enseignement supérieur pour les rentrées de 2008 à 2017), l’enseignement supérieur professionnel court (IUT et STS) accueille en moyenne 26,3 % de l’ensemble des bacheliers (rappelons que seuls 73,3 % des bacheliers ayant réussi leur baccalauréat poursuivent dans l’enseignement supérieur). Sur 100 étudiants, 26 peuvent s’inscrire en IUT ou STS au niveau national. Or, dans les 12 académies qui servent de référence à l’enquête du MERS, IUT et STS ont pu accueillir 39 % du total des inscriptions, soit 28,4 % du total des bacheliers ayant réussi leur baccalauréat. 28 bacheliers ont pu trouver une place dans l’enseignement supérieur professionnel au niveau inter-académique qui nous sert de référence. On peut parler ici d’une offre légèrement supérieure à la moyenne nationale concernant l’enseignement supérieur professionnel, et par là même d’un déficit légèrement inférieur à la moyenne nationale. On ne pourra pas accuser la projection d’être « tendancieuse » !

Donc, sur le total des bacheliers qui se sont inscrits dans ces 12 académies pour accéder à l’enseignement supérieur, il manque 21 482 places en IUT et 31 862 places en STS. Le déficit en nombre de places pour les IUT s’élève à 10 % de l’ensemble des bacheliers et pour les STS, à 15 %.
Au niveau national, sur une cohorte de 519 000 bacheliers en 2008, il aurait manqué, par projection de l’état des vœux dans les 12 académies de référence, 51 900 places en IUT et 77 850 places en STS pour toute la France.

Or, la dépense moyenne globale annuelle par étudiant est connue selon les filières (voir tableau n° 1).

C’est ainsi que pour assurer le financement de la première année dans l’enseignement supérieur professionnel court, dans l’état actuel des souhaits et projets d’orientation, il faudrait en budget annuel pérenne 1,5 milliards d’euros, et pour les deux années de l’enseignement supérieur court, le budget pérenne manquant peut être estimé à 3 milliards par an.

Devant un tel déficit, non seulement en budget mais plus fondamentalement en structures de formation, il est bien sûr inenvisageable de penser à une solution à effets immédiats.

Cette crise structurelle et financière requiert un plan pluriannuel de rattrapage budgétaire et surtout de recrutement, de création et de mise en place de structures d’enseignement supérieur professionnelles.

Elle requiert tout autant un plan de réhabilitation des filières disciplinaires longues et un plan de renforcement des passerelles de l’enseignement supérieur professionnel court vers une poursuite des études dans le supérieur, de façon à réorienter une part des effectifs vers une offre de formation plus ambitieuse.

En 2007 en effet, si 84,5 % des élèves obtenant en deux ans leur D.U.T poursuivaient vers une licence professionnelle à l’I.U.T, ils n’étaient que 33,5 % avec un BTS à faire de même.

d/ Ce que serait un véritable plan de réussite en licence

C’est à l’aune de ces trois milliards annuels dramatiquement absents qu’il faut évaluer les efforts du gouvernement dans la lutte contre l’échec en cycle de licence à l’université, à travers le fameux plan pour la réussite en licence, lequel se monte à 730 millions d’euros sur trois ans.

C’est encore à l’aune de ces 130 000 places manquantes dans l’enseignement supérieur et technique qu’il faut évaluer la part de communication qui entre dans l’annonce du MESR concernant l’ouverture de 100 classes préparatoires supplémentaires en 2010 pour environ 5 000 étudiants.

A quoi sert de dire que les moyens mis en œuvre sont dérisoires par rapport au défi que nul gouvernement n’a encore voulu, su ou pu relever ?
Il est cependant tout à fait éclairant d’analyser d’un peu plus près la politique gouvernementale à partir des options qu’elle a retenues.
A défaut de se lancer dans un plan de développement de l’enseignement supérieur professionnel court à grande échelle, le plan pour la réussite en licence et la politique de renforcement des CPGE vont finalement dans le même sens. Ils promeuvent, comme voie complémentaire pour lutter contre l’échec en licence, la voie de l’encadrement renforcé :

- Renforcement considérable en horaires et en enseignants pour les CPGE – mais pour une structure qui n’est destinée qu’à accueillir 7,7 % des bacheliers selon les chiffres officiels.

- Renforcement en horaire dédié au tutorat personnalisé pour le cycle de licence : ajoutons cependant qu’il n’intervient qu’à la marge (horaire hebdomadaire très faible), et qui plus est pris en partie sur les horaires consacrés aux enseignements disciplinaires.

Au cœur et en creux de ce dispositif amorcé, nous trouvons ce qui pour tous les ministères de l’enseignement supérieur est un véritable tabou : la faiblesse criante des horaires hebdomadaires des enseignements disciplinaires dans les emplois du temps étudiants à l’université et l’impératif absolu de maquettes d’enseignement dont les aménagements s’effectuent à budgets constants à l’intérieur du budget global de l’université.

S’il y a échec en licence, même chez les étudiants désireux d’y aller, c’est qu’il y a un fossé entre les exigences concernant les acquis et les moyens mis en œuvre pour leur acquisition. Tant que le gouvernement ne mettra pas en place les moyens nécessaires pour augmenter significativement les budgets annuels consacrés aux formations, le plan réussite en licence ne réussira pas.

Plus encore, si le projet d’inscription dans l’enseignement supérieur long ne correspond qu’à 4 premiers vœux sur 10 parmi les élèves de terminale et si les projets de formations disciplinaires longues n’ont pas l’écho qu’ils pourraient avoir eu égard aux compétences des élèves, c’est précisément en raison de ce déficit d’encadrement qui alimente à juste titre un déficit d’image.

Ce n’est bien évidemment pas le lieu ici pour développer un troisième axe complémentaire de lutte contre l’échec dans le premier cycle universitaire – mais les syndicats étudiants l’ont fort heureusement fait depuis longtemps : outre la nécessité d’un véritable plan de sauvetage de l’enseignement supérieur professionnel court et l’impératif d’une augmentation des budgets constants des formations universitaires longues, il faut absolument prendre en considération l’autre pôle du dispositif, à savoir les conditions de vie de l’étudiant. Tant que le niveau des bourses ne permettra pas, même au taux le plus élevé (4 140 euros annuels), de couvrir les dépenses mensuelles à charge de l’étudiant, tant que le réseau des logements étudiants continuera à être déficitaire, l’échec universitaire viendra aussi de l’obligation pour une partie des étudiants de se partager entre leur temps d’études et un véritable temps de travail ; de même que continuera pour beaucoup la nécessité de restreindre leur ambition à un projet professionnel court.

3. BILAN SUR LA SELECTION DANS L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

- Modes et opérateurs de la sélection dans l’enseignement supérieur

Les sélections les plus sévères aujourd’hui interviennent à deux niveaux :

1. Au niveau des demandes non satisfaites pour raisons structurelles : 3 demandes sur 10 ne sont pas satisfaites à cause d’un manque de places, dans les IUT et les STS. Celui qui opère la sélection, ici, ce n’est pas l’enseignant, c’est, par-dessus lui, celui qui lui impose les quotas, c’est le législateur et c’est le gouvernement. La politique gouvernementale telle qu’elle est menée depuis des années a fait le choix par abstention de ne pas répondre favorablement à 30 % des demandes fortes émises lors des inscriptions dans le supérieur (les fameux « premiers vœux », dont on sait bien qu’ils sont porteurs d’une motivation bien plus forte que les suivants). La sélection par décision du gouvernement de ne pas financer les structures qui font défaut est aujourd’hui le mode majeur de sélection dans l’enseignement supérieur. Elle est également responsable de l’énormité du taux d’échec dans les premiers cycles universitaires.

Les demandes sont deux fois plus importantes que les places disponibles : ce qui revient à dire qu’il faudrait multiplier par deux les structures IUT et STS, pour un budget à terme en augmentation de 3 milliards par an.


2. Au niveau de l’orientation effectuée en classe de Terminale
, en amont de la décision d’entrer et de classer les vœux dans le système informatique « admission post-bac ». Un phénomène étonnant se produit en effet là, dont nous n’avons pas encore parlé et que des graphiques par « camemberts » mettent particulièrement en évidence (Source : MESR, Premiers bilans de l’orientation active en 2008).

Si l’on calcule la répartition des baccalauréats d’origine concernant les Sections Technologiques Supérieures, on constate que les proportions de baccalauréats généraux, professionnels et techniques sont globalement les mêmes dans l’ensemble des demandes soumises que dans l’ensemble des réponses favorables accordées – même si le fromage des réponses favorables est globalement inférieur de moitié au fromage des demandes :

CAMEMBERTS

Il en va exactement de même au niveau des IUT et au niveau des CPGE ; les pourcentages entre les différents baccalauréats sont équivalents que l’on se place du côté des demandes ou du côté des réponses positives accordées :

Seule le premier cycle universitaire échappe à la règle, à la fois parce que le fromage des réponses positives accordées est bien plus gros que le fromage des demandes, et parce que la cohorte des bacheliers technologiques refusés dans l’enseignement professionnel court vient changer les proportions de départ :

- Un plan de lutte contre la sélection « en amont »

Ce constat nous amène tout d’abord à relativiser fortement l’idée que les filières STS, IUT et CPGE pratiqueraient une « sélection » par évaluation élitiste : ces filières ne retiennent certes qu’une partie des dossiers, mais c’est pour correspondre à l’étroitesse de leur structure ; en revanche ces filières respectent très exactement la répartition entre les différents baccalauréats telle qu’elle apparaît dans l’ensemble des demandes qui leur sont soumises. Autrement dit, la principale sélection qu’elles pratiquent est la sélection par adéquation à une structure.

La véritable sélection, celle qui détermine la proportion des bacheliers technologiques, généraux et professionnels à l’intérieur des structures de l’enseignement supérieur, s’est effectuée en amont, avant la mise en ligne des demandes d’inscription.

A la fois convaincus par l’orientation active des conseils de classe et par les préjugés ou impensés sur l’enseignement supérieur que leur transmet la société, les bacheliers technologiques fournissent moins de 10 % des demandes d’inscription dans l’enseignement supérieur disciplinaire long (6 % des demandes d’inscription en CPGE et 10,5 % des demandes en premier cycle universitaire long) ; les bacheliers professionnels ne fournissent que 9 % des demandes d’accès à l’enseignement supérieur ; et parmi les bacheliers généraux désirant poursuivre dans l’enseignement supérieur, seuls 13,5 % déposent une demande en CPGE et seuls 41 % souhaitent s’inscrire dans un premier cycle universitaire.
Il s’agit donc ici d’une censure opérée par le bachelier lui-même, qui s’interdit d’émettre tel ou tel premier vœu et qui n’est pas incité à construire un projet plus ambitieux.

Sous un angle positif, on peut y voir à l’œuvre le bénéfice d’une bonne orientation par les équipes enseignantes.

Sous un angle nettement plus négatif, on peut tout aussi bien y soupçonner une pression sociétale sclérosante -y compris transmise par les équipes enseignantes elles-mêmes-, qui bloque les bacheliers généraux et les empêche de faire le choix positif des filières facilitant l’accès à un niveau Bac + 5 ; de même qu’elle inhibe les bacheliers technologiques à aspirer à un enseignement universitaire long et les bacheliers professionnels à aspirer à un quelconque enseignement universitaire.

Le même effet peut être apprécié de l’autre côté de la lorgnette : bien sûr que 82 % des demandes d’inscription en CPGE sont acceptées et qu’on pourrait penser que la structure des CPGE est finalement suffisante - l’offre de places correspondant presque à la demande. Mais c’est la demande elle-même qui est insuffisante - du moins pour un grand pays qui vise à augmenter sa production de masters et de doctorats, comme diraient les promoteurs du classement de Shanghai.

De même, bien sûr que quatre étudiants sur dix se retrouvent entrant dans les premiers cycles à défaut d’une autre orientation et que cela ne va pas. Mais il ne faut pas en conclure que la fac est « asphyxiée ». Nous sommes dans un pays où seulement 4 élèves de terminale sur 10 souhaitent poursuivre dans l’enseignement supérieur disciplinaire long et ce chiffre est bien insuffisant pour permettre de renforcer les formations à Bac + 5.

De même, bien sûr que l’enseignement supérieur tel qu’il existe aujourd’hui correspond mal aux bacheliers professionnels, les incitant par avance à ne pas essayer d’y entrer, mais c’est là encore profondément anormal pour un pays qui par réalisme économique doit viser à augmenter le niveau de qualification des populations arrivant sur le marché du travail.

Contre ces formes d’auto-sélection par auto-limitation, il importe de promouvoir au sein des lycées, très en amont, dès les classes de seconde, des politiques fortement incitatives d’inscription dans les différentes filières de l’enseignement supérieur - et nous sommes ici, soit dit en passant, à l’opposé des tentations malthusiennes qui animent certains.

Mais à la seule condition que ces incitations politiques s’accompagnent d’une refondation en profondeur des structures de l’enseignement supérieur pour les renforcer et les adapter à la diversité des profils de formation et de projets universitaires dont les bacheliers d’aujourd’hui sont porteurs.

Conclusion

Il existe aujourd’hui trois aspirations fortes concernant l’enseignement supérieur en France :

1. Une demande forte d’enseignement professionnel à Bac + 2

2. Une attente pour un encadrement disciplinaire renforcé dans toutes les filières du supérieur

3. Un droit à l’enseignement supérieur, qui soit cohérent avec la politique de baccalauréat pour 80 ou 85 % d’une classe d’âge.

Or, dans les faits, sur 100 élèves de terminale, 83 ont le bac, 61 prennent une inscription dans l’enseignement supérieur, dont 30 en premier cycle universitaire ; et parmi ces derniers 15 échoueront à la fin de la première année.

Sur 100 élèves de terminale, seuls 46 pourront poursuivre en 2e année d’enseignement supérieur.

Ce qui revient à dire que sur 100 jeunes d’une classe d’âge, pour un taux de réussite au baccalauréat de 54 %, au bout du compte seuls 25 pourront poursuivre en 2e année d’enseignement supérieur.

C’est là un score indigne, révélateur d’une sélection énorme, d’une décimation faudrait-il dire, qui est la conséquence directe des politiques gouvernementales de l’éducation et de l’enseignement supérieur.

L’important aujourd’hui n’est pas d’étendre une sélection élitiste qui vise à constituer des niches d’excellence dès le baccalauréat, mais de rompre la spirale infernale de la sélection opérée par l’Etat par son incapacité à financer et à mettre en place des structures professionnelles courtes correctement dimensionnées, en multipliant par deux l’offre existante en IUT et STS et en budgétisant une telle diversification.

L’important est de lutter contre l’échec dans les premiers cycles universitaires en budgétisant leur renforcement horaire et en finançant massivement les études pour les étudiants boursiers.

L’important est de renforcer les viviers dans toutes les filières de l’enseignement supérieur par une politique incitative au niveau de l’ensemble des filières des lycées.

A rebours d’un malthusianisme frileux, osons l’augmentation des structures du supérieur et l’augmentation des effectifs dans tous les niveaux du supérieur : c’est à ce prix que l’enseignement supérieur satisfera à la première de ses missions, « l’élévation du niveau scientifique, culturel et professionnel de la nation et des individus qui la composent » (Code de l’Education, article L 123-2).